Débats avec des auteurs, ateliers de lectures... Depuis le mois de septembre, des personnes en détention à la maison centrale de Poissy dans les Yvelines participent au Goncourt des détenus. Rencontre avec l'écrivain Thomas Clerc, en lice pour le prix, autour d'un café littéraire.
"J'ai aimé plein de passages de votre livre. Par exemple, lorsque vous parlez du café du commerce et de sa fréquentation. Vous écrivez : 'la nuit, c'est pour les dealers, le matin pour les travailleurs, l'après-midi pour les parasites'. Ça, ça m'a fait rire !"
À proximité de la grande cour de la maison centrale où s'échauffent cet après-midi plusieurs détenus en survêtement, la salle de la bibliothèque de l'établissement pénitentiaire organise une rencontre littéraire et accueille un écrivain sélectionné pour le Goncourt 2024. Thomas Clerc, romancier, essayiste, vient présenter son dernier livre Paris Musée du XXIe siècle. Un inventaire de plus de 600 pages des lieux connus ou méconnus du 18e arrondissement de Paris.
L'ouvrage et les 15 autres livres sélectionnés pour le Goncourt 2024 sont exposés sur une table basse autour de laquelle sont assis une quinzaine de détenus, des représentants d'une librairie de Poissy, la directrice du centre scolaire de la Maison centrale et des membres du Centre national du livre qui porte l'opération le Goncourt des détenus.
L'animateur du débat, Thomas Chardon, gérant d'une librairie du centre-ville de Poissy, entreprend de détendre l'atmosphère. "C'est toujours comme ça pendant les rencontres en détention. Il y a un premier temps où les lecteurs vont jauger l'auteur, ou l'auteur prend possession de l'endroit", explique-t-il.
Des lecteurs assidus
Dès les premières minutes de la rencontre, peu de détenus prennent la parole. D'autres manifestent vis-à-vis du livre, une certaine réserve. Les langues se délient peu à peu. Une partie de ces lecteurs semble ne pas avoir vraiment apprécié l'ouvrage de Thomas Clerc.
"Je vais vous avouer que je ne l'ai pas lu, car j'ai eu trop d'avis négatifs", confie Jean-Marc (prénom d'emprunt). "J'ai lu 10 livres sur 16, mais à un moment donné, il faut faire des choix. On se rencontre régulièrement entre nous et on parle de nos lectures. Et les retours que j'ai eus sur ce livre, c'était déjà costaud. On ne lit nécessairement pas un livre sur lequel on a des mauvais retours. Moi, j'ai plutôt adoré Madelaine avant l’aube de Sandrine Collette. J'aurais aimé rencontrer l'auteur", ajoute-t-il.
Les détenus présents cet après-midi autour de Thomas Clerc ne partagent pas la même expérience à la lecture. Certains, comme Laurent, sont des lecteurs assidus depuis de nombreuses années. "Moi, je suis un gros lecteur. Je peux prendre la saga Harry Potter et lire les sept tomes en un week-end sans problème. J'ai 34 ans. Voilà 15 ans que je suis en prison, je suis bientôt libérable."
La lecture aujourd'hui, c'est devenu presque un mode de survie.
Laurent, un détenu
D'autres détenus ont découvert très récemment le plaisir de la lecture. "J'ai adoré voir des gars qui ne lisaient pas jusqu'à il y a deux ans. S'intéresser à un auteur comme Thomas Clerc", se félicite Thomas Chardon. Au-delà du Goncourt, ce libraire engagé, organise toute l'année à Poissy des prix littéraires et collabore avec centre scolaire de la Maison centrale. Des rencontres avec des auteurs et des débats littéraires se tiennent régulièrement dans l'établissement pénitentiaire.
"Ça fait sept ans maintenant que je les connais et je vois leur évolution sur leur lecture. Ils arrivent à parler des livres. Pendant ce café littéraire, Monsieur S. riait beaucoup. Il y a encore un an, ce détenu ne lisait pas de livres et là, il prend la parole en public sur un livre en se disant : 'je suis crédible', 'je peux le faire'. Je peux donner mon avis. Cet avis, il compte autant comme un avis donné par un lecteur à l'extérieur" de la maison centrale.
Comme 600 autres prisonniers, Monsieur S. fait partie aujourd'hui du jury du Goncourt des détenus. 45 établissements pénitentiaires en France participent à cette opération qui se conclura le 17 décembre au Centre national du livre. Le lauréat 2024 y sera proclamé. Avant cela, dans chaque établissement participant, les détenus volontaires ont la tâche de lire et choisir parmi les 16 titres proposés, trois ouvrages. Cette sélection sera ensuite défendue par un représentant de l'établissement lors d'une délibération régionale.
Selon les ministères de la Justice et de la Culture, le prix Goncourt des détenus, organisé depuis trois ans vise à "renforcer l’accès de la population pénale à la culture et à la lecture, qui sont des leviers de réinsertion sociale et professionnelle."
Le choix des détenus
À la maison centrale de Poissy, la rencontre avec Thomas Clerc aura duré deux heures. Les détenus et l'auteur se sont pris au jeu des questions/ réponses sur "l'évolution sociale et culturelle" de Paris et l'animateur a eu un peu de mal à conclure ce café littéraire au milieu des éclats de rires. "Je les ai trouvés intéressants et intéressés. On sent que ce sont des gens qui parlent à partir d'une certaine épaisseur de vécu. La littérature, ils la prennent en tout cas pour quelque chose de sérieux", déclare Thomas Clerc qui intervient pour la première fois en milieu carcéral.
Le lendemain, la bibliothèque de la maison centrale reçoit un autre auteur. L'invité n'est autre que le lauréat du Goncourt 2024, le Franco-Algérien Kamel Daoud pour son roman Houris sur la décennie noire en Algérie. Un moment très attendu par Laurent qui espère que cet après-midi littéraire sera maintenu, que le lauréat 2024 "ne sera pas trop accaparé par les plateaux radios et télés".
Parmi les 16 titres à sélectionner, Laurent a déjà fait son choix. "Je vais être franc, Kamel Daoud, il n'est pas mon top 1, il n'est même pas dans mon top 3. Je suis désolé pour lui. À Poissy, c'est plutôt Madelaine avant l'aube, de Sandrine Collette qui est en tête chez la plupart des gars. Mais ce n'est pas celui-là qui est en tête chez moi, il est seulement deuxième. Mon premier choix, c'est Le club des enfants perdus de l’écrivaine Rebecca Lighieri."
"Je trouve génial de pouvoir participer au Goncourt", s'exclame Jean-Marc. "Ce n'est pas toujours évident pour nous d'avoir des livres. On n'a pas accès aux médias, on n'a pas accès aux critiques. C'est toujours compliqué de faire des bons choix de lecture."