Témoignage. "Je n’ai pas peur de mourir, j’ai peur de ne plus vivre", Katherine Icardi-Lazareff, atteinte de la maladie de Charcot, aura recours à la fin de vie assistée en Belgique

Publié le Écrit par Valentine Ponsy

Katherine Icardi-Lazareff souffre de sclérose latérale amyotrophique. Elle a fait le choix de mourir avant que la maladie ne la paralyse totalement. Un choix mûrement réfléchi. La convention citoyenne se penche sur le sujet à partir de ce vendredi 9 décembre.

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Derrière la douceur de son regard et de sa voix se cachent une profonde détermination, et sans doute une grande souffrance. Katherine Icardi-Lazareff est atteinte par la maladie de Charcot. Entourée de ses trois enfants, elle livre un combat acharné contre la paralysie qui progresse lentement, inexorablement. Il n’existe aucun traitement pour retarder ou empêcher l’évolution de cette maladie neurodégénérative. C'est pourtant elle, la petite-fille de Pierre Lazareff, qui aura le dernier mot. Elle s’est fixé une limite : le jour où elle ne pourra plus s’exprimer, elle partira. Son voyage vers la Belgique sera alors le dernier. Elle a entamé les démarches pour bénéficier d'une fin de vie assistée. 

Alors que le Comité consultatif National d'Ethique a ouvert la voie à une éventuelle législation, et avant que s'ouvre le 9 décembre la convention citoyenne en charge d'examiner la question de l'euthanasie, elle a accepté de répondre à nos questions.

Comment et pour quelles raisons avez-vous fait le choix d’une fin de vie assistée médicalement ?

Pour avoir recours à la fin de vie assistée, il faut bien comprendre ce qui se passe dans votre corps. Pour moi il n’y a aucune possibilité de soins, il y a une issue fatale de 3 à 5 ans, donc cela s’est imposé naturellement. Tout de suite j’ai adhéré à l’Association pour le Droit à Mourir dans la dignité (ADMD). Je voulais discuter avec eux, voir quelles étaient les convictions de chacun.

Je ne voulais pas donner une image de moi-même dégradée après toutes mes activités tout au long de ma vie. C‘est aussi important pour mes enfants de ne pas voir leur mère ainsi. Moi j’ai de mauvais souvenirs de mon grand-père qui est décédé malheureusement en se dégradant, de mon père décédé en se dégradant. Ce sont les seules images qu’il me reste d'eux, et je ne veux pas donner ça à mes enfants. Je veux les laisser avec le souvenir de quelqu’un qui rit, et qui n’est pas branché à des tuyaux pour s’alimenter ou pour respirer. Et comme c’est l’issue fatale, cela s’est tout de suite imposé à moi, mais probablement que c’était en moi depuis longtemps. Cette fin de vie, j’y ai pensé depuis longtemps.

Est-ce que cela permet de mieux accepter la maladie ?

Je n’accepte pas la maladie. Je ne l’accepte pas parce qu’elle est très injuste par rapport à la soudaineté, par rapport à la brutalité, par rapport à la cruauté. Je ne l’accepte pas, je la combats quand même. Je veux une fin de vie digne, mais je combats ma maladie, je ne la laisse pas s’installer. J’essaie d’avoir le plus possible de mobilité, de possibilités de vivre normalement. Je n’ai pas peur de mourir, j’ai peur de ne plus vivre.

Une fois que votre décision a été prise, que s’est-il passé ?

Je me suis tout de suite rapprochée de l’ADMD, j’ai demandé des renseignements pour la Belgique. Et je me suis rendue à Liège accompagnée de ma meilleure amie. Nous avons été voir le professeur qui reçoit les Français à l’hôpital de Liège. A ce moment-là, mes enfants n’étaient pas au courant de ma démarche. 

Comment se passe la consultation ?

La consultation est très humaine. On a l’impression d’être face à un médecin qui nous écoute, ce qui n’est pas toujours le cas en France. On a une humanité, une expérience. Il a des mots pour nous dire 'c’est votre choix, mais vous pouvez jusqu’au dernier moment dire non. Et je comprends qu’avec votre maladie vous puissiez avoir cette démarche.' Alors il vous rassure, il vous dit comment cela se passe : 'Je veux rencontrer vos enfants, les gens qui vous entourent. Et à partir du moment où je rencontre vos enfants, le processus peut se mettre en marche. C’est vous qui décidez le moment où vous voulez dire stop à la maladie.' 

Il faut ensuite l’annoncer à vos enfants, vos proches, c’est un obstacle, une difficulté ?

Oui c’est difficile. On se demande 'comment je vais l’annoncer, quels mots vont pouvoir toucher mes enfants ?' Emotionnellement, c’était difficile pour moi de le dire, alors je les ai emmenés tous les trois voir un documentaire intitulé « Les mots de la fin ». Et ils ont compris l’impact que peut avoir la maladie sur la personne, et le soulagement que cela représente pour le malade d’aller rencontrer des personnes qui peuvent mettre un terme à notre vie de cette façon. Ils ont compris avec ce documentaire. 

Vous avez dû avoir peur de leur réaction ?

Oui bien sûr. Je ne voulais pas leur faire de peine, je ne voulais pas que ce soit accepté avec de la peine. Ils vont en avoir évidemment, mais je voudrais que ce soit léger, qu’ils comprennent que c’est une délivrance pour moi. Ce sera une délivrance pour eux aussi de ne plus voir leur maman se dégrader.

Vous avez demandé qu’un médecin fasse le geste, et que ce ne soit pas vous de le faire comme le permet aussi le protocole, est-ce que cela change quelque chose ?

Oui cela change quelque chose car dans le cas de l’euthanasie je demande à la médecine de mettre fin à une maladie qu'ils sont incapables de soigner et dont l’issue est fatale. Cela je le demande à un médecin. Le suicide assisté, c’est différent. D’abord je ne sais pas si j’aurais été capable de faire le geste. Ensuite pour moi c’est difficile, je n’en aurai sans doute pas la possibilité, et puis je n’ai pas envie de le faire. L’euthanasie, comme il n’y a pas de dérive possible, c’est très encadré, c’est rassurant. C’est une anesthésie et on s’endort.

Vous regrettez d’aller en Belgique pour avoir recours à une fin de vie assistée ?

C’est mon plus grand regret. Mon pays, c’est la France, je suis née en France, je viens d’une famille française qui a beaucoup œuvré pour la France, et je ne comprends pas que je sois obligée d’aller en Belgique pour vivre mes derniers instants. C’est lourd, il faut décider d’une date, il faut y aller, toute la famille va y aller. On n’est pas dans notre environnement, donc il faut mettre plein de choses en place, c’est compliqué. Pourquoi je vais mourir en Belgique? Je ne suis pas Belge, je suis Française.

Avez-vous déjà fixé une date ?

Aujourd’hui je n’ai pas fixé de date. J’ai décidé que le jour où je ne pourrai plus parler ce sera la fin. Mes enfants le savent, ils sont prêts à cela. J’essaie de pouvoir parler le plus longtemps possible, je me bats. La parole pour moi c’est tellement important. D’abord pour faire passer les messages pour que les gens comprennent : mon choix de fin de vie, c’est dans le cas d’une maladie incurable et fatale. Je peux comprendre aussi pour d’autres personnes qui ont dans des cancers difficiles ou même des jeunes qui sont happés par un accident. Il faut arrêter les tabous sur la fin de vie en France. Tout autour de nous, les tabous tombent : en Espagne, au Portugal, l’Italie bientôt, les Pays-Bas, l’Autriche etc.

Maintenant que vous avez pris cette décision, et que vous l’avez annoncé à vos enfants, comment vous sentez-vous ?

Cela m’a apporté beaucoup de légèreté, cela m’a donné conscience que l’on peut passer des moments formidables ensemble, des moments joyeux parce qu’on a établi les choses. Le plan est fait. On profite vraiment de chaque instant. C’est très soulageant.

Est-ce que cela a brisé des tabous avec vos amis ou vos proches ?

Auprès de mes amis, j’ai ressenti et entendu des réticences. Je suis dans un groupe de prières car je suis catholique, on en a beaucoup parlé. Finalement, en parlant, je m’aperçois que les tabous s’effondrent, et que l’humanité reprend le dessus. On se dit que la souffrance n’est pas obligatoire, il faut mettre un terme à la souffrance.

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