Préserver l'identité forte du festival sans en faire le territoire exclusif d'initiés : c'est la mission que s'est donnée Jérôme Baron en reprenant la direction artistique du Festival des 3 Continents en 2010. Rencontre avec ce cinéphile sans frontières à l'occasion des 40 ans du festival...
Le festival fête cette année ses 40 ans. Comment parvient-on à susciter chaque année le même intérêt, la même curiosité auprès du public ?Jérôme Baron. Le F3C qui a longtemps été précurseur des découvertes et de la connaissance de cinématographies longtemps éloignées des écrans occidentaux conservent aux yeux du public le bénéfice de son expertise en la matière. Cela se donne fréquemment à voir à travers des rétrospectives où de nombreux films sont inédits, rares, difficilement accessibles. C'est une marque de fabrique des 3 Continents qui est de plus en plus rare parmi les festivals français où l'inédit ne repose plus que sur l'actualité. C'était l'an passé le cas avec Shin Sang-ok ou avec la rétrospective argentine dont une bonne part provenaient de collections privées.
Et puis un festival se renouvelle aussi dans ses méthodes et ses approches, dans la manière de faire vivre l'événement à son public. On a beaucoup travaillé cela au cours des dernières en veillant à ne pas dévoyer l'identité forte du festival. Notamment, il a fallu laissé entendre que si les cinéphiles sont nombreux à Nantes, le festival n'est pas une chasse-gardée, le territoire exclusif d'initiés. Le rajeunissement de notre public au cours des dernières années témoigne d'un maintien de cette curiosité, il dit aussi selon moi qu'un festival comme celui des 3 Continents, à l'heure de la globalisation est plus que jamais un festival de son temps.
Les fidèles sont restés et d'autres par étapes sont venus les rejoindre. Mais en effet, la tranche 18-25 ans a augmenté de manière significative alors que nous n'avons pas de partenariat spécifique avec l'université de Nantes par exemple. À l'heure d'aujourd'hui, l'état du monde inquiète sur l'avenir. À l'écart des informations et images qui nous parviennent via les médias et sur une multitude d'écrans, le cinéma reste cet endroit où l'on fait ensemble l'expérience des choses perçues par une subjectivité. Il faut s'y abandonner, laisser une part de nos certitudes au vestiaire. Notre public, jeune y compris, est conscient de la valeur des regards que façonne les cinéastes sur des réalités que les médias rendent toujours plus proches d'eux.
800 films candidats, 76 sont programmés, 9 sont en compétition officielle cette année. Quels sont les/vos principaux critères de sélection ?
Nous n'en avons aucun. Si la première française est exigée, nous avons surtout l'intention de valoriser des œuvres dont la singularité nous a touchés et aussi certaines qui nous paraissent proposer des valeurs esthétiques qui nous posent question.
Le cinéma, c’est bien évidemment l’évasion, la distraction, la légèreté, mais aussi l’information, la réflexion, la gravité. Où se situe le curseur de la programmation 2018 ?
On a plutôt plaisir à le faire se déplacer qu'à pointer dans une direction exclusive. Cela nous permet de témoigner de la diversité des manifestations du cinéma comme art. Et l'art du cinéma peut être un film d'action de Tsui Hark, un projet fou argentin de quatorze heures, La flor de Mariano LLinas, qui veut tout du cinéma mais joue son programme comme une série, prendre encore la forme des chassés croisés étirés dans le temps de Tsai Ming Liang. On ne veut pas proposer des films pour tous les goûts mais plutôt au contraire faire la démonstration que chaque film peut être une aventure singulière qui ouvre le cinéma à des horizons et des pratiques variées.
Le F3C entretient de longue date une relation particulière à Taïwan puisqu'il a révélé de nombreux auteurs importants de son pays dont Hou Hsiao-hsien. Depuis quatre ans, bientôt cinq, notre partenariat avec le Taipei Film Festival se traduit par la mise en place d'un atelier de formation aux outils de la coproduction internationale que nous organisons chaque mois de juillet pour douze jeunes professionnels taïwanais. Le 40e nous semblait aussi une belle opportunité de rappeler ces complicités durables avec Taïwan, avec un ville, et son cinéma.
Vous n’oubliez pas les plus jeunes avec des films accessibles aux plus de 3 ans. Une façon de préparer l’avenir du festival ?
À mon arrivée il y a bientôt dix ans, j'ai souhaité qu'on remette à plat une bonne partie du travail de sensibilisation et d'éducation à l'image. Nous avons progressé par phases en essayant à chaque fois de proposer des outils permettant de faire des publics des écoles, des collégiens et lycéens des festivaliers à part entière. Nous y sommes fondamentalement attachés. Plaisir et savoir, savoir et plaisir sont rendus indissociables. Du moins c'est l'objectif que nous voulons nous donner.
En effet, il y en a beaucoup qui restent. Qui constituent pour moi des balises et des repères. Un certain nombre d'entre eux se retrouvent dans la programmation de cette 40e édition. J'en citerai trois plutôt qu'un : À l'Ouest des rails de Wang Bing qui depuis a confirmé être un grand cinéaste de notre temps, Inland de Tariq Teguia qui noue de manière singulière une réflexion esthétique et politique, et puis puisque nous en présentons deux cette année, il est important que le public découvre l'œuvre du cinéaste philippin Lav Diaz, partout acclamée mais rarement visible sur nos écrans.
Propos recueillis par Eric Guillaud le 19 novembre 2018
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