Proches, amis, artistes ont rendu jeudi un dernier hommage à Tignous, l'un des dessinateurs tués dans l'attaque de Charlie Hebdo. "Ça te ferait chier de nous voir là aujourd'hui, avec nos gueules ravagées" a lancé la dessinatrice de Charlie Hebdo, Coco, sur l'estrade de la salle des fêtes de Montreuil
Avant ses funérailles au Père-Lachaise, ils étaient plusieurs centaines à se recueillir dans la salle des fêtes et sur le parvis de la mairie de Montreuil où Bernard Verlhac, dit Tignous, vivait depuis 30 ans. "Ca te ferait chier de nous voir là aujourd'hui, avec nos gueules ravagées", a lancé la dessinatrice de Charlie Hebdo, Coco, sur l'estrade où trônait son cercueil, griffonné de mots et de dessins de ses proches. "On ne doit pas être tristes mais émus et fiers de t'avoir connu. Toi, le dessinateur de talent, le génie de la couleur, le roi de la déconne", a poursuivi la voix tremblante celle qui était présente lors de l'attaque de l'hebdomadaire, qui a fait douze morts, le 7 janvier.
Outre les proches du dessinateur, dont sa femme Chloé Verlhac et ses enfants, plusieurs personnalités dont la ministre de la Justice Christiane Taubira étaient présentes. Le dessinateur, "dans un esprit décalé et ciselé", avait croqué de nombreux grands procès, a rappelé la ministre, affirmant qu'il "n'y a pas de tabou" en dessin. "On peut tout dessiner, y compris un prophète, parce qu'en France, pays de Voltaire et de l'irrévérence, on a le droit de se moquer de toutes les religions", a déclaré Mme Taubira.
La Une du dernier Charlie Hebdo, réalisé par les rescapés de l'attentat, suscite des remous dans le monde musulman, où de nombreux responsables politiques et religieux dénoncent une nouvelle caricature "blasphématoire" de Mahomet. "C'est fondamental qu'il ne soit pas mort pour rien, il faut regagner le droit de ne pas nous taire. Et rappeler qu'ils étaient tous pacifistes, non violents, républicains", a souhaité, dans un hommage "à son plus bel amour", Chloé Verlhac, son épouse.
Ses amis lui ont aussi rendu un hommage musical, le musicien Ibrahim Maalouf sortant sa trompette pour un morceau et l'humoriste Christophe Alévêque, entonnant le chant des partisans italiens "Bella Ciao", un "genou à terre" à côté de son cercueil. Caricaturiste, auteur de BD caustique et engagé, Tignous, qui signifie "teigne" en occitan, était "un fils de la banlieue, amoureux de ses inélégances, de ses bosses, mais surtout de son savoir-faire, de ses intelligences", a dit le maire de Montreuil, Patrice Bessac (Front de gauche).
Sur le parvis de la mairie, où deux écrans retransmettaient la cérémonie, des centaines de personnes, venues avec des pancartes "Je suis Charlie" ou simplement un exemplaire de Charlie Hebdo, partageaient leur peine. "Je l'ai connu à ses débuts. C'était un bon cuisinier et déjà un homme extrêmement
gentil. Il mérite tous ces éloges", a déclaré le dessinateur Gondot, un ami de Tignous.
"Quand on allait dîner, il arrivait au resto et distribuait le nouveau Charlie fraîchement sorti", se souvient-il. "On continuera sa quête de vérité contre la bêtise avec les copains de Charlie, comme lui avec noblesse et rigolade."
>> Un reportage d'Isabelle Dupont et Pierre Lassus
