Depuis 2015, l’association Transmission de Trans-sur-Erdre produit "Dans la nuit liberté", un spectacle de plein-air consacré à la seconde guerre mondiale qui mobilise 400 bénévoles. Le documentaire "Les Passeurs de l’Erdre" rend hommage à leur talent et leur quête de sens.
C’est une nuit de la fin d’été 2020 en pleine campagne, au lieu-dit La Harie sur la commune de Trans-sur-Erdre. Une cohorte disparate tout droit surgie de la débâcle de mai 1940 avance avec peine : des familles valises lourdes à la main, des charrettes encombrées tirées par des chevaux, quelques automobiles chargées jusqu’au toit. Les têtes sont courbées sous le poids du malheur de l’exode. Retentit le bruit d’avions de chasse, puis soudain les mitrailleuses. On se jette à terre. Cris d’effrois, pleurs, gémissements, puis le silence.
La scène a beau se passer dans un champ, devant 1100 spectateurs en tribune, sa force immersive balaie le temps présent : la qualité de la reconstitution, costumes et véhicules, la mise en scène, le son et la pyrotechnie tiendront le public en haleine jusqu’au bout.
Un spectacle ? Oui bien sûr. Mais aussi une mobilisation pour faire vivre la mémoire des années les plus sombres. Le résultat est efficace, l’association Transmission qui le produit a acquis au fil des années un savoir-faire indéniable en se professionnalisant tout en préservant sa force : ses bénévoles. Elles et ils sont près de 400 à se mobiliser pour le spectacle.
A chacun son rôle, et c'est une activité qui les tient une année entière, pour une dizaine de représentations de fin août à début septembre : les mécanos révisent de fond en comble les véhicules d’époque, une armée de costumières veille scrupuleusement à ce qu'aucun bouton ne manque aux uniformes ; même les décors sont construits par des bénévoles de l’association. Et comme tous ne sont pas professionnels, Transmission leur permet d’acquérir les compétences qui leur manquent. "On même a organisé des stages de soudure" sourient Philippe Guyard et Fabien Bonneau, respectivement Président et Vice-Président devant la caméra de Christian Nadin, réalisateur du documentaire "Les Passeurs de l’Erdre".
Le résultat de cet élan collectif démesuré et sans égal ? Une qualité technique irréprochable pour déployer de grandes scènes dignes d’une fresque historique, alternant avec d’autres, dialoguées et plus intimes. Le récit est porté une galerie de personnages campés par les comédiens amateurs, et restitue avec authenticité la vie quotidienne locale de 1940 à 1944, dans les rues d’un village reconstitué sur 7 hectares avec ses commerces, son café, sa mairie, son église.
La naissance de l’association remonte à 1972. A l’époque, elle se constitue pour effectuer le chantier de rénovation d’un pont ancien de la commune. Rapidement vient l’envie de sortir Trans-sur-Erdre de sa torpeur tranquille, d'animer le patrimoine local. On organise des "Noces à l’ancienne" en costumes villageois chaque année, puis viennent les premiers spectacles historiques son et lumière.
Rois de France, Révolution Française, Jules César, Napoléon : Transmission a cultivé son goût pour les grandes figures de l’Histoire. Avec "Dans la Nuit Liberté" depuis 2015, c’est un changement de ton. La deuxième guerre mondiale, de 1940 à la Libération va se raconter telle qu’elle a été vécue par les gens d’ici, en pays d’Ancenis et en Loire-Atlantique.
Un choix qui fédère les générations. Parmi ces "Passeurs de l’Erdre" croisés au fil du documentaire, Clovis, étudiant en cinéma et figurant se sent investi pour porter un devoir de mémoire alors que les derniers témoins disparaissent. Sandra, juriste qui entre dans la peau de Rose, une résistante, ne cesse de penser à son grand-oncle mort en déportation. Et quand dans une séquence du documentaire Sandra dialogue avec Ginette, authentique résistante qui a traversé l’occupation ici-même durant son adolescence, la petite histoire vient enrichir la compréhension de la grande.
L’auteur et metteur en scène de "Dans la Nuit Liberté" Olivier Jouin a travaillé avec l’historien Etienne Gasche pour faire du spectacle une fiction utile et pédagogique. Les collèges du Pays d’Ancenis et au-delà ne s’y trompent pas, 2000 élèves assistent aux représentations chaque année.
Figurants et comédiens amateurs sont encadrés par un professionnel, Loïc Rescanière, qui prend sa fonction avec humilité et bienveillance. "Jouer à plusieurs et jouer à 300 personnes c’est réconfortant et effrayant les premiers temps ! Tu travailles avec des gens qui s’investissent pleinement et tu ne peux pas te permettre de jouer le comédien qui se la raconte".
Lui-même tient le rôle d’un officier allemand. Autour de lui gravite toute la société de l’époque. Des habitants pétainistes, résistants ou indifférents. Des soldats allemands pas tous nazis. Des archétypes certes, mais au final un récit nuancé que les bénévoles comme le public apprécient.
Cette chronique du quotidien à la manière du «Village Français » n’occulte pas l’évocation des épisodes tragiques du camp de Choisel et l'exécution des 50 otages, des maquis de La Maison Rouge ou de Saffré, ni ce que le régime nazi a produit de plus bestial. La déportation et les camps font l’objet d’une longue séquence poignante. Ginette la résistante est venue deux fois assister au spectacle. Deux fois elle n’a pu regarder cette scène.
Par son documentaire "Les Passeurs de l’Erdre", Christian Nadin rend hommage à cette aventure collective parvenue bien au-delà de ses objectifs initiaux. Tout au long de l’année, Transmission accueille des Travailleurs d’Intérêt Général, et son activité décors et costumes est en partie réalisée par des personnes en phase de retour à l’emploi.
Les Passeurs de l'Erdre, un film de Christian Nadin, une coproduction Les Films de la Découverte - France 3 Pays de la Loire
Diffusion à 22h35 jeudi 5 mai. Rediffusions à 09h50 les mercredi 11 et mardi 31 mai.