"Je ne suis pas inconnu mais je ne suis pas un artiste populaire" : rencontre en toute intimité avec Dominique A

Il a toujours refusé de devenir un artiste populaire mais n'a jamais quitté pour autant la lumière qui, depuis 30 ans, note après note, éclaire un parcours singulier, touché par la grâce. À l'occasion de la sortie de son double album anniversaire "Quelques lumières", Le Nantais d'adoption Dominique A s'est longuement confié à notre journaliste Christophe Chastanet. Interview.

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"Dieu que cette histoire finit mal, on n'imagine jamais très bien, qu'une histoire puisse finir si mal, quand elle a commencé si bien". Premier album, premier single et premières paroles qui n'ont rien de prémonitoire puisque cette histoire-là, son histoire, finit plutôt bien. Nous sommes en 1992, Dominique A se lance dans la musique avec un disque autoproduit baptisé Un Disque sourd, et un premier succès dans les milieux underground autorisés, Le Courage des oiseaux. 

La griffe Dominique A est là, une musique intimiste, presque minimaliste, aux accents rock, un fond de gravité, des paroles parfois énigmatiques, toujours accessibles, une voix feutrée et une articulation mélodique singulière marquée par des pauses atypiques.

Le Courage des Oiseaux, c'était ça...

L'Amour, Le Twenty-Two Bar, Il ne faut pas souhaiter la mort des gens, L'Éclaircie, Par les Lueurs, Au Revoir mon amour, Rendez-nous la lumière, Éléor, L'Océan… Au fil des albums, des concerts, des singles, des rencontres, des engagements, des récompenses, notamment une Victoire de la Musique en 2013 dans la catégorie meilleur interprète masculin de l'année, Dominique A construit son univers musical, aussi intime qu'universel. 

Projet symphonique

Pour ses 30 ans de carrière, Dominique A nous offre en cadeau un double album rétrospectif, Quelques lumières, 14 morceaux en version trio et 14 autres en version symphonique, avec l'Orchestre de chambre de Genève qui est à l'origine de cette belle idée.  Entretien.

"Au départ, ça ne devait être qu'un projet symphonique. Qu'un projet symphonique… voyez la modestie ! Mais c'était une proposition de l'Orchestre de Chambre de Genève de faire des concerts autour de mes vieilles chansons. Un orchestre de chambre. J'imaginais qu'ils étaient huit, mais la chambre était grande. Ils étaient 44 !" 

"L'idée de faire un enregistrement de ces concerts m'est de suite venue à l'esprit. Mais je me disais : si c'est rétrospectif, ça ne couvre qu'une partie de ce que j'aime faire. J'aime aller sur les deux terrains, à la fois des choses assez expansives, assez maximalistes. Et puis l'autre versant, c'est d'où je viens, c'est une forme de sobriété, de minimalisme".

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Il a toujours refusé de devenir un artiste populaire, mais n'a jamais quitté pour autant la lumière qui, depuis 30 ans, note après note, éclaire un parcours singulier, touché par la grâce. Rencontre avec Dominique A ... ©France 3 Pays de la Loire

Justement, il y a chez vous un sourire, une douceur qu'on reçoit d'emblée. Et puis en même temps, il y a une sorte de gravité, pour ne pas dire, de tristesse. Le vrai Dominique est-il entre les deux ?  

"Je me sens plein de pesanteur, mais je suis sociable. Dans la vie de tous les jours, je suis assez facile, je pense..."

Rigolo ?

"Oui, je crois qu'on ne s'ennuie pas avec moi. Après, il faudrait demander à la personne avec qui je vis. Mais je suis sociable, on va dire. Je ne suis pas à l'image de ce que je propose artistiquement, qui est un petit peu ce qui est vraiment au fond de moi. Qui sort comme ça, c'est-à-dire qu'à chaque fois que j'essaye d'être léger, je n'y arrive pas vraiment, ça sonne forcé. Donc maintenant, je ne lutte plus, j'accepte d'être un peu lourd, un peu grave".

Un vrai réaliste, un vrai grave, et donc en même temps quelqu'un d'assez léger ? 

"On est toujours mal placé pour se voir soi-même. Déjà, percevoir ce qu'on fait en tant qu'artiste, ça prend du temps. C'est-à-dire qu'on fait quelque chose et on croit faire autre chose. Et les gens vous disent, mais non, mais toi, tu fais ça. Et vous vous défendez parce que vous n'avez pas cette idée de vous-même. Et puis au bout d'un moment, vous entendez vraiment ce que vous avez fait. Quand on me dit, c'est triste, quand on me dit, c'est grave, oui, je l'entends et je l'assume". 

Au bout d'un moment, la source se tarit un petit peu. Il faut l'accepter. Et ça ne veut pas dire que ce qui va sortir sera moins bon. Mais il va falloir creuser plus profond. Donc je creuse plus profond qu'avant !

Dominique A

Quand vous étiez enfant, vous disiez que vous étiez une véritable huître dans une éducation très sobre, très humble. Du coup, est-ce que l'écriture, la chanson, ça vous a permis aussi de sortir des choses que vous n'auriez jamais pu sortir parce que le naturel est là ?

"Oui, je crois que le point de départ, c'est l'ennui. À un moment donné, pendant mon enfance, je m'ennuyais tellement, j'étais dans un village, en Seine-et-Marne, au milieu des champs, il n'y avait pas grand-chose à faire. La musique et le dessin aussi sont apparus comme des portes de sortie. Et tout de suite, ça m'a passionné, libéré".

Et est-ce que les choses ont changé après 30 ans d'activité, de carrière, même si je sais que vous n'aimez pas ce mot-là ? Est-ce que c'est plus simple aujourd'hui de sortir les choses ?

"Ah non. Avant, je pissais de la chanson. C'est-à-dire que ça venait vraiment comme ça. Et plus ça va, plus c'est dur. Au bout d'un moment, la source se tarit un petit peu. Il faut l'accepter. Et ça ne veut pas dire que ce qui va sortir sera moins bon. Mais il va falloir creuser plus profond. Donc, je creuse plus profond qu'avant" !

Les mots, les textes...

"C'est toujours le nerf de la guerre. La musique, ça va, c'est souvent un travail en commun, le disque en est la démonstration. Donc, si vous butez, il y a toujours des camarades pour vous aider à sortir de l'ornière. Ce sont plus les mots. Là, vous êtes tout seul. Je n'écris pas à quatre mains. Je ne demande pas à des gens d'écrire pour moi. Parce que j'ai envie de porter mes mots".

"Il y a des moments où j'ai l'impression que je n'ai plus de choses à aborder, où je ne saurais plus comment dire les choses. Et puis finalement, ça revient".

Et malgré tout, le dénominateur commun, c'est le verbe qui a toujours eu beaucoup d'importance pour vous. Est-ce qu'il a autant d'importance que lorsque vous étiez enfant ? Ou est-ce que vous l'abordez différemment aujourd'hui ? 

"Disons qu'aujourd'hui, j'en sais le caractère impérieux. Avant, j'avais l'impression que ce n'était pas si important que ça. Que ça faisait partie de la musique. Et qu'on pouvait raconter un peu ce qu'on voulait. Même éventuellement n'importe quoi. Mais maintenant, je suis plus vigilant. Après, il y a un truc qui est formidable, qui est un indicateur vraiment ultime. C'est le rapport du corps avec les mots. C'est-à-dire que quand je chante, je sais d'emblée si ça va ou si ça ne va pas. Il y a des fois des zones d'ombre dans ce que je raconte. Je ne comprends même pas moi-même ce que j'ai voulu dire. Mais j'ai du plaisir à le chanter. Et si le plaisir est là, si je ne suis pas mal à l'aise avec cette opacité, j'y vais. Si par contre, je sens que c'est de l'opacité pour l'opacité, que finalement, ça noie le poisson pour ne pas raconter un truc un peu plus précis, j'abandonne la piste et je passe à autre chose".

On est loin finalement des Brel, des Ferrat, que vous écoutiez enfant chez vos parents à Provins...

"Loin et pas loin. Ils sont quand même bien là en embuscade. Je dis en embuscade parce qu'ils m'ont bien pourri la vie. Quand on me demandait avant ce que je faisais, j'avais toujours du mal évidemment. Maintenant, je crois que, tout simplement, je suis un enfant de la rive gauche matinée de new wave anglaise des années 80. Je suis à cette rencontre-là et ça donne ce type de chanson là". 

je suis un enfant de la rive gauche matinée de new wave anglaise des années 80.

Dominique A

Qu'est-ce que représentent aujourd'hui pour vous ces grands chanteurs qui vous ont bercé finalement ? Est-ce qu'ils sont dans votre panthéon personnel ? Est-ce que vous les réécoutez ? Quel rapport avez-vous avec leur texte aujourd'hui ?

"Je ne les réécoute pas forcément. Ils font partie de ma culture musicale au même titre que des tas d'autres choses. Ils m'ont nourri à l'origine quand j'étais enfant. Et puis j'ai eu besoin de me couper d'eux pour me nourrir d'autres musiques. Aujourd'hui, ils font partie de toutes mes références. Je ne les mets pas au-dessus. Je ne mets pas Brel au-dessus de Joy Division ou de Nick Drake, ou de Nico".

Est-ce que lorsque vous étiez enfant, à Provins, vous vous êtes un jour imaginé faire une carrière qui aurait aujourd'hui 30 ans ? 

"Je n'ai jamais imaginé, même gamin. C'était presque interdit de se permettre ce rêve-là. Je voulais juste, quand j'ai été adolescent, faire un disque une fois dans ma vie. Voilà, c'était tout ! Et quand j'ai sorti mon premier disque, qui était un disque laser, comme on disait à l'époque, je me disais, voilà, c'est fait. Je ne me disais pas, ça va continuer. Ce qui a fait que ça a continué, c'est que ça a été écouté, ça a été entendu, et du coup, ça a donné l'impulsion pour continuer".

Je ne suis pas inconnu, mais je ne suis pas un artiste populaire.

Dominique A

Est-ce que vous regrettez de ne pas être un artiste populaire ?

"Non, en fait, ça paraît toujours faux cul quand on parle de ça, donc je me méfie de ma propre parole. On en veut toujours plus quand on est chanteur. On veut toujours être plus connu. Autour de vous, on vous incite aussi. On aimerait bien que ça marche plus. Je ne sais pas si c'est un défaut. J'ai souvent dit que j'aspirais à ce que mes chansons soient plus connues, mais moi, en tant que personne, j'ai mon compte". 

"Alors, on peut se dire : pourquoi ne pas écrire pour d'autres ?  Ça ne me suffit pas, parce que j'aime l'idée de l'incarnation. J'aime l'idée que les chansons soient portées par ma voix. Mais le fait de ne pas être sollicité tout le temps, ça me va très bien. J'ai l'impression que, des fois, mes chansons pourraient aller vers plus de gens qui n'ont pas l'occasion de les entendre. Mais après, en même temps, on est saturé de chansons de partout".

On évoquait le mot de sobriété. On peut dire que ça vous correspond tout à fait. Sur scène, vous êtes quelqu'un de sobre, assez avare en gestes et mouvements... 

"De moins en moins ! J'étais un peu bridé par le fait d'avoir une guitare dans les pattes. Sur la dernière tournée, je l'ai vraiment mise de côté, bien épaulé par un groupe très solide. Avec justement l'idée d'être frontman et d'assumer une forme de gestuelle qui est même devenue un peu cliché me concernant mais qui marque les gens apparemment". 

"Dans le rapport avec les gens. Je ne veux pas jouer sur les codes habituels. Demander au public si ça va, pour moi, ça devrait être puni par la loi. Déjà ! Parce que pour moi, c'est un manque d'imagination caractérisé. Si on n'a rien de mieux à dire à un public, mieux vaut se taire. Et puis, Bonsoir Grenoble, ce n'est pas trop mon truc non plus. Je ne me force pas. Je n'écris pas mes interventions. Je les improvise. Je me sers souvent de ce qu'on m'a raconté dans la journée pour parler avec les gens. Pour instaurer un contact. Mais qui ne soit pas un contact un peu téléphoné".

Demander au public si ça va, pour moi, ça devrait être puni par la loi.

Dominique A

Est-ce que l'orchestre symphonique et le trio sont deux démarches complètement différentes sur scène et deux plaisirs différents ?

"Deux plaisirs différents. Parce qu'en trio, ça va être plus une communication à trois qui va s'établir. Et quelque chose d'une certaine façon plus fragile. Et l'orchestre, c'est une proposition qui m'a été faite que je ne pouvais pas ne pas saisir. Ça aurait été indécent. Et j'ai trouvé mes marques. J'ai trouvé mes marques aussi avec un truc, on va dire annexe. Mais en même temps qui a été très important. J'ai été récitant, et je vais l'être encore prochainement, de Pierre et le Loup. Avec l'ONPL. C'était ma première expérience avec un orchestre. Et ça m'a donné des petites clés par rapport au son de l'orchestre. Par rapport au positionnement. Et physique et vocal. Et ça m'a beaucoup servi pour les concerts que j'ai faits avec l'orchestre de chambre de Genève. Du coup, j'étais moins perdu. Je ne suis pas arrivé tétanisé..."

Est-ce que vous avez le trac avant de monter sur scène ? 

"Non. Je peux avoir des moments d'angoisse, oui. Mais le trac fou, non. Quand je suis en tournée, il se passe trop peu de temps entre le moment où vous sortez de scène un soir et le moment où vous rentrez le lendemain sur une autre scène. Il ne s'est pas passé 24 heures. Vous êtes juste fatigué". 

On est dans une mécanique ?

"Oui, mais que j'aime bien. Parce qu'on sort des choses qu'on ne soupçonnait pas. On peut être vraiment galvanisé par une énergie de scène, un retour du public. Ce sont des choses qui se vivent en fait, qui ne s'expliquent pas vraiment. Il y a cette fameuse phrase de Guitry : Je n'ai pas le trac, ça viendra avec le talent. Oui, c'est séduisant, c'est drôle, mais ce n'est pas vrai !"

Le problème du chanteur engagé, c'est qu'il ne parle qu'à des gens qui sont déjà convaincus par ses propres idées.

Dominique A

Dans votre double album anniversaire, il y a 28 chansons, trois inédites, parmi lesquelles L'Humanité qui vous permet de mettre un pied dans la fourmilière de l'actualité et de ce qui se passe en ce moment. Vous avez envie de devenir ce que vous avez toujours refusé d'être finalement, un chanteur engagé, très engagé ?

"Le problème du chanteur engagé, c'est qu'il ne parle qu'à des gens qui sont déjà convaincus par ses propres idées. Donc, je reste sceptique. Simplement, je suis plus réceptif qu'avant à ce que je vois, à ce que je lis, au monde dans lequel j'évolue. Donc ça rejaillit par moment. Ce n'est pas un credo. Ce n'est pas un nouveau credo. Ce n'est pas l'idée de se dire maintenant je ne vais plus faire que des chansons sociétales. À un moment donné, ça sort comme ça. Vraiment. Cette chanson (L'Humanité, ndlr), je ne l'ai pas vue venir. Vraiment. J'ai vu des images de nazillons qui défilaient dans les rues de Lyon. Et je me suis mis à la place de leurs parents".

Dominique A retrouvera son trio et l'orchestre symphonique pour une tournée dès mars 2025. Il sera notamment en concert à Nantes le 29 avril à la salle Paul Fort et le 30 avril au Lieu Unique.

Le spectacle Pierre et le Loup raconté par Dominique A avec l'ONPL est programmé le 14 décembre au Pôle culturel Les Floralies à La Tranche-sur-Mer, le 15 décembre à la Cité des Congrès de Nantes, le 17 décembre au Champilambart à Vallet, le 19 décembre au Centre des Congrès à Angers.

Le double album "Quelque Lumières" est disponible

Plus d'infos sur Dominique A ici

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