Sept personnes, exerçant sept professions différentes à travers la France, partagent un contexte commun : celui de dire au revoir à leur vie professionnelle. Entre satisfaction du devoir accompli et regrets, entre sentiment d'accomplissement et frustration, ces hommes et femmes offrent un témoignage sur un monde du travail en évolution.
Ce dernier jour, c’est d’abord un dernier petit matin avec les mêmes rituels, répétés des milliers de fois, de la cuisine à la salle de bains, de la porte qu’on referme après un dernier "à ce soir" à la voiture qu’on démarre.
Aller travailler, c’est se préparer, et c’est dans l’intimité de leur maison que Marie-Castille Mention-Schaar et sa co-réalisatrice Maëlle Couzon ont choisi de commencer leur film et présenter leurs personnages.
Leurs prénoms reflètent leur génération, celles des enfants des années soixante. Michèle, Annick, Nadine, Sylvia pour les femmes, Jacky, Gilles et Pierre pour les hommes.
Le défi de la retraite pour Jacky, le marin-pêcheur
Pour Jacky Sommessous 57 ans, marin-pêcheur à Lorient (Morbihan), tôt embarqué comme mousse dans la marine marchande, la retraite s’annonce comme un défi : s’adapter à la vie à terre. Avantage, il ne se lèvera plus à deux heures du matin. Saura-t-il pour autant prendre de la distance avec le métier de sa vie, alors que son fils reprend son activité ? On peut parier qu’il continuera de guetter la météo, on ne se refait pas.
Sylvia, la créatrice de bijoux, baisse le rideau
Le monde artisanal, c’est celui des carrières longues et des histoires de famille. Comme Jacky, Sylvia Lahesa créatrice de bijoux, a commencé à 16 ans. Son père lui a appris le métier, elle a ensuite formé sa propre fille qui finalement a changé de voie. La transmission de la boutique de Plaisance du Touch en Haute-Garonne ne se fera pas et à la fin de son dernier jour, Sylvia, 64 ans, baissera définitivement le rideau sur le savoir-faire d’une vie.
Ce dernier jour, c’est le moment de regarder le chemin parcouru depuis leur entrée dans la vie active. Leur carrière entamée une quarantaine d’années auparavant raconte le changement d’une époque et d’un monde.
Gilles, 40 ans de changements dans l'agriculture
Ainsi Gilles Carduner, 63 ans, conseiller laitier pour une coopérative à Quimper (Finistère). Rural dans l’âme, "pas passionné par les études étant jeune, plus intéressé par la fréquentation des fermes et de leurs exploitants" martèle la nécessité pour lui et le monde agricole d’avoir dû constamment s’adapter au changement.
"On est passé à une économie de marché, qui consiste à trouver des débouchés au lait dans le cadre d’une concurrence mondiale".
L'évolution du métier d'enseignant, un regret pour Annick
Ce constat d’une société qui a profondément changé, Annick Collonges, 59 ans, professeure des écoles à Roanne (Loire), le formule avec davantage d’amertume.
La carrière a évolué au fil du temps, on nous disait, c'est le plus beau métier du monde. Aujourd’hui, beaucoup de collègues ne vont peut-être pas aller jusqu’au bout.
Annick CollongesProfesseure des écoles à Roanne
"Les conditions étaient différentes, les parents étaient différents, les enfants étaient différents".
Dans sa boutique de bijoux, Sylvia le remarque aussi. "Avant Internet, les clients étaient plus patients, moins exigeants. Aujourd’hui, il faudrait que je les livre en un claquement de doigts, mais moi, je suis un artisan, je travaille de mes mains, à un certain rythme."
Nadine, toute une vie pour les enfants
Pas de nostalgie en revanche pour Nadine Doyen, 62 ans, auxiliaire de puériculture à Paris. Vocation bien ancrée – elle a toujours voulu s’occuper des enfants – elle salue des évolutions salutaires dans la prise en charge des enfants dans les crèches.
"La pédagogie a changé, on sait mieux comment parler aux enfants, prendre en charge un groupe grâce aux neurosciences. Quand j’ai commencé, il n’y avait pas de psychologue en crèche, ça manquait. Aujourd’hui, on a des réunions pluridisciplinaires pour un meilleur suivi des enfants".
Dernier tour de manège pour Pierre
À l’heure du bilan et de faire un dernier tour d’Éléphant en guise d’au-revoir à 69 ans, Pierre Orefice, directeur et co-auteur des Machines de l’Île à Nantes, ne voit que des motifs de satisfaction.
Son aventure professionnelle avec François Delarozière a été culturelle et entrepreneuriale, elle restera comme l’œuvre de sa vie. S’il se dit heureux de partir –la fatigue est là- "ça fait quelque chose de quitter des gens et ne plus les avoir dans mon quotidien".
Ça fait quelque chose de quitter des gens et ne plus les avoir dans mon quotidien.
Pierre OreficeDirecteur et co-auteur des Machines de l’Île à Nantes
Michèle, l'émotion du départ
Parmi tous ces personnages à quelques heures de la retraite, on ne peut que remarquer Michèle Abdoul. Cette femme solaire, psychomotricienne de formation, a repris des études à la quarantaine et termine sa carrière comme directrice adjointe dans un foyer de vie pour personnes handicapées déficientes mentales à Villepinte (Seine-Saint-Denis).
Pour elle plus que tout autre protagoniste du documentaire, ce dernier jour de travail crée de l’émoi chez les résidents du foyer, contrariés par le départ de celle qu’ils ont l’habitude de voir chaque jour depuis des années.
Il faut dire que Michèle a pris à bras-le-corps son métier, qu’elle résume ainsi : "Rendre heureux les gens qui vivent ici. L’essentiel, c'est la personnalité, pas le handicap. Ce sont des individus, il faut les accompagner dans leur intériorité. Même s’ils présentent une déficience intellectuelle, on peut les aider à développer leurs compétences."
Après le pot de départ : un nouveau chapitre
Il est coutume de dire dans le monde du travail que nul n’est irremplaçable. C’est toutefois faire peu de cas de la façon dont, comme Michèle et tant d’autres, des femmes et des hommes ont su habiter leur fonction et leur donner du sens. Cette boussole qui semble de plus en plus perdre le nord depuis quelques années.
D’autres viendront prendre la suite, après le passage obligé du pot de départ. Des larmes parfois, quelques plaisanteries forcément, les applaudissements des collègues toujours, et leur dernier jour de travail s’achève. Bises et poignées de main, la porte qu’on franchit les bras chargés de cadeaux, c’est fini.
À moins que ça ne commence enfin avec du temps rien que pour soi.
Article initialement proposé le 21 décembre 2023
"Leur dernier jour de travail" un documentaire de Marie-Castille Mention-Schaar et Maëlle Couzon
Une coproduction Willow Films et France 3 Pays de la Loire
► Un documentaire à voir jeudi 13 mars 2024 à 23h40
► À voir en replay sur france.tv dans notre collection La France en Vrai
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