La maison natale de Louis Poirier alias Julien Gracq vient d'être rénovée. Visite guidée avec un poème en tête. Quelques extraits pour vous donner envie de pousser la porte de la maison.
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Le reportage d'Eric Aubron et Jean-Philippe Tranvouez et Yves Quesnel.
Un balcon en forêt
Je rêve ici — nous rêvons tous — mais de quoi ? Tout, autour de lui, était trouble et vacillement, prise incertaine ; on eût dit que le monde tissé par les hommes se défaisait maille à maille : il ne restait qu’une attente pure, aveugle, où la nuit d’étoiles, les bois perdus, l’énorme vague nocturne qui se gonflait et montait derrière l’horizon vous dépouillaient brutalement, comme le déferlement des vagues derrière la dune donne soudain l’envie d’être nu.
Les rivages des Syrtes
Il y a dans notre vie des matins privilégiés où l’avertissement nous parvient, où dès l’éveil résonne pour nous, à travers une flânerie déoeuvrée qui se prolonge, une note plus grave, comme on s’attarde, le coeur brouillé, à manier un à un les objets familiers de sa chambre à l’instant d’un grand départ. Quelque chose comme une alerte lointaine se glisse jusqu’à nous dans ce vide clair du matin plus rempli de présages que les songes ; c’est peut-être le bruit d’un pas isolé sur le pavé des rues, ou le premier cri d’un oiseau parvenu faiblement à travers le dernier sommeil ; mais ce bruit de pas éveille dans l’âme une résonance de cathédrale vide, ce cri passe comme sur les espaces du large, et l’oreille se tend dans le silence sur un vide en nous qui soudain n’a pas plus d’écho que la mer.
En lisant en écrivant
Dans la fiction, tout doit être fictif… Tout grand romancier crée un « monde », Stendhal, lui, fait à la fois plus et moins : il fonde à l’écart pour ses vrais lecteurs une seconde patrie habitable, un ermitage suspendu hors du temps, non vraiment situé, non vraiment daté, un refuge fait pour les dimanches de la vie, où l’air est plus sec, plus tonifiant, où la vie coule plus désinvolte et plus fraiche, un Eden des passions en liberté, irrigué par le bonheur de vivre, où rien en définitive ne peut se passer très mal, où l’amour renaît de ses cendres, où même le malheur se transforme en regret souriant.