Difficile de savoir combien d'hommes, appelés entre 1914 et 1918 pour monter sur le front, ont fini devant un peloton d'exécution. Officiellement, ils seraient 639 à avoir été fusillés pour l'exemple et à n'être toujours pas reconnus morts pour la France.
Jean-Pierre Suaud, s'est baigné avec des camarades dans la rivière toute proche de sa tranchée. Condamné pour abandon de poste. Fusillé.
Armand Mercier, valet de ferme, revenu en Vendée pour voir sa mère. Fusillé.
Louis Le Madec, ivre lorsqu'il a été intercepté par une patrouille. Fusillé
Joseph Bertin, refus d'obéir à l'ordre de marcher à sa place dans la colonne. Accusé de se révolter. Fusillé
Il en fallait peu, pendant la Grande Guerre, pour qu'un soldat meure sous les balles de son propre régiment. Sur ordre d'un officier à qui l'on avait eu l'heur de déplaire ou par peur qu'un acte isolé de rébellion ne contamine le reste de la tranchée.
"Souvent, il n'y avait pas de raison à une exécution, rappelle Roger Lepeix, représentant du collectif pour la réhabilitation des fusillés à Saint-Nazaire. Le sort du gars était décidé un soir lors d'un conseil de guerre et au matin, il était mort. On trouvait toujours une raison ensuite. C'était l'inverse d'un procès ordinaire".
Il s'agissait avant tout de maintenir un climat de peur dans les tranchées. Un régime de terreur permanent. "Il fallait que le pioupiou ait aussi peur de sortir pour aller se battre et se faire tirer par un allemand que de se faire tuer par ses camarades" souligne Roger Lepeix. "Et pour bien marquer les esprits, tout le monde était obligé de défiler devant le corps du fusillé, en chantant, histoire d'impressionner l'ensemble du régiment".
Fusillés pour des blessures considérées comme suspectes
Le Général André Bach, historien, décédé en 2017, a consacré plusieurs années à travailler sur la question des fusillés.
Il est un des premiers à démontrer que les fusillés pour l’exemple ne l’ont pas tous été en 1917, après l'échec de la bataille du chemin des Dames, mais durant les deux premières années du conflit.
Selon lui, 60 % des exécutions ont eu lieu entre et .
Elles n'ont d'ailleurs pas toutes été commises sur le front. "Au centre de soins de Chalons-sur-Marne, de nombreux soldats ont été fusillés. Le lieu était dirigé par un certain Docteur Buy qui considérait que tout soldat blessé au pied ou à la main s'était infligé volontairement ces blessures et donc qu'il cherchait à déserter..." indique Jean-Yves Renaudineau, fondateur du GRM de Vendée, le groupe départemental de recherches sépulcrales et de mémoire historique et combattante.
"Le Général Bach évoque aussi le fait que jusqu'en 1921, tout soldat disparu dont on n'avait pas retrouvé le corps était considéré comme déserteur et donc voué à être fusillé" précise encore Jean-Yves Renaudineau.
Ce spécialiste vendéen de la Première Guerre mondiale en sait quelque chose : longtemps, son propre grand-père a été soupçonné d'avoir déserté, alors qu'en fait, il était mort sur le lieu d'une bataille.
Quant au grand-père de son épouse, nommé Pierre Nauleau, il a échappé de peu au peloton d'exécution. Fait prisonnier en août 1914, il a été condamné à mort par contumace pour désertion.
Revenu chez lui, à Challans après l'armistice, il lui a fallu se justifier et se démener pour être réhabilité. Il n'obtiendra sa carte de combattant qu'en mai 1930. Quelques mois seulement avant sa mort.
Et parce qu'il avait été aidé à l'époque dans ses démarches par la Ligue des Droits de l'homme, l'ancien poilu, se verra par deux fois étiqueté : de traître de déserteur, il passera à traître de bolchevique." À Challans, il était catalogué comme un rouge !" relève Jean-Yves Renaudineau.
Au soupçon de désertion succédera donc l'opprobre d'un engagement politique que Pierre Nauleau n'a jamais revendiqué.
Toujours pas reconnus
D'après un recensement national établi en 2014 par le ministère des Armées, 639 conscrits ont été fusillés sur ordre de leur hiérarchie. Ils seraient davantage selon l'historien Frédéric Mathieu qui a reconstitué 740 biographies.
Des morts toujours considérés comme des parias par l'État français. Seuls 220 de leurs noms sont gravés que les monuments aux morts. En 2022, le Sénat a rejeté un projet de loi visant une réhabilitation collective de ces hommes.
Les travaux d'historiens ont démontré que, dans la majorité des cas, ces fusillés sont morts sur décision arbitraire, dans la précipitation et pour une soixantaine d'entre eux, sans être passés en jugement. Malgré cela, 110 ans après le début de la Première Guerre mondiale, ces hommes sont encore considérés comme "non-morts pour la France" et condamnés à errer dans les limbes de l'histoire.
Commémorations, lundi 11 novembre 2024, à midi
À La Roche-Sur-Yon et Saint-Nazaire, des dépôts de gerbes en mémoire des fusillés auront lieu devant les monuments aux morts. Une initiative de différentes associations : La Libre Pensée-La Ligue des Droits de l'Homme-Mouvement de la Paix-Union Pacifiste de France-Association républicaine des anciens combattants.
► Pour aller plus loin :
Frédéric Mathieu, 14-18, les fusillés (éditions Sébirot, 905 pages) les résultats d'une enquête minutieuse sur les traces de ces combattants fusillés par l'armée française.
André Bach, Fusillés pour l'exemple - 1914-1915, Paris, Éd. Tallandier, 2003.