Le parc éolien en mer de Saint-Nazaire est exploité par EDF Renouvelables. Mais les techniciens de maintenance ne sont pas ses seuls visiteurs. Plaisanciers, pêcheurs professionnels le fréquentent également, ainsi que les scientifiques de France Energies Marines, pour un suivi de la faune marine.
7h du matin sur le quai derrière la criée du Croisic, Olivier et Lydie, déchargent leur camionnette, déposent sacs, valises et boitiers étanches à l'à pic du Kiosga, un petit catamaran de pêche.
Christopher, le patron du bateau, attrape les sacs et les descend à l'échelle verticale puis les transmet à son matelot Stéphane qui les range dans la passerelle. Les caisses lourdes seront descendues à l'aide d'une petite grue pilotée depuis le quai.
Un chargement inhabituel pour ce palangrier du Croisic qui d'ordinaire est déjà en mer à la même heure, occupé à remonter ses lignes d'hameçons, ses bars et ses lieus jaunes.
Christopher, Stéphane et le Kiosga accueillent aujourd'hui Lydie et Olivier, les deux scientifiques de France Energies Marines pour deux journées de collecte d'informations concernant la faune marine à l'intérieur du parc éolien de Saint-Nazaire.
Les lumières du Croisic s'éloignent, le Kiosga longe la jetée du phare du Tréhic avant de mettre le cap au 215° dans la nuit noire, guidé par son GPS et la cartographie précise du champ éolien.
Des ''mouchards'' aux fines oreilles
Comme des rangs de poireaux ou des arbres de pépinière, les éoliennes sont alignées et portent chacune une référence.
A5, B13 ou E12... les éoliennes qui intéressent l'équipage du Kiosga sont identifiées sur la carte marine, ainsi que les coordonnées exactes des capteurs immergés. Depuis plusieurs mois, ils ont été lestés puis déposés au fond de l'eau, par 15 m à 30 m de profondeur.
Nous sommes ici au coeur du champ éolien de Saint-Nazaire, et si les éoliennes se ressemblent toutes et que la mer est partout la même, au fond de l'eau, c'est différent.
Le plateau dit ''de Guérande'' est un plateau rocheux, parfois nu, parfois couvert d'algues, et par endroits, couvert de sédiments. Ici ou là, en fonction de plusieurs paramètres, telle éolienne a été choisie par les scientifiques pour être au coeur d'un suivi scientifique, grâce à des ''mouchards'' aux fines oreilles.
En effet, trois capteurs acoustiques, intégrés chacun à une bouée identifiée, ont été disposés en triangle autour de cette éolienne. Mission : capturer et enregistrer les signaux acoustiques émis par tel poisson ou tel crustacé, préalablement marqué et identifié.
Un émetteur acoustique ainsi qu'une étiquette d'identificatioin se déplacent avec l'animal et, lorsque celui-ci passe dans le spectre du récepteur immobile au fond de l'eau, l'information acoustique est perçue par le capteur.
Le tout se passe sur une fréquence de 69 Khz, commune aux récepteurs de France Energies Marines mais aussi d'autres laboratoires scientifiques tels qu'Ifremer ou d'autres structures européennes.
Un suivi acoustique pour quoi faire ?
Le projet est récent. Tout comme le parc éolien. Rien de tel n'a été étudié scientifiquement auparavant. Il n'y a donc pas d'antériorité ni d'historique. Pour cette raison, Lydie Couturier, chargée de cette mission au sein de France Energies Marines, ne tirera aucune conclusion scientifique avant de nombreuses années.
Mais les quelques mois qui se sont déroulés depuis l'inauguration du parc éolien de Saint-Nazaire, en septembre 2022, permettent d'envisager des choses intéressantes.
Plusieurs espèces d'animaux marins ont été choisies pour participer à cette opération. La raie brunette, la roussette (plus petit représentant de la famille des requins), le homard font partie des espèces retenues.
L'horizon marin a changé, mais sous l'eau aussi, ça bouge
Quand on part en mer, tôt le matin, on n'a plus l'impression de partir en mer, car en face de nous, c'est une vraie ville flottante, ces éoliennes et leurs lumières
Christophe QuéménerPatron-pêcheur du Kiosga, bateau de pêche du Croisic
Christopher Quemener est un patron-pêcheur croisicais, son catamaran de pêche est idéalement stable sur l'eau pour les scientifiques qui effectuent leurs missions à bord plusieurs fois par an. Il s'intéresse bien sûr à la ressource halieutique et au monde marin, il a déjà observé des évolutions depuis l'arrivée des éoliennes au large du Croisic, en 2022.
Par exemple le pagre. Ce poisson avait quasiment disparu du secteur et voilà que le Kiosga en pêche à nouveau au sein du parc, des gros spécimens en plus. Mais aussi des dorades grises, des dorades royales, qui viennent se régaler des moules qui ont déjà adopté les monopiles des éoliennes comme nouvel habitat.
Pêche et éolien en mer : une bataille navale évitée
L'arrivée des 80 éoliennes sur le plateau de Guérande n'a pas eu lieu sous les applaudissements des marins-pêcheurs qui, jusque là, n'avaient pas à partager leur territoire. Mais puisque le projet était validé et en annonçait d'autres, les professionnels de la pêche ont décidé de rester dans la boucle, de participer aux débats, aux discussions et de faire valoir leurs intérêts.
À ce titre, une partie de la taxe éolienne vient de leur être versée, pour les Pays de la Loire, elle s'élève à 1,8 million d'euros, au titre du parc de Saint-Nazaire. De quoi mener des projets concrets de communication, de formation et de préparation à la pêche de demain.
Des confrontations ont eu lieu également sur d'autres parcs comme celui de Saint-Brieuc, dont la baie abrite une des principales ressources en coquilles Saint-Jacques.
Mais au final, les compromis sont inévitables, entre des industriels portés par les décisions politiques nationales qui visent à réduire la dépendance énergétique et les marins-pêcheurs, acteurs de l'alimentation humaine et amoureux de la mer, mais condamnés désormais à la partager.
Un regard local qui deviendra continental
Les activités humaines ne sont jamais neutres et les choses évoluent déjà, au sein du parc éolien de Saint-Nazaire, premier parc éolien au large en France. Les premiers observateurs le confirment. Reste à quantifier et mesurer les mouvements des animaux marins, poissons, crustacés, plancton...
Des incidences entre la présence des éoliennes, le champ électrique du parc et l'environnement marin seront peut-être identifiées. Tout comme l'arrivée de nouvelles espèces ou l'interaction entre le parc éolien de Saint-Nazaire et celui à venir de Yeu-Noirmoutier.
Comme l'étude scientifique en est à ses débuts, il n'y a pas d'antériorité de données. Pour mesurer l'évolution des présences et mouvements de la faune marine, il faudra des années. Mais l'énergie éolienne permet le financement de ce suivi par des scientifiques.
France Energies Marines implante des capteurs acoustiques sur les parcs éoliens du Calvados, de Saint-Brieuc, de Saint-Nazaire et de Yeu-Noirmoutier. Les pêcheurs, comme les industriels, auront accès aux informations relevées dans ces parcs, au même titre que les scientifiques de France Energies Marines, et bien d'autres.
Ifremer ou d'autres laboratoires européens travaillant sur la même fréquence :(69 kHz), Lydie Couturier peut par exemple détecter la présence d'une alose au large du Croisic alors qu'elle a été marquée ou repérée préalablement dans une rivière en Belgique et signaler l'information à ses homologues belges. À terme, l'ambition est de regrouper l'ensemble de ces informations scientifiques à l'échelon européen.
Comme les parcs éoliens en mer sont en constante évolution, notamment dans le nord de l'Europe, l'ambition repose sur de réels potentiels techniques et financiers.
L'idée est d'apprendre et d'apprendre encore sur les déplacements de ces animaux, impactés ou non par la présence des éoliennes, des sous-stations électriques et des câbles sous-marins.
Il en va non seulement de l'avenir de la pêche, mais aussi de l'exploitation des ressources marines (alimentation, énergies, produits dérivés) et plus largement de l'humanité.
Le reportage à bord du Kiosga, de Christophe François et Fred Grunchec, avec leurs interlocuteurs Lydie Couturier de France Energies Marines et Christopher Quéméner, pêcheur du Croisic