En ce début avril à Choisy-le-Roi dans le Val-de-Marne, les propriétaires récupèrent enfin leurs appartements après 6 ans d'attente. Le 10 janvier 2018, un incendie dans le parking en sous-sol de leur immeuble avait causé la mort d’un pompier. Des travaux à hauteur de 13 millions d’euros ont été réalisés. Les logements étaient inhabitables pendant ces longues années. Il a fallu se débrouiller.
«Je ne vais pas revenir habiter ici. »C’est par ces mots que Monsieur Fidalgo, 84 ans, un peu désorienté, nous explique sa situation. Il vient de récupérer les clés de son appartement, après plus de 6 ans de patience. « Après l’incendie, nous avons vécu avec ma femme à l’hôtel, pendant cinq ans. Maintenant, je suis tout seul, en maison de retraite. Car ma femme est morte, entre-temps.» Il retrouve son appartement « dans son jus » car inhabité cette tragique nuit de janvier. Tout a vieilli. Il va devoir faire des travaux pour le louer.
Comme Monsieur Fidalgo, Nathalie Ifrah, est l’une des 67 propriétaires de l’immeuble sinistré. Pour elle, revenir habiter ici est délicat. Mais elle n’a pas le choix, ni les moyens de faire autrement. Alors, les souvenirs remontent à la surface, en entrant dans son logement. « Avec ma fille, on est restées bloquées dans l’appartement pendant l’incendie. Les pompiers nous avaient dit de rentrer dans nos appartements car il n’y avait pas de danger. Et puis la situation a évolué et…. Ils nous ont oubliées ! J’ai dû appeler le 18 pour qu’on vienne nous chercher alors qu’il y avait beaucoup de fumées. Mon enfant s’est vu mourir, il y a 6 ans. Alors pour elle, revenir ici, c’est compliqué. Elle est traumatisée. On est parti sans rien, sans pouvoir revenir. Ma fille n’a même pas pu récupérer son cartable. Elle n’avait plus rien pour aller à l’école. Heureusement il y a eu beaucoup de solidarité ! » Donc, aujourd’hui pour ce nouveau départ, elle a tout changé dans l’appartement, le mobilier, la disposition. Son appartement a été refait à neuf: peintures, cuisine et salle de bains. "Cet incendie m’a coûté un divorce. Les tensions, les années à attendre la fin des travaux..."
La bataille des assurances
Habiter ailleurs, dans un tout petit espace, avec des bébés, continuer à payer les remboursements du prêt de l’appartement ainsi que les charges a été très lourd. D’autant que personne ne voyait poindre la fin du tunnel. Dans ce type de sinistre, chaque propriétaire s’adresse d’abord à son assurance personnelle. Il s’agit d’être indemnisé pour une perte de jouissance ou pour une perte de loyers mais aussi la remise en état du logement. Chacun ayant une situation différente, par rapport aux dégâts de l’incendie et son assureur, certains appartements ont été refaits à neuf, d’autres pas. Certains ont été indemnisés plus longtemps que d’autres. Mais pour tous, il a fallu attendre presque sept ans pour retrouver son logement.
La température en sous-sol a dépassé les 600° à l’intérieur du parking. Conséquence, la dalle entre le -2 et le -1 s’est écroulée (...) Les travaux ont été hors norme.
Hervé Rigal, syndic de l'immeuble
Le feu a pris dans le parking le 10 janvier 2018, au milieu de la nuit. L’expertise a pointé la responsabilité d’un véhicule qui s’est embrasé. Cette recherche de responsabilité, a fait perdre deux ans aux propriétaires car elle a figé la situation. « Il a fallu aussi deux ans pour des travaux pharaoniques en sous-sol, nous explique Herve Rigal, le syndic de l’immeuble, Loiselet & Daigremont. "La température en sous-sol a dépassé les 600° à l’intérieur du parking. Conséquence, la dalle entre le -2 et le -1 s’est écroulée, les voitures du -1 sont tombées au -2, venant réalimenter le brasier. C’est toute la structure qui a été touchée, il y avait des fissures larges comme mon bras. Les travaux ont été hors norme. Cet immeuble date des années 60. Il est construit sur une dalle. Ces deux éléments rendent encore plus compliqués les réparations. Il a fallu deux ans pour consolider le sous-sol et refaire des parkings. C’était très impressionnant au sous-sol".
Chaudière, canalisations et oiseaux migrateurs
La chaudière de l'immeuble également a dû être réparée et là encore, un enchaînement de circonstances a compliqué l'affaire. "La chaudière datait des années 60 poursuit Hervé Rigal. Elle a lâché lorsque nous avons fait des travaux. Elle ne faisait pas partie du sinistre initial. Elle n’était donc pas financée. Il a bien fallu réparer mais en pleine crise du COVID trouver des entreprises a été difficile. Nous avons donc eu du mal. Comble de malchance, le prestataire choisi pour la chaudière a fait faillite. C’est encore plus difficile de trouver une entreprise quand les réparations ont été commencées par un autre. Grâce à une enveloppe de travaux supplémentaires, la chaudière a été financée. Mais cela nous a fait perdre encore beaucoup de temps. Il y a eu aussi les canalisations. En remettant en service, on s’est aperçu qu’il y avait des nombreuses fuites. Il fallait repasser dans chacun des appartements, trouver une solution économiquement viable. Et si je vous dis que des oiseaux migrateurs rares, ont choisi de nicher sur le toit de l’immeuble, et que cela nous a fait perdre encore quatre mois… C’est difficile à croire !"
L’assureur de la copropriété, c’est sa mission, a pris en charge toutes les conséquences du sinistre : travaux au sous-sol, canalisation, etc. Et les dépenses ont gonflé : plus de 10 millions d’euros rien que pour les travaux et quelques millions supplémentaires pour les pertes de jouissance. Mais, au bout de deux ans, la grande majorité des propriétaires ne percevait plus d’indemnisations. Leurs assurances personnelles prévoyaient au mieux deux ans. L’échéance est vite arrivée. Certains sinistrés sont montés au créneau pour alerter sur leur situation précaire : continuer à payer des charges, des remboursements de prêt, financer le loyer d’un autre appartement pour ne pas se retrouver à la rue… les difficultés se sont multipliées.
Ludivine Tapie et son mari, Serge n’ont rien lâché. Elle a mené un combat en dénonçant le manque de communication sur l’avancée des travaux. Grâce à sa détermination et celle d’autres de ses voisins, tous ont pu prétendre à trois ans de perte de jouissance supplémentaires. « Mais on s’est senti avec un couteau sous la gorge, car on nous a fait signer un protocole, nous imposant des restrictions sur nos demandes. Au lieu, dans mon cas, de toucher 1230 € par mois nous n’avions plus que 800 €. On a perdu aussi beaucoup de temps avec des travaux à refaire qui n’étaient pas bien faits » explique Ludivine Tapie. Pour le syndic, Axa n’était pas obligé de prolonger cette indemnisation au-delà des deux ans. « Mais, satisfaire tout le monde est difficile, nous confie Wanda Ciak, présidente du conseil syndical de la copropriété depuis un an. Son rôle en tant que bénévole a été aussi de recueillir les doléances de plus 67 propriétaires et de faire l’interface entre les entreprises et le syndic. Elle attend avec impatience que tout le monde soit bien installé.
En ce printemps 2024, l’avenir s’éclaircit sur la dalle de Choisy-le-Roi. Les petits arbustes récemment, plantés au pied de l’immeuble veulent symboliser un renouveau, un nouveau départ. Mais il faudra encore du temps, pour se réapproprier les lieux, s’y sentir en sécurité. Dans son appartement encore en travaux, pour quelques longues semaines encore, Ebrahim Shalom tempère :"récupérer les clés d’un appartement, c’est une chose, y habiter, en est une autre».