Un bailleur social d'Argenteuil Bezons épinglé par l'Ancols, le gendarme des logements sociaux

Irrégularités, dysfonctionnements, pilotages financiers défaillants, les qualificatifs ne manquent pas pour définir la gestion du bailleur social d’Argenteuil-Bezons "AB-Habitat" entre 2016 et 2020. L’agence nationale de contrôle des offices de logements sociaux vient de sortir un rapport, encore confidentiel, mais très critique.

« Nos locataires sont les victimes collatérales de la mauvaise gestion de mon prédécesseur », regrette Nessrine Manahouara, la nouvelle maire de Bezons, qui préside désormais AB-Habitat et essaye, avec une nouvelle équipe, de redresser la barre. 

Ce bailleur social centenaire qui loge 30 000 familles à Argenteuil et Bezons est dans la ligne de mire de l'Ancols. Dans son rapport de 105 pages qui sortira en juin, l’Agence nationale de contrôle des offices de logements sociaux dénonce la gestion des années 2016-2020, sous la présidence de Dominique Lesparre, dernier maire communiste du Val d'Oise.

Une trésorerie qui chute de 63,8 millions d’euros en un an

Entre 2018 et 2019, la trésorerie du deuxième bailleur social du Val-d’Oise est passée de + 58,1 millions d’euros à -5,7 millions d’euros. 

La raison principale : un achat compulsif de logements en mauvais état, chers, et souvent payés comptants. 

En 2018, la loi Elan oblige les organismes de logements sociaux à se regrouper s’ils gèrent moins de 12 000 logements sociaux. Pour atteindre ce seuil et rester indépendant, Ab-Habitat, achète alors dans l’urgence 765 logements auprès d’autres bailleurs sociaux ou privés pour un total de 88 millions d’euros.

« Ces rachats de patrimoine ont été réalisés sans étude technique préalable et sans équilibrage prévisionnel d’exploitation », dénonce l’Ancols dans son rapport.

« Notre choix était politique », justifie Dominique Lesparre, président d’Ab-Habitat de 2016 à 2021, dont la gestion est pointée du doigt. Il y avait un réel danger de perdre en autonomie. Nous devions atteindre les 12 000 logements dans un temps limité. Et on y est arrivé. ».

« Mais à quel prix ? », regrette François Perrier le nouveau directeur général chargé de remettre le navire à flot. 

Près de la moitié des logements achetés sont en mauvais état et nécessitent de gros travaux qu’AB-Habitat va mettre des années à payer 

François Perrier, nouveau DG d'AB-Habitat

Des achats massifs de logements, sans plan de financements, ni études techniques 

Le conseil d’administration, chargé de valider ces achats n'avait à l'époque pas tous les éléments. L'instance, composée de 18 membres ( maires d'Argenteuil et de Bezons, conseillers municipaux, représentants de fédérations HLM ou de locataires) votait ces acquisitions « malgré l'absence de plan de financement, d’étude technique et d’équilibre d’exploitation », pointe l’Ancols dans son rapport. Les projets d’acquisitions, votés à l'unanimité, se limitaient à « l’adresse du programme, au nombre de logements et au prix d’achat ».

« On faisait sans doute trop confiance», regrette George Mothron, maire LR d’Argenteuil.

« On n’est pas des techniciens. Notre objectif était politique », justifie Philippe Doucet, opposant socialiste également au conseil d'administration. « C’est faux», rétorque un autre membre du CA, Vincent Lourier, de la Fédération nationale des coopératives HLM. « Nous avions plus d’informations à notre disposition que ce que ne le sous-entend l’Ancols. Mais les élus des villes d’Argenteuil et de Bezons étaient tellement rivés sur leurs objectifs d’achats que les discussions étaient souvent plus politiques que techniques.»

Dominique Lesparre, président AB-Habitat de 2016 à 2021 remet la faute sur son directeur général, Salah Lounici. « Il disait qu’il était le vrai patron et refusait que je me mêle de la gestion. Or c’est vrai, son service des finances n’était pas au niveau et il n’a pas pris les précautions nécessaires pour faire ces achats. »

Les problèmes de gestion et d'organisation sous la direction de Salah Lounici (que nous n'avons pas pu joindre) étaient régulièrement dénoncés par certains administrateurs, syndicats de salariés ou associations de locataires. Le DG sera finalement révoqué en février 2022, quelques mois après l'élection de Nessrine Menahouara à la mairie de Bezons et à la présidence d'AB-Habitat. 

L'élue socialiste, qui a détrôné le dernier maire communiste du Val-d'Oise, est très sévère sur les années 2016-2020 ciblées par l'Ancols : « Cette gestion est un scandale. Acheter à tout va, et au mauvais prix, des logements qui nécessitent des milliers d’euros de travaux, cela plante les finances d’une entreprise », s’emporte l'élue. « Quand tout l’argent disponible est consacré à faire des achats de logements, il ne reste plus grand-chose pour entretenir le patrimoine existant.»

On a voulu planter une entreprise qui loge 30 000 personnes

Nessrine Menahouara, nouvelle présidente d'AB-Habitat

Effectivement, l'Ancols dénonce le faible niveau des travaux d'entretien ou de réhabilitation des immeubles et appartements (30% inférieurs à la médiane des organismes franciliens). L'argent manquait pour les travaux aussi parce que des centaines de loyers n'étaient pas perçues faute de locataires. L'Ancols dénombre jusqu'à 8% d'appartements vacants, alors que près de 10 000 ménages attendent un logement sur Argenteuil et Bezons. 

Le logement social : un outil politique

Autre problème, qualifié d'irregularité dans le rapport : l'insuffisance du nombre de candidats lors des commissions d’attribution et une certaine opacité sur l'attribution des coques commerciales. « Malgré nos demandes répétées », confirme l'administrateur Vincent Lourier (de la Fédération nationale des coopératives HLM), nous n’avons jamais obtenu d’information claire sur la gestion des commerces et  sur leur attribution ».

« Pourquoi le maire ne nous donne pas de logement ? » est une phrase que l’on entend régulièrement dans les villes où la tension locative est forte. Certains observateurs rappellent qu’un office HLM est un « formidable outil politique ». Cela permet d’avoir accès aux données personnelles, financières et sociales de milliers de familles et d'électeurs. Un commerce ou une association qui bénéficie d’importantes remises de loyer peut se sentir redevable. Un office HLM est aussi un gros pourvoyeur d'emplois locaux.

Mais Dominique Lesparre nie en bloc tout soupçon.

J'ai toujours été irréprochable.

Dominique Lesparre, ancien maire PCF de Bezons et ancien Pdt d'AB-Habitat

« J’ai été maire de Bezons pendant 18 ans, et auparavant, adjoint au logement durant 18 ans. J’ai reçu des centaines de gens dans mon bureau. Mais quand vous sentez que les gens sont vraiment dans la détresse et dans la misère, ce n’est pas de la politique, c’est de l’humain. Je suis communiste et j’ai toujours défendu que les villes devaient avoir 40% de logement social. Vous ne me ferez jamais dire que j’ai attribué des logements dans un but politique. J'ai toujours été irréprochable. »

Nouvelle direction, nouvelle organisation

AB-Habitat essaye de remonter la pente. Avec la nomination d’un nouveau directeur général en 2022, l'organisme mise tout sur la réorganisation et la transparence. Le but : redresser la barre de finances et réhabiliter le patrimoine. Des emprunts bancaires, la recherche de subventions, la lutte contre les logements vacants ont permis de renflouer la trésorerie. Les services techniques et financiers se réorganisent pour prouver à l'Ancols que l'organisme évolue dans le sens de ses préconisations : «redevenir un outil technique au service de la politique publique du logement social et le désensibiliser des enjeux de politique locale. »

Le hic, c'est que les locataires vont devoir faire preuve de beaucoup de patience. De nombreux travaux d'entretien et de rénovation ayant été retardés, ils ont le sentiment que la direction actuelle traîne des pieds, alors qu'elle assure faire tout son possible pour rattraper les erreurs de gestion.

L'Ancols n'a pas donné suite à nos demandes d'interview pour savoir si des sanctions étaient envisagées. 

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