Abus sexuels sur mineurs dans l'Église catholique. "C’était un Dieu, et j’étais sous son emprise", deux victimes d'un même prêtre témoignent

Deux ans après la publication du rapport Sauvé sur les abus sexuels commis dans l’Église et la mise en place de l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation, deux victimes nantaises d’un même prêtre ont obtenu réparation. Elles reviennent pour nous sur le calvaire qu’elles ont enduré pour faire reconnaître ce qu’elles ont subi.

Il s’introduisait dans les familles en douceur. Auréolé d’un charisme et d’une aura qui ne souffraient pas le moindre refus, la moindre dérobade.

Plus de vingt-cinq ans après, ses victimes* saluent d’ailleurs toujours son intelligence, "brillante", son caractère "passionné et convaincant" mais aussi sa capacité à les valoriser.

"Sa technique était d’"épouser" les familles. Il repérait les fratries, les pères absents. Chez moi il connaissait tout le monde, mes cousins, mes tantes. Ma mère évidemment". Emmanuel, orphelin de père depuis ses six ans, entre tout juste dans l’adolescence lorsqu’il rencontre Charles-Antoine Galbaud du Fort.

Aumônier, ce prêtre est alors l’un des animateurs les plus dynamiques du diocèse de Nantes.

Cultivé, il s’impose comme un mentor pour le lycéen nantais. "Il m’a fait travailler le latin, les maths, il me faisait du bien intellectuellement, socialement. Être reconnu par Charles-Antoine, c’était être sur un piédestal. C’était un prêtre qui comptait à l’époque, et tout le monde le connaissait. Dans Nantes c’était un Dieu…et j’étais sous son emprise".  

Un premier signalement en 1996

Une dizaine d’années plus tôt, c’est sur Dominique (le prénom a été changé, NDLR) que le prêtre avait jeté son dévolu.

Dans sa famille, catholique, traditionnelle, le père est autoritaire, mais il est aussi physiquement et moralement diminué après une agression qui l’a laissé handicapé. Le curé devient en quelques mois le soutien, l’ami providentiel.

"Charles-Antoine dormait à la maison, il dinait chez nous, c’était le bon copain, de temps en temps il m’invitait au resto, au cinoche... tout ce que je ne faisais pas avec mes parents. Il a même donné des cours d’italien à un de mes frères qui ensuite a pu passer son bac en italien", se souvient Dominique.

La première fois que cela s’est passé, c'était un soir où il dormait à la maison

Dominique

Victime du père Galbaud du Fort

"La première fois que cela s’est passé c’était un soir où il dormait à la maison, Il est rentré dans ma chambre et s’est glissé dans mon lit. Les chambres de mes frères et de mes parents étaient juste à côté. Immédiatement, j’ai pensé : si je dis quelque chose je déclenche un scandale, donc je ne dis rien. Il y a une forme de sidération, une emprise curieuse, tu es embarqué dans un truc que tu ne dis pas, de peur de faire de la peine à tes parents". Cette "relation" durera plusieurs années, jusqu'à ce que Dominique quitte Nantes.

Mais le secret est lourd à porter, il s’avèrera impossible à assumer même si Dominique redouble de cynisme et de dérision pour mieux mettre les viols répétés à distance.

"Les années ont passé, j’ai vécu avec une femme, je picolais pour assumer… pour oublier et puis je l’ai revu…on était en 1996".

S’ensuit alors un premier signalement. Ce sont ses parents qui en sont à l’origine. "Ils sont tombés des nues", relate Dominique, mais sont quand même allés voir l’évêque d’alors. Mon père était furieux. Il a envoyé un fax pour rencontrer l'évêque au plus vite".

"Ils se sont vus et quand mon père est rentré, il m’a annoncé que Charles-Antoine allait être envoyé dans un monastère, dans le sud de la France. Il ne t’embêtera plus m’a-t-il dit. L’affaire est réglée, on n’en parlera plus".

Circulez, il n’y a plus rien à voir, à dire…silence.

Dominique se sent alors dépossédé de sa condition de victime. "Dans l’histoire, c’est mon père qui était la victime, parce que ce prêtre, il l’avait accueilli chez lui et qu’il avait trahi sa confiance. Moi je ne comptais pour rien, en tout cas il ne fallait surtout pas en parler. Mon père m’a culpabilisé me faisant croire que j’étais responsable de ce qui s’était passé. Ma mère en revanche m’a toujours soutenu".

Quand j’en ai parlé, j’ai eu l’impression qu’on me renvoyait l’idée que je m’étais mal débrouillé.

Dominique

Victime du père Galbaud Du Fort

"Charles-Antoine a tenté d’approcher un de mes frères qui l’a repoussé…moi je n’avais pas su. Après j’ai appris que d’autres garçons avaient été sous son emprise, une emprise telle qu’ils avaient été incapables de dire quoi que ce soit".

Une enquête ouverte en 2018, mais pas de procès

Pendant plus de vingt ans, Dominique a tenté d’évacuer ces viols avec des plaisanteries, pour dédramatiser.

"Mais en 2018 tout cela ça m’a rattrapé, tout m’est revenu. J’ai reçu un coup de téléphone d’un commissaire de police de Limoges qui m’a indiqué que mon nom était remonté dans une enquête pour viols concernant ce prêtre. Il m’a demandé de témoigner…ça s’est passé à Waldeck (Rousseau, le commissarait central de Nantes, NDLR), dans une pièce ou des fers étaient rivés dans le bas des murs…une salle d’interrogatoire c’est tout ce qu’ils ont trouvé".

Mais au moins, pour la première fois, sa parole est entendue et crue.

"La chance" que j’ai eue, souffle Dominique,  c’est  de tomber sur un prêtre qui a reconnu les faits. Mais s’il avait contré la plainte, s’il avait estimé que je l’avais diffamé, ça aurait été sa parole contre la mienne et là…"

C’est à l’occasion de cette enquête que Dominique apprend que le prêtre est passé par Rome, Sautron, Nantes, Bordeaux (où il aurait été placé en retraite spirituelle et psychologique) puis il est revenu dans le circuit et envoyé à Limoges. "Là, il a été nommé responsable des scouts".

"Il a été dénoncé à son évêque. À cette époque-là, le cardinal Barbarin avait été placé en garde à vue, les histoires de viols et de pédophilie, jusqu’ici couvertes par l’église commençaient à sortir…"

Dominique prend conscience qu’il n’est pas le seul touché, que l'ecclésiastique aurait multiplié les viols et les agressions sexuelles avant de devenir prêtre puis tout au long de son parcours, au gré de ses mutations.

En 2018, je ne pouvais plus porter plainte, car pour mon cas, il y avait prescription. Le seul moyen d’y échapper c’est que ma plainte soit accolée à des plaintes plus récentes.

Dominique

Victime du père Galbaud du Fort

"Malgré les témoignages recueillis, aucune de ses victimes n’a porté plainte, c’est dire le poids de l’église. Mais j’ai tout de même appris par ce commissaire de police que son mode opératoire était toujours le même. Il repérait des familles en difficulté, dont le père était absent, c’était le cas du mien en quelque sorte, ou mort et il s’y introduisait".

Un bras de fer avec l’église pour exclure le prêtre incriminé

Si 2018 est une année décisive pour Dominique, pour Emmanuel, cela interviendra deux ans plus tard. Après vingt ans de souffrance, de silence, de thérapie.

"Moi, j’ai dénoncé les agissements de Charles-Antoine Galbaud du Fort, en août 2020 auprès de l’évêché de Nantes, de l’évêque de Limoges et de l’archevêque de Bordeaux. Je leur ai adressé une lettre en ces termes : je suis victime, je peux parler, comment pensez-vous pouvoir m’aider ? ».

Le quadragénaire attend toujours une réponse à sa missive. Il est cependant reçu à l’évêché de Nantes.

"On m’affirme alors que des mesures conservatoires ont été prises à l’encontre de ce prêtre mais cela s’avèrera faux".

Emmanuel Bailhache, apprendra en effet, qu’en fin d’année 2020, quelques mois après avoir dénoncé une nouvelle fois les atteintes sexuelles du prêtre, celui-ci a concélébré une messe en Vendée. Il continue donc à avoir un rôle au sein de l’église. Comme si de rien n’était.

Mais Emmanuel ne lâche rien.

Si dans son cas, comme dans celui de Dominique, les faits sont avérés, la prescription empêche tout procès, tout jugement, il estime que c’est à l’Église de condamner son agresseur...mais soupconne qu'elle ne fera rien tant qu'elle n'aura pas, dit-il, "le couteau sous la gorge".

De fait, face à l’inertie de l’institution, Emmanuel s’expose dans les médias, dénonce l’entre-soi ecclésiastique, l’omerta qui prévaut.

Mois après mois, il multiplie les interventions, pointe les manquements et les mensonges de la hiérarchie ecclésiale, devient "l’empêcheur de tourner en rond". Il ressent alors toute la lourdeur d’un système qui refuse de reconnaître et d’écarter des prêtres qui ont pourtant avoué leurs crimes.

"L’église est en plein déni. Ils commencent par nier, ils rassurent la victime en disant prendre des mesures conservatoires mais rien n’est fait. Ils ne vous intimident pas directement, ils vous découragent et vous écœurent. Il faut tout écrire, tout vérifier, tout recouper. Les rares qui s’y frottent laissent tomber, car ça prend un temps de malade. Pendant 18 mois, durant mes soirées, mes nuits, mes week-end et vacances, je n’ai fait que ça".

Mais sa détermination finit par payer. Après un long combat, solitaire (car sur les neuf victimes contactées par Emmanuel, seule une autre personne a porté plainte), en septembre 2021, Emmanuel Bailhache réussit, à "contraindre" (ce sont ses termes), l’évêque de Nantes, Mgr Percerou d’intenter un procès canonique à l’encontre du prêtre.

Je mesure (...) combien l'Église a failli. Je sais aussi que rien ne pourra totalement réparer ce que vous avez subi et qui a impacté lourdement votre vie.

Monseigneur Percerou

Evêque de Nantes

Ce procès canonique, décevra autant les plaignants qu’ils l’auront espéré.

"Nous avons été entendus par un ancien évêque, un prêtre juriste et un scripte chargé de recueillir nos propos, raconte Dominique. Les personnes qui nous font face sont incapables de prononcer les mots viols ou pédophilie. Ils évoquent le drame, les événements, ils n’ont pas dans leur vocabulaire les vrais mots. Lors de cette instruction canonique j’apprends que tous les évêques savaient pourquoi il avait été renvoyé de Nantes, donc quand l’évêque de Limoges l’a nommé à la tête des scouts, il savait. Ça me remplit d’une grande colère".

Finalement, le procès canonique fera long feu. À quelques jours du rendu du jugement, le père Galbaud du Fort a décidé de renoncer à la cléricature. En avril 2022, Il a démissionné et sa démission a été acceptée par le pape.

Le prêtre s’est exclu lui-même de l’église. Il ne peut donc plus être jugé en tant que tel. Revenu à l’état laïc, les faits étant prescrits, il ne sera plus jamais inquiété. Le dossier est clos**.

LIRE AUSSI. "Faire œuvre de réparation", deux ans après le rapport de la CIASE, les mesures du diocèse pour prévenir la pédocriminalité

À l’heure de la reconnaissance et des réparations, quel espoir pour les victimes ?

En 2021, Dominique comme Emmanuel ont, bien entendu, été interpellés par la démarche de la Ciase (Commission d’Instruction des Abus Sexuels dans l’Église).

Attentifs à la mise en place de l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr) suite à la publication du rapport  Sauvé, ils ont été parmi les premiers à se manifester auprès de la commission pour obtenir réparation.

"À ce moment-là, je n’ai qu’une idée en tête : qu’il paye, se souvient Dominique. Alors tu témoignes et puis tu attends. Tu sens que les gens des commissions sont là pour t’écouter, mais surtout pour juger, définir si tu es une bonne ou une mauvaise victime". 

Même si tu débarques avec une plainte pour un procès canonique qui est en soit une preuve, ou un témoignage auprès de la police, cela ne suffit pas.

Dominique

Victime du père Galbaud du Fort

Dominique a notamment été entendu par une psy spécialiste de l’enfance maltraitée. C’est sur son rapport que la commission a statué. "C’est elle qui décide si tu corresponds aux bonnes cases".

"Ce qui m’a choqué c’est la formule qui m’a été dite quand on m’a appris que j’allais obtenir réparation : "La commission décide de vous croire"… C’est pour le moins maladroit" commente-t-il.

En mars dernier, Dominique touche l’indemnité maximale (60 000 euros, NDLR. "C’est comme ça que j’ai appris que j’étais une super victime" relate-t-il d’un ton triste teinté d’amertume.

Malgré la somme, malgré la reconnaissance des faits, des viols que lui et d’autres ont subis, Dominique reste marqué à vie.

"J’ai beaucoup de mal à faire confiance, j’ai sombré dans l’alcool au point de faire deux séjours en cure, ma vie amoureuse est une cata. Comment peux-tu reprendre confiance en toi après ça ?".

Si le rapport Sauvé et la commission de réparation de l’Inirr ont permis de lever le voile sur les exactions commises par des prêtres  ou des responsables catholiques, Dominique reste persuadé que de nombreux cas restent encore sous les radars.

"Quand j’ai commencé à parler de mon histoire autour de moi, c’est incroyable le nombre de personnes qui m’ont dit avoir subi la même chose ou qui m’ont indiqué avoir entendu parler de tel lycée qui avait eu un aumônier pas net ou de tel curé qui prenait sa douche nu avec des gosses…chez les scouts notamment c’est énorme".

Emmanuel, lui, avoue avoir été soulagé quand il a témoigné auprès de l’Inirr, il souligne la qualité d’écoute de ses interlocuteurs.

"Ils entendent les victimes, leur proposent de les accompagner de les indemniser de les réparer globalement. Quand l’Inirr me dit on vous croit, après une enquête de vraisemblance, vous êtes forcément soulagé… parce que vous finissez par vous faire des films. À force, vous doutez d’avoir vécu ça pendant 7 ans. Parce que ça remonte à plus de 25 ans".

Pour Emmanuel et Dominique, les blessures sont toujours vives. La colère, aussi, toujours présente.

Ce que fait l’Inirr est nécessaire et ils ont le mérite de travailler sur le fond. Mais en aucun cas cela ne va éviter que cela se reproduise. Il faut avant tout que l’église ait le courage de ne pas nommer des prêtres pédophiles

Emmanuel Baihache

Victime du père Galbaud du Fort

"Les bénévoles de l’Inirr sont de bonne foi, ils écoutent, apportent leur soutien, font ce qu’ils peuvent… Ce n’est pas eux le problème, c’est l’institution.

Dominique

Victime du père Galbaud du Fort

Pour moi, il n’y aura aucune réparation digne de ce nom tant que l’Église catholique ne reconnaîtra pas qu’elle est une organisation qui protège des criminels et qu’ils n’auront pas fait le ménage, tant qu’ils continueront à masquer les choses, à protéger leurs prêtres" souligne Dominique.

Dominique attend toujours de la part de l’institution une déclaration officielle, et au-delà des excuses, des actes, mais il reste dubitatif.

"Ils ne sont pas près de le faire, ils continuent à se protéger entre eux".

Emmanuel Bailhache, lui, continue de combattre, d’accumuler témoignages et des preuves contre les prêtres dont il sait qu’ils ont commis des exactions similaires à celles qu’il a subies. "Mon objectif, c’est de faire en sorte que les potentiels prédateurs actuels ne se sentent pas en sécurité en se disant que l’évêque et la hiérarchie vont les couvrir".

*L'agresseur n'a pas été condamné par la justice car les faits étaient prescrits. Il est donc présumé innocent. Malgré tout, l'église elle-même reconnaît à Dominique et Emmanuel le statut de victime de ce prêtre. Nous avons donc choisi de ne pas accoler le terme de "présumée" à celui de "victime".

**Nous avons contacté Charles-Antoine Galbaud du Fort. Il n’a pas souhaité s’exprimer. Il nous indique que pour lui ce dossier appartient au passé, et qu’il est clos tant au plan de la justice civile que religieuse.

→Pour contacter l'Inirr: contact@inirr.fr

L'actualité "Faits divers" vous intéresse ? Continuez votre exploration et découvrez d'autres thématiques dans notre newsletter quotidienne.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
Pays de la Loire
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité