REPORTAGE. Aider les victimes jusqu'à la dernière minute. La principale association d'aide aux femmes victimes de violences conjugales du Val-d'Oise ferme ses portes.

Du côté des femmes, qui accompagne chaque année environ 1200 femmes et enfants et emploie 46 salariés, va fermer définitivement ce vendredi 24 novembre. Derniers jours pour traiter les cas les plus urgents. L'association a œuvré 40 ans pour protéger et accompagner les victimes de violences conjugales. En cause, des problèmes de gestion.

À quelques jours de cette triste échéance, Mariam Baraka, la toute récente directrice générale nous accueille d’une poignée de main énergique. Très vite, l’urgence interrompt la visite des 1000 mètres carrés de locaux à Cergy-Saint-Christophe.

"Son mari l’a retrouvée ? Il a piraté sa boîte mail ?" Une travailleuse sociale du pôle de lutte contre les violences de l'association Du côté des femmes est au bout du fil. Inquiète, la directrice propose la suite : "Dites-lui d’éteindre tout de suite son portable pour qu’il ne puisse pas la géolocaliser et de le rallumer à 11 heures 30, moment où nous l'appellerons. D’ici là, on trouvera un autre appartement pour pouvoir l’exfiltrer". Sa collègue aimerait commencer la procédure pour que la victime obtienne un téléphone grave danger (qui permet d’appeler la police en appuyant trois fois sur un bouton). "Mais non, il te reste 3 jours d’activité, tu n’auras pas le temps. C’est l’autre association qui s’en occupera. Dès sa nouvelle mise en sécurité cet après-midi, tu devras l’accompagner pour déposer une plainte et demander une ordonnance de protection".

Comme tous les salariés de Du côté des femmes, DCDF, Mariam Baraka est dans une course contre la montre : aider les victimes jusqu’à la dernière minute et préparer la transmission.

Environ 1200 femmes et enfants aidés chaque année

Marie (le prénom a été changé), 36 ans, a "échappé à la mort de justesse". Le père de ses trois enfants, armé d’un révolver voulait la tuer et s'en prendre à sa fille de 5 ans. Elle a réussi à fuir. Sauvée par une voisine puis logée par le 115, elle a été orientée vers DCDF fin 2022. Hébergée dans le centre d'hébergement d’urgence du Vexin, elle a dû partir parce qu’il fermait faute de financements. Et a ensuite vécu en co-hébergement avec d’autres femmes victimes dans l’un des 39 logements tenus secrets de l’Association. Aujourd’hui, elle bénéficie même d’un logement, seule avec ses enfants, tous les trois suivis psychologiquement par l’association.

"Je suis partagée entre la tristesse et la colère", explique calmement celle qui est encore en pleine reconstruction. Du côté des femmes nous laisse une chance de nous remettre sur pied alors qu’on arrive à terre. "La nouvelle équipe s’est beaucoup donnée !" souligne la victime.

Comme une enfant, j’avais besoin d’une main à qui m’accrocher. Grâce à eux, j’ai retrouvé mes repères. Pourquoi est ce qu’on n’a pas laissé une chance à cette association de repartir?

Marie, victime de violences conjugales

Chaque année Du côté des femmes aidait 1200 femmes et enfants. A travers 4 dispositifs : un lieu d’écoute et d’orientation, un accueil de jour, un centre d’hébergement d’urgence et un service d’insertion par l’emploi. Un lieu unique dans le Val d’Oise qui accompagnait les femmes et les enfants victimes de violences dans leur globalité. « Elles rentrent chez nous souvent cassées, on les aide à se reconstruire à tous les niveaux. Tout cela va disparaître » résume la gorge serrée Michèle Loup, Vice-Présidente du Conseil d’administration.

1,2 million d'euros de dette et une liquidation judiciaire

En cause, la gestion passée de l'association. L'ancienne directrice Brigitte Chabert a multiplié les projets onéreux sans financement public ou privé adéquats. En 2 ans, la dette a explosé, creusant ainsi la tombe financière de l’association.

Fin 2020 par exemple, elle ouvre un centre d’hébergement d’urgence dans le Vexin pour accueillir 24 h sur 24 des femmes et leurs enfants en grand danger. Entre les locaux et le personnel encadrant, la place revient 25% plus cher que ce que l'Etat alloue comme subvention. Bilan : environ 700 000 euros de déficit en deux ans, juste sur ce projet. Mais il y en a eu d’autres. Comme le lieu d'écoute et, d'accueil et d'orientation qui compte huit travailleurs sociaux alors que seuls quatre postes sont financés. 

Fin janvier 2023, après le départ de Brigitte Chabert, l’association n’a plus les moyens de payer les salaires. En mars 2023, DCDF est placée en redressement judiciaire avec comme objectif de remonter la pente, d’alléger la dette et de montrer qu’elle peut être gérée sainement.

Pour réaliser des économies, l’association passe en quelques semaines de 71 à 46 salariés (licenciements et démissions), ferme le centre d’hébergement H24 du Vexin, et se sépare d’autres dispositifs coûteux (comme des places d’hôtel par exemple). Mais les injonctions de retour à l'équilibre à des administrateurs judiciaires et de la préfecture du Val-d’Oise, principal financeur, nécessitent d’importantes actions de la part de Du Côté des Femmes qui n’ont pas pu être réalisées dans le temps imparti.

Le 26 septembre 2023, les juges prononcent la liquidation judiciaire avec poursuite d'activité pendant 2 mois. Le conseil d’administration fait appel et confirme son projet de redressement et d’apurement de la dette par la vente des locaux de Cergy à une Fondation et du mécénat privé. Mais le 18 octobre au soir, le couperet tombe, la préfecture du Val-d’Oise interdit à l’association de poursuivre ses principales activités au-delà du 26 novembre. Une décision sans aucun recours possible qui sonne le glas de tous les espoirs de poursuite d’activités. Du côté des femmes ne peut plus déposer de recours suspensif.

Qui va reprendre les activités de l'association ? 

Depuis un mois, c’est donc un déchirement pour les salariés et une grande angoisse pour les femmes. Les 46 salariés, répartis sur les sites de Cergy et de Sarcelles vont subir un licenciement économique. Totalement sous le choc de cette année éprouvante et de cette fermeture, beaucoup se disent confiants pour retrouver un travail mais inquiets pour leurs protégées.

Ce sont les femmes qui vont payer. Nous, ce n'est pas grave, on pourra se retourner.

Christine, Conseillère en insertion depuis 15 ans

Car même si d’autres acteurs vont prendre le relais, il y a encore beaucoup d’inconnues. La semaine dernière, Marie, qui a fui son mari armé, a reçu deux visites. L’une pour faire l’état des lieux de son logement. Qu’elle pourra garder, mais qui sera géré par une autre association. Et la visite de 3 travailleuses sociales : sa référente à DCDF et deux salariées de l’ARS 95, l’une des associations qui va prendre la relève. Car après que le tribunal a prononcé la liquidation judiciaire, la préfecture du Val-d’Oise a dû chercher en urgence la continuité de la prise en charge des 143 femmes et enfants mis en sécurité dans le département ainsi que de l’intégralité des femmes accompagnées dans l’ensemble des différents dispositifs.

Au final, ce sont 6 associations, la plupart beaucoup plus grosses que DCDF, mais pas toujours spécialisées dans les violences conjugales, qui vont prendre le relais : l’ARS 95, la Croix-Rouge, Espérer 95, Aurore, Appui les Villageois et Mon âme sœur. Cinq d’entre elles vont se partager la gestion de la quarantaine de logements tenus secrets dans le parc social.

Les 400 femmes suivies, elles, pour l’insertion et la recherche d’emploi seront renvoyées auprès d'organismes spécialisés dans l'insertion professionnelle. Mais à Ceprofessionnellere, conseillère en insertion depuis 26 ans est très inquiète. "Grâce à notre expertise, nous savons écouter les femmes et détecter les victimes. Est-ce qu’une référente dans une autre structure saura le faire ?" s'interroge-t-elle.

Autre salariée très préoccupée par l’avenir des femmes suivies par l’association, et toutes celles qu’elle ne pourra plus suivre : Elisabeth Zharova. Elle coordonne l’accueil de jour qui permet à une centaine de femmes et d’enfants en grande précarité, mal ou pas logés, de venir à tout moment se reposer, prendre une douche, laver du linge ou être accompagnés dans les démarches administratives. "Pour moi, c’est presque de la non-assistance en personne en danger", s’emporte la coordinatrice de ce service unique dans le Val-d’Oise, car il est interdit aux hommes. "Par exemple, j’aide une femme enceinte de 6 mois. Elle a été abusée par son logeur et se retrouve enceinte. Mais comme elle n’est pas déclarée victime de violences conjugales et qu’elle est sans papiers, aucune association ne veut pas la prendre en charge après notre fermeture. Vous trouvez ça normal ?" Rien n’est acté non plus, pour l’instant pour les 150 femmes domiciliées et non hébergées à l’association, qui reçoivent ici leur courrier de la préfecture, de la CAF ou de la Sécurité sociale.

Je pleure beaucoup car ici on me soutenait. On est sous le choc et je ne sais pas où je vais aller.

Carine, bénéficiaire de l'accueil de jour

Côté préfecture, malgré de nombreuses demandes d’interview, la communication se limite à un communiqué publié sur les réseaux sociaux. En résumé, tout est géré.

Ce n’est pas le sentiment de tous les salariés qui dénoncent un décalage entre le discours de l’Etat sur la priorité donnée aux violences conjugales et le sort qui est fait à leurs associations. D’après la Fondation des Femmes qui co-finance de nombreuses structures, "le budget dépensé par l’Etat pour chaque femme victime de violences accompagnée a baissé de plus de 25 %", à cause de la libération de la parole et de l’explosion du nombre de victimes.

Parmi les associations qui vont reprendre une partie des activités de Du côté des femmes, certaines ont embauché pour faire face à la demande et espère recevoir les financements promis par la préfecture du Val-d’Oise.

En 40 ans, Du côté des femmes a aidé quelques dizaines de milliers de victimes. Une aventure qui, triste ironie du sort, prendra la fin la veille de la journée internationale de la lutte contre les violences faites aux femmes.

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