Saint-Ouen, un véritable supermarché du cannabis

Sortir du métro, marcher 300 m jusqu'à la cité. Acheter sa barrette, s'engouffrer dans le métro. Le flux de clientèle est inépuisable à Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis, une ville "supermarché du cannabis" unique par son ampleur aux portes de Paris.

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Mélanie, une jeune femme brune à la frange aussi impeccable que son veston, vient de faire ses emplettes à la cité Emile-Cordon, tours de béton fatiguées auxquelles des parements en brique rouge donnent un air de Brooklyn, à deux pas de la mairie. "Quand on me demande, je conseille de venir à Saint-Ouen. Ici, la qualité est bonne", explique cette fumeuse quotidienne, qui travaille dans le caviar. Dans son sac à main, sa consommation pour deux semaines, 100 euros de shit à partager avec son "meilleur ami". La course, faite en sortant du travail, n'aura pris que quelques minutes.

Tous les cent mètres, un guet​teur, assis sur une poubelle ou une barrière, guide le chaland.

Un conteneur de poubelle a été installé en face d'un hall d'immeuble et une petite queue, de quatre personnes, s'est formée. Joint à la main, sous les yeux des voisins à l'heure de la sortie des écoles, un vendeur les fait patienter. "Je flippe un peu sur le chemin, mais une fois que je suis dans la cité, je sais que c'est sous contrôle. Ici, personne n'est cagoulé, la vente se fait à visage découvert, c'est rassurant", décrit Mélanie. "A Cordon, c'est rapide et efficace", ajoute Xavier, un intermittent du spectacle âgé de 28 ans. "On se parle pas, on passe commande, on paye et c'est tout. On n'est pas là pour faire copain-copain".

"C'est un parcours balisé, sans risque" et qui attire de nombreux acheteurs, plus ou moins aisés, de Paris et des alentours, explique un enquêteur du département. "Il suffit qu'une personne cherche son chemin, regarde le plan et elle sera abordée et escortée jusqu'à la cité". 

Bobos et soixante-huitards

"Les acheteurs, ça va des soixante-huitards de 60 ans aux jeunes bobos de 15 ans. Il y a toutes les catégories sociales", décrit une source policière. L'heure de pointe, entre 18 et 21 heures, correspond aux horaires de sortie des bureaux. "Je suis venu après le boulot, je me suis dit, voilà, je vais me détendre un peu", témoigne John, 22 ans, qui travaille dans un restaurant des Champs-Elysées. "C'est direct en métro, c'est vite fait de venir ici", se réjouit-il, ses "10 euros de shit" cachés dans son sac à dos.

Le métro, c'est une bénédiction pour Saint-Ouen, qui échappe à l'enclavement d'autres banlieues populaires, mais aussi pour les dealers qui s'assurent d'un flux intarissable d'acheteurs. Les 10 terrains de deal principaux sont parmi les plus juteux de la région parisienne, estiment les policiers. Revers de la médaille, les trafiquants n'hésitent pas à se les disputer à l'arme automatique. Fin avril, une fusillade a fait trois blessés, clients présumés, en plein après-midi. 

Les habitants ont manifesté leur ras-le-bol, le maire divers-droite crié au secours et l'État a assuré de moyens supplémentaires. Le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve a promis jeudi de cibler davantage les consommateurs, grâce notamment à des renforts policiers. Pas de quoi inquiéter outre-mesure Mélanie : "Je n'ai pas le profil pour me faire choper, ça ne m'est jamais arrivé ici", dit-elle. Cela ne l'empêche par de prendre ses précautions et d'emprunter un chemin différent à l'aller et au retour.

«Arrêter les acheteurs ce n'est pas la bonne solution»

Les inquiétudes des riverains concernant la violence ne semblent pas non plus l'effleurer: elle n'a pas entendu parler des dernières fusillades. "Ici, il n'y a pas de problème de sécurité", assure-t-elle. A-t-elle l'impression de favoriser ce que le maire appelle "l'occupation mafieuse" de Saint-Ouen ? "Non, pas vraiment", lâche-t-elle.

"On ne fait de mal à personne mais c'est clair qu'on participe à l'ambiance de la cité", reconnaît de son côté Xavier. "Évidemment, je préfèrerais aller dans une boutique", dit-il, en plaidant pour la légalisation du cannabis. Pour autant, "arrêter les acheteurs ce n'est pas la bonne solution. C'est de la facilité, plutôt que s'attaquer au trafic. On arrête l'homme qui a tué, pas le vendeur d'arme".
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