De Chaplin à Charlot, la vie d'une étoile du cinéma racontée par le Nantais Bruno Bazile et le Belge Bernard Swysen

Tout le monde connaît Charlot. Mais qui connaît vraiment son créateur ? Avec Bernard Swysen au scénario, le Nantais Bruno Bazile vient de retracer sa vie dans une BD parue chez Dupuis. Nous l'avons croisé à l'exposition Chaplin du Musée d'arts de Nantes. Interview et déambulation...

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Il a marqué l'histoire du cinéma comme peut-être aucun autre acteur ou réalisateur l'a fait, Charlie Chaplin est aujourd'hui une icône mais aussi un mystère tant sa personne a été éclipsée par son personnage fétiche, Charlot.

À l'occasion des 130 ans de sa naissance, deux expositions lui rendent hommage en France, la première à La Philharmonie de Paris, la deuxième au Musée d'arts de Nantes.

L'occasion était trop belle, c'est au cœur de cette exposition au Musée d'arts de Nantes que nous avons donné rendez-vous au dessinateur nantais Bruno Bazile, auteur avec Bernard Swysen d'une biographie absolument passionnante de l'artiste.

En interview mais aussi tout au long d'une déambulation à travers l'exposition, Bruno Bazile, en fin connaisseur, nous révèle un Charlie Chaplin insoupçonné. Il raconte la vie de l'artiste qui ne fût pas un long fleuve tranquille, ses films, la création de son personnage de Charlot, ses femmes, sa solitude, son départ des États-Unis au moment du Maccarthysme... Il réagit à l'exposition bien sûr, aux œuvres et artistes exposés, Chagall, Alexander Calder, Fernand Léger, Man Ray ou René Magritte. Enfin, il nous parle de sa bande dessinée, de son travail de dessinateur, de ses propres influences...

Charlie Chaplin dans l'œil de Bruno Bazile, c'est ici et maintenant...

Quand et comment as-tu découvert le personnage de Charlot ?
Bruno Bazile. Quand j'étais enfant, les films dits burlesques, les Laurel et Hardi, les Buster Keaton ou les Charlot, passaient souvent à la télévision, ils étaient utilisés comme des bouche-trous, comme des interludes. C'est là que j'ai découvert Charlot, à la télévision...

De la même manière, quand et comment as-tu découvert le réalisateur et acteur Charlie Chaplin ?
Bruno Bazile. C'est à la fac d'art plastique option cinéma cette fois, à Rennes, dans les années 80. Chaplin est un incontournable, comme Wells ou Renoir. Il y avait un prof, Jean-Pierre Berthomé, que les Nantais connaissent bien, grand admirateur de Jacques Demy, qui nous a fait pas mal de cours sur Chaplin. C'est là que j'ai découvert le cinéaste, là, que je suis passé dans un autre monde. J'ai découvert que l'homme n'était pas seulement acteur mais qu'il était aussi metteur en scène, qu'il était danseur. Un peu plus tard, j'ai découvert qu'il était aussi compositeur, qu'il réalisait sa musique, en tout cas qu'il la fredonnait et qu'il l'a faisait écrire, réécrire, par les musiciens. 
 Que t'inspirait le personnage de Charlot lorsque tu étais enfant ? 
Bruno Bazile. Le côté muet, le côté personnage qui marche trop vite, le côté tarte à la crème... il y avait un côté désuet et parfois même un peu ringard dans tous ses courts métrages qui passaient à la télévision. C'est terrible à dire aujourd'hui alors que Chaplin est dans un musée mais, oui, on les regardait un peu de haut. Après, j'ai découvert les longs métrages...

Comment est né le projet de cette bande dessinée réalisée avec Bernard Swysen ?
Bruno Bazile. C'est Bernard Swysen, le scénariste, qui a eu l'idée. Il est spécialiste des biopics, des biographies en bande dessinée, il en a fait sur Victor Hugo, il en a fait sur pas mal de personnages. Il a lancé une collection sur les méchants de l'histoire qu'il a fait dessiner par des auteurs différents. Il semblerait que ça ait bien marché, il s'est donc spécialisé dans les véritables histoires vraies comme il dit avec humour et le Chaplin qu'on a fait ensemble est le premier d'une collection dans laquelle vont sortir très bientôt un Marilyn Monroe et un Brigitte Bardot. 
Pourquoi cette envie, ce besoin, de raconter la vie de Chaplin ?
Bruno Bazile. Je crois que Bernard trouve l'homme extraordinaire. Il est vrai que sa vie est un roman, il y a des rebondissements extraordinaires. Dans cet album, on a énormément développé l'enfance de Chaplin qui éclaire sans doute la vision qu'on peut avoir aujourd'hui de ses films. Quand on voit Le Kids, on ne peut que penser à sa propre enfance. Je pense que Bernard voulait raconter l'homme derrière les films, on a beau connaître les personnages, on ne sait toujours pas qui est l'homme derrière. Or, il y a beaucoup de choses à raconter. Il y a beaucoup d'épisodes difficiles, pénibles, tout ne se passe pas comme sur des patins à roulette pour lui, certains films sont difficiles à monter, on lui met des bâtons dans les roues et puis surtout il y a la grosse cabale menée contre lui, son départ des États-Unis, son installation en Europe, en Suisse.

Quelles ont été les difficultés rencontrées dans la mise en images du personnage et de sa vie ?
Bruno Bazile. C'est un biopic, on raconte donc l'histoire d'une personne qui a existé et dont les enfants et petits-enfants veillent à ce qu'on peut dire du père ou grand-père. Il fallait donc raconter l'homme avec ses qualités et ses défauts, il fallait le faire bouger, c'est quelqu'un d'élégant, on nous a souvent dit "attention, pensez bien que c'était quelqu'un de raffiné, d'élégant, qui s'habillait bien". Il fallait donc que je le dessine toujours très soigné même au saut du lit. C'est mignon, c'est attendrissant ce regard qu'ont les enfants et petits-enfants sur l'image de leur père ou grand-père. Après, il fallait s'appuyer sur les photos qui existent, elles sont nombreuses à partir des années 20/30 mais pas avant. Pour toute la partie à Londres, sa jeunesse, on a une ou deux photos de sa mère, une photo de son père. C'était une partie très intéressante à faire parce que j'aime bien dessiner le Londres de la fin du XIX début XXe. Et comme il y avait très peu d'images de Charlie Chaplin, on ne pouvait par m'apporter beaucoup de contradictions. J'étais donc assez libre !
À ce propos, je crois que le scénario a été ausculté de très près par Kate Guyonvarch qui représente les héritiers de Chaplin...
Bruno Bazile. Les héritiers ont insisté sur une image positive de l'artiste mais il avait été dit par le scénariste que ce serait un biopic sans concession. Il fallait donc s'attendre à ce qu'on ne fasse pas que jeter des fleurs sur Chaplin.

Avais-tu une idée d'ailleurs de la vie qu'avait pu mener Chaplin avant la BD ?
Bruno Bazile. Non non, j'ai appris pas mal de choses en faisant la bande dessinée. Je ne connaissais pas tous les rebondissements, les emmerdements par exemple qu'il a eu avec les femmes, des emmerdements qu'il a bien cherché d'ailleurs. Et puis les coulisses des films. Il a fallu dessiner des tas de séquences, les débuts des studios Keystone, les débuts d'Hollywood, les studios où on tournait plusieurs courts métrages par jour avec des plateaux tournants, des menuisiers partout. Il y avait plus de gars avec des scies, avec des échelles, des marteaux et des clous que de caméras et d'acteurs. C'est sans cesse du trompe-l'œil, des panneaux coulissants, des plateaux tournants qu'on poussait avec un balai pour passer à la scène suivante. Ça, c'était vraiment drôle à dessiner, je découvrais un univers.
Qu'est-ce qui t'a particulièrement marqué dans sa vie ? Sa vie amoureuse ?
Bruno Bazile. Oui, il a vécu des moments compliqués et puis il finit par rencontrer une femme qui l'épouse pour l'homme qu'il est et non pour le cinéaste qu'il est. Donc toute la fin de sa vie est plus heureuse de ce côté-là, il devient un bon père. La fin de sa vie est malgré tout assez émouvante. C'est terrible à dire, lui qui a été si important pour le cinéma, mais ses films baissent en qualité après Monsieur Verdoux. Lui-même voit bien qu'on attend le moindre faux pas pour le critiquer et, effectivement, c'est un peu triste. Il sent que son tour est passé peut-être...

Est-ce qu'on peut dire que Charlot et Chaplin t'ont influencé ?
Bruno Bazile. Je ne vais pas me comparer aux artistes qui sont ici (au Musée d'arts de Nantes, ndlr), moi je fais modestement de la bande dessinée. Quand on m'a proposé ce projet de bande dessinée, ça me paraissait assez évident, ça me plaisait, j'aimais bien l'époque, les costumes. Et il y avait un lien entre ma culture BD et Chaplin. Son humour dans les films muets a, je trouve, pas mal à voir avec l'humour de Franquin dans les premiers Spirou et Fantasio. Au final, je ne sais pas qui des deux m'a le plus influencé mais j'avais l'impression de faire partie de cette famille-là, il faut savoir rester à sa place, modeste, mais j'avais l'impression que je comprenais bien la nature de ses gags visuels, des gags qui sont toujours tendres. Oui, ça m'a marqué et sans doute influencé...
On est loin des Aventures de Sarkozix, une de vos séries précédentes... à moins qu'il y ait un côté burlesque dans la politique ?
Bruno Bazile. On est certes dans un univers de personnages excessifs, la bande dessinée a toujours aimé les petits personnages excités qui bougent beaucoup, qui tressautent, qui ont des tics, des tics d'épaule comme Sarkozix. Et il y a ça dans Chaplin quand il tourne autour d'un réverbère sur un pied, quand il danse, quand il rebondit. Il y a comme une parenté, oui c'est possible.

Quel est le film qui t'a le plus impressionné ?
Bruno Bazile.
Ça reste Les Temps Modernes. Je le regarde régulièrement avec des enfants, mes enfants. Ils pourraient traîner la patte, un film muet, en noir et blanc.... Mais non, c'est incroyable, les jeunes rigolent au bon moment, ils fredonnent la chanson à la fin du film. Des enfants qui rient, ça marche toujours...

Merci Bruno
Propos recueillis par Eric Guillaud / déambulation enregistrée au Musée d'arts de Nantes le 8 novembre 2019

L'exposition Charlie Chaplin dans l'œil des avant-gardes est visible jusqu'au 3 février. Plus d'infos ici
L'album Charlie Chaplin est paru aux éditions Dupuis. 19,95€

 

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