Coronavirus et déconfinement : "les bus bondés et les galeries commerciales surpeuplées, très peu pour moi ! "

Le jour J approche. Le 11 mai, les citoyens retrouveront un peu de leurs libertés perdues. La possibilité de sortir enfin sans avoir à remplir une attestation. La vie pourtant ne sera plus tout à fait la même. Il y aura un avant et un après. Alors faut-il avoir peur du déconfinement ?

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Sortir, libres..on en rêve tous depuis bientôt deux mois. La faute à un sale virus, nous avons été contraints, cloîtrés, enfermés, reclus dans nos maisons avec jardins pour les plus chanceux, ou dans des appartements sans balcon pour les plus précaires. 8 semaines, à l'échelle d'une vie c'est peanuts, et pourtant, tant de choses ont changé. Il a fallu s'adapter, répondre à l'urgence, prendre conscience de la gravité du moment. Nous avons dû nous éloigner, apprendre à aimer et à prendre de soin de loin. Nous avons du composer avec la frustration.

On pourrait se dire aujourd'hui que l'on tient le bon bout, que la lumière est là toute proche, qu'il est grand temps comme dirait l'autre "de rallumer les étoiles". En réalité, nous allons remettre le nez dehors masqués et à pas de loup, avec, au dessus de la tête, cette épée de Damoclès, qu'est la crainte d'une deuxième déferlante, bien plus puissante encore que la première.

Audrey est mère d'un enfant, elle télétravaille, jongle entre courses, cuisine et devoirs depuis le 16 mars :"Anatole, 9 ans, en classe de CE2 ne retournera pas en classe avant le 2 juin. S'il y avait été, ça aurait été avec une maîtresse en distanciel et juste surveillé, deux jours par semaine, un mercredi sur deux et en travaillant seul, en autonomie.  Ce n'est pas de l'école, c'est de la garderie. En plus sans approcher ses copains, sans les toucher, en jouant à distance, pour lui c'est encore plus anxiogène que de rester à la maison. Je n'ai pas l'angoisse de la maladie mais celle de la distanciation sociale, inappplicable et incompréhensible à cet âge là".

Pas question pour cette habitante de Saint-Sébastien-sur-Loire de repartir à fond, comme si de rien n'était. Elle a conscience de vivre sur un  territoire relativement épargné, il n'empêche.

Je ne vais pas reprendre les transports communs. Les bus bondés et les galeries commerciales immenses et surpeuplées, trés peu pour moi ! - Audrey, mère d'un enfant
 

"Je n'ai pas peur de la reprise mais de la rentrée de septembre"

Stéphanie, elle, est enseignante dans une école élémentaire de Rezé, près de Nantes. "On n'a aucune nouvelle de la mairie. Il y une grosse inconnue sur les règles très strictes en matière de nettoyage. On ne sait pas si le personnel sera bien là, le jour de la reprise, s'il faudra embaucher, pour la désinfection des locaux. Moi j'ai de la chance, je reprendrai presque dans des conditions idéales, avec seulement huit élèves. Ce ne sera donc pas trop compliqué de mettre en place un certain éloignement dans la classe et de respecter les gestes barrières. Mais ce ne sera plus l'école comme avant, beaucoup de choses vont changer, il y a des choses que l'on ne pourra plus faire, ce sera très stricte.".

Et globalement les parents sont fins prêts eux aussi, deux tiers des familles ont annoncé que leurs enfants aller retourner en classe. "Pas forcément ceux qui en ont le plus besoin. Par exemple, dans des foyers où le corps enseignant soupçonne des maltraitances, pas de réponse et donc pas de retour, c'est terrible, ça c'est terrorisant. Ces cas sont systématiquement signalés à l'Inspection académique", précise Stéphanie.
L'institutrice est crevée mais elle a hâte d'y retourner et de tous les retrouver : "le distanciel, c'est épuisant. Après trois classes par jour, il faut vérifier que le travail est bien fait auprès de certains élèves, tous les parents ne peuvent pas suivre et prendre le relais. Et puis il faut préparer la classe du lendemain, passer parfois une heure au téléphone avec un enfant pour un cours de lecture. On nous dit qu'avec le retour à l'école on aura plus à gérer la distance.  Impossible pour moi de laisser tomber ceux qui ne reviendront pas. Je serai la journée en classe et le soir derrière mon ordinateur".

Si Stéphanie n'a pas de crainte pour le 14 mai, date de réouverture de son établissement, elle a de grosses inquiétudes pour la rentrée de septembre : "En matière d'apprentissage certains enfants n'ont pas avancé d'un pouce. En gros, certains retards  accumulés représentent la moitié d'une année scolaire. Il va falloir remettre tout le monde à niveau, tout reprendre, tout réevaluer".
 

"J'ai presque envie de changer de vie"

Valérie Feger, habite au Clos Toreau, au sud de Nantes, un quartier populaire, souvent stigmatisé pour sa précarité, ses trafics.

Pendant deux mois, elle a pris soin de ses voisins, fait les courses, distribué des paniers de légumes, affiché des gestes barrières en 9 langues, imprimé les attesations de sortie.

"Un lien qui avait disparu ici depuis 20 ans s'est renoué. J'ai peur que tout cela ne soit qu'une parenthèse enchantée et disparaisse dès le 11 mai, que ce fil si précieux casse d'un coup d'un seul. J'appréhende aussi de retrouver un rythme infernal au travail et toutes les obligations qui vont avec. Le boulot en fait, prend toute la place, tout le temps. Pour moi, l'idéal serait de ne travailler que 4 jours par semaine pour revenir à l'essentiel : s'occuper des miens, de ceux que j' aime. J'y pensais déjà avant le confinement. Là, c'est presque devenu vital", explique l'aide de vie.

J'ai presque envie de changer de vie, de quitter la ville et le bruit, de tout recommencer - Valérie Feger, habitante du quartier Clos Toreau.


Même pas peur, mais un peu quand même...

Eux se croient invincibles, c'est de bonne guerre et de leur âge. Dans la tête des ados, le compte à rebours est lancé. Retrouver sa bande de potes enfin, Lily, 15 ans en rêve depuis deux mois. Oui mais comment ?

Les rassemblements ne sont pas autorisés au delà de 10 personnes. Faire le tri ? hors de question, elle les kiffe tous : " J'ai un anniversaire prévu fin mai. Au départ nous devions commencer la fête dans une maison et la finir dans une autre. Au final, on va se retrouver pour un pique-nique en bord de Loire. On ne sera que 7. Et pour se dire bonjour, les bisous ?" Ah ben ça je ne sais pas trop, ça va être très bizarre au début, il va falloir s'habituer". 

Quant au port du masque : "Ok, mais si tout le monde joue le jeu, sinon ça aura l'air de quoi ? En revanche, j'aurai toujours sur moi du gel hydroalcoolique. Je sais que moi je vais tout faire pour respecter les règles, ce qui me fout la trouille, ce sont ceux qui vont faire comme avant et se lâcher dès le premier jour. Je n'ai pas envie de passer l'été cloîtrée et tout recommencer", explique l'adolescente.

A bientôt 17 ans, Maëlle se préparait à ses premières vacances en solo, sans les parents. "Avec des copains et des copines on voulait aller camper. On ne sait pas si on pourra le faire. Je devais aussi partir en Algérie dans la famille d'une amie. C'est raté !".

"Moi ce que je veux, c'est sortir, retrouver les gens que j'aime, et me préparer pour les retrouver. Ras le bol des pyjamas et des joggings. Si les bus et les tramways sont bondés, sans que la distanciation soit respectée, tant pis je marcherai. En revanche, les masques j'en porterai tout le temps dehors. C'est trop stylé !,
affirme Maëlle, toujours au top des tendances du moment, totalement accro aux influenceuses et autres youtubeuses.

 

"Construisons nos jours heureux! Pour la planète et pour l'humain"

Pendant que certains ont tourné en rond et en boucle seuls chez eux, d'autres ont joué collectif à distance. Le confinement n'a pas empêché l'engagement et la réflexion, bien au contraire. Certains militants trépignent d'impatience à l'idée de reprendre la lutte et d'inventer un nouveau monde.  30 organisations (collectifs, associations, syndicats, partis politiques) de Loire-Atlantique ont ainsi participé à l'expression unitaire "Construisons nos Jours Heureux ! Pour la Planète et l'Humain".

"Alors que le déconfinement approche, que l'ombre de la crise permanente s'élargit, différents chemins s'ouvrent pour écrire l'histoire de notre société. Certain.e.s nous invitent à un retour à l'anormal, à l'absurde de nos vies pré-confinement, lorsque l'intérêt économique s'imposait face à l'intérêt général et à notre environnement", expliquent les militants.

Pendant les prochains mois nous allons voir se succéder des injonctions contradictoires entre le retour à l'économie de marché version adaptée, chemin tracé par Emmanuel Macron, et la santé publique à prioriser pour sauver nos vies. Il faudra faire des choix. Nous affirmons que le rôle premier de l'Etat et des collectivités est de protéger l'ensemble de celles et ceux qui vivent sur leurs territoires - Attac 44

"La crise nous invite une nouvelle fois à échanger, à analyser, à débattre constamment. Parce que notre démocratie mérite mieux qu'une unité nationale aveugle. Nos 30 organisations, riches de leurs spécificités, de leurs expériences et de leurs approches diverses, s'engagent ensemble à porter dans le débat public d'autres possibles. Le capitalisme n'est pas une loi naturelle mais bien un choix politique. Des alternatives existent. Il est urgent et vital de les explorer. C'est le sens de cette tribune collective, de ces revendications communes, pour un autre chemin", poursuit ATTAC 44.

"N'attendons pas demain pour changer. Il nous faut repenser profondément notre société à l'aune des enjeux sociaux et de solidarité, des enjeux environnementaux et économiques : organisation du travail, protection sociale, fiscalité, agriculture, logement, éducation, culture, libertés individuelles et collectives, démocratie, santé, transformation écologique. Une autre voie est possible dans la gestion de la crise et pour l'après, pour une société égalitaire et inclusive. C'est ce que nous commençons à dessiner ensemble", concluent les collectifs.
 

"On a joué sur les peurs"   

"Les peurs sont au coeur même de mes consultations. La peur de la différence, de l'autre, la peur du lendemain. Les pouvoirs publics ont beaucoup trop joué là dessus, sous prétexte de rassurer, de protéger les populations. Bien sûr il faut le faire mais sans infantiliser, pour ne pas faire naître l'angoisse. On a fait comme si les individus n'étaient pas capables de se responsabiliser. On leur dit vous pouvez sortir oui mais en prenant mille précautions. On leur interdit les forêts alors que nous avons tous besoin de respirer, mais on les autorise à se jeter dans les hypermarchés. C'est incompréhensible. Sans parler des injonctions contradictoires, qui sont en fait un système de gouvernance", explique Jean-Philippe Magnen, psychothérapeute.

"La situation est aujourd'hui catastrophique pour les plus démunis et les plus isolés. Ils n'ont plus du tout envie de ressortir. Ils étaient presque plus sereins pendant le confinement, parce que tout le monde finalement était logé à la même enseigne, enfermé. Ces gens là ont besoin de s'exprimer. Je ne sais pas ce que va devenir mon métier mais je sais qu'il y a un besoin urgent de lâcher des mots et des maux. Moi je suis en libéral, mes consultations ne sont pas remboursées par la Sécurité Sociale. Il va falloir créer des cercles de paroles", ajoute le professionnel de santé.

Une part de moi rêve que toutes ces valeurs communes, ces solidarités qui sont nées partout sur le territoire, le développement des circuits courts, le vivre ensemble,  construisent le monde de demain. Cest un fait notre système économique, à bout de souffle, n'a su produire, ni masques, ni tests de dépistages, il n'est donc pas rassurant - Jean-Philippe Magnen, psychothérapeute.
 

"On a trop et mal parlé du virus"

"L'histoire du covid-19, qui a tué mais beaucoup moins que la peste ou la lèpre, on en a trop parlé et mal parlé. Le plus triste c'est que cette épidémie a augmenté les fractures sociales et numériques. Les inégalités se sont dramatiquement creusées. Pour les plus fragiles psychiquement, le retour à la réalité n'en sera que plus terrible", constate, pour sa part ,Rachel Bocher, psychiatre et cheffe de service au CHU de Nantes.

La peur s'entend mais elle est aussi fantasmée. Les gens angoissent parce qu'ils n'ont plus vu le monde extérieur. Ce monde leur semble inconnu, pourtant rien n'a changé. Le monde s'est endormi comme la belle au bois dormant - Rachel Bocher, psychiatre.

A l'approche du déconfinement il faut donc pour la spécialiste, retourner à cette vie que nous avons quittée mais qui n'a pas bougé. " Les gens ont l'impression que sans eux tout a été bouleversé. En fait, il n'y avait plus d'embouteillages, l'air est redevenu a peu près pur, et les bruits de la ville ont laissé place aux chants des oiseaux."

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