Nantes : les victimes d'un maître d'œuvre indélicat se regroupent pour intenter une action en justice

Des familles ont vu leurs économies s'envoler et leur maison ruinée. La technique du maître d'œuvre indélicat est simple, encaisser des acomptes, commencer le chantier et laisser pourrir la situation avant de liquider sa société. Un collectif se constitue pour agir en justice.

À La Haye-Fouassière, près de Nantes, Jean François (son nom a été modifié à sa demande) en signant un devis, avec l’entreprise de maîtrise d’œuvre Futura Rénovation à Nantes, pour une rénovation de son grenier, ne s’imaginait pas que de nombreux mois plus tard son chantier serait abandonné, et de surcroit victime d’un entrepreneur coutumier du fait.

À La Rochelle, Damien Labbé et son épouse, parents d’un jeune enfant handicapé ont voulu agrandir leur maison d’une quarantaine de m² pour la rendre accessible aux personnes à mobilité réduite. C’est un ergothérapeute qui les a mis en relation avec l’entreprise Futura Rénovation, qui a proposé de s’occuper au passage des aides pour les personnes handicapées… Le chantier a commencé en octobre 2020, et s’est arrêté peu de temps après.

À La Haye-Fouassière encore, Tony Coquet, jeune papa de 35 ans a voulu faire surélever sa maison. 45 m² en rez-de-chaussée et autant en étage, un chantier estimé à 47 000 euros pour lequel il a versé 70% d’acompte. "Il a tout cassé, il nous dit avoir renforcé le plancher, il a monté un mur de parpaings de 20 cm sur des parpaings de 15 cm. Résultat, le mur est tombé, et passé au travers du plancher".

À Sainte-Luce-sur-Loire, au sud de Nantes, Armelle Lambert a eu plus de chance. Elle a eu l’intuition que les choses n’allaient pas dans le bon sens avant même le début du chantier. "Mr Bidaud nous a été recommandé par la société Habitatpresto à laquelle j’avais fait appel pour un travail d’isolation par l’extérieur et un changement d’huisseries. Monsieur Bidaud est venu deux fois pour finaliser le devis. Il disait toujours mon équipe, indiquait avoir le label RGE et être en mesure de me faire bénéficier des aides d’État".

Elle lui a versé l’acompte demandé, mais quand il a fallu établir les documents pour les aides éco-prêt, le maître d’œuvre est passé "aux abonnés absents". "Pire, j’ai découvert que l’entreprise qu’il avait choisie pour faire le chantier et pour laquelle il produisait un devis, ne connaissait pas monsieur Bidaud, et de surcroit ne travaillait pas sur des chantiers de particuliers".

Le salarié rejoint les victimes

Armelle Lambert réussit finalement à reprendre contact avec le maitre d’œuvre pour lui signifier qu’elle veut récupérer son acompte. Il la menace de pénalités pour rupture de contrat ! "Il m’a alors proposé un protocole pour me rembourser une partie de l’acompte. Ce qu’il n’a pas fait, puis un second, pour le faire en dix mensualités…"

Il y a quelques mois l’entreprise Futura Rénovation avait recruté un technicien, métreur dessinateur coordinateur de chantier, expérimenté. "Le premier mois j’ai fait des devis, le second j’ai vu les chantiers ! Ça m’a insupporté. Je suis passé du côté des victimes".

Emmanuel Pinard n’en revient pas, il raconte comment, en 30 ans de travail il n’a jamais été confronté à pareilles méthodes. Il ne disposait pas de carte professionnelle, constatait que le maître d’œuvre agissait en tant qu’agent immobilier, ne pouvant par exemple faire bénéficier ses clients de garanties décennales.

Emmanuel Pinard, après avoir été menacé d’un procès en diffamation par son employeur, fait l’objet d’une procédure de licenciement pour faute grave. Les Prud'hommes apprécieront.

La résistance s’organise

Technicien, clients, ils sont plusieurs dizaines de personnes à se rendre compte qu’ils sont victimes de la même entreprise. Les réseaux sociaux permettent de se trouver, échanger, avancer vite dans la recherche d’informations et s’unir pour agir.

En avançant dans leurs recherches, les victimes de Futura Rénovation s’aperçoivent que son directeur est coutumier du fait. Il crée et liquide des entreprises de maitrise d’œuvre au fur et à mesure qu’il empoche des acomptes depuis 20 ans !

"Il nous a demandé de lui verser 40% des 93 000 euros du devis soit 33 000 euros, plus 30 % pour chaque corps d’état", indique Damien Labbé. Toutes les victimes ont également versé de tels acomptes, contrairement aux règles et usages de la profession. Ce que les victimes ignoraient.

"Ce gars-là détruit des vies, des gens s’endettent pour 10, 15 ou 20 ans, il démolit leurs maisons et les laisse se débrouiller". Damien Labbé parle d’une voix calme. "J’ai quitté mon emploi d’ingénieur pour terminer la chambre et la salle de bains de notre fils, les électriciens n’avaient pas d’habilitation." Il habite dedans désormais, mais la toiture est à refaire, "tout est à l’avenant".

C’est lui qui a créé un premier groupe facebook Collectif des victimes de Futura rénovation, Futura 44, Gestion Artisans Négoce, Nantes. "J’ai du temps, je suis déterminé, ce monsieur ne peut pas continuer ainsi, chaque jour nous découvrons des choses nouvelles. Cela fait 20 ans qu’il fonctionne sur ce modèle. Il est inconcevable que la justice n’ai pas mis un terme à ses agissements. Nous avons déjà retrouvé plus de 80 jugements au civil, à Rennes, Nantes, Poitiers, La Rochelle, Tours… Nous nous constituons en association et allons porter plainte collectivement".

Deux millions d'euros encaissés

Un homme dépassé par les évènements ? Non c’est un système organisé" pour Armelle Lambert. "Il s’arrange pour que les sommes en jeu restent en dessous de 10 000 euros, assuré ainsi de ne pas se retrouver au pénal". Le maître d'œuvre n'agit pas seul, "à Trignac, il a empoché 31 000 euros chez une personne âgée à qui le maçon a fait payer les démolitions des malfaçons" ajoute-t-elle avec émotion.

Damien Labbé a épluché les comptes qu’il a pu trouver légalement, "plus de 2 millions d’euros ont été encaissés, sans qu’on sache où cette somme est passée".

Il y a quelques jours, Jean François est repassé au siège social de l’entreprise à Nantes. À cette adresse, sur la boite aux lettres, Futura Rénovation à disparu, laissant la place à Futura 44. "Preuve que le chef d’entreprise est en train d’organiser son insolvabilité en créant une autre structure…" Renseignements pris, deux nouvelles sociétés ont été créées début 2021.

La gendarmerie de Vertou, près de Nantes, est chargée d’une enquête "300 personnes auraient été identifiées comme victimes du maître d’œuvre" ajoute Armelle Lambert. La gendarmerie ne confirme pas le nombre.

Et de poser cette question : "Comment la Chambre de Commerce et d’Industrie, les tribunaux de commerce, le procureur de la République régulièrement informé, les organisations professionnelles peuvent-elles laisser faire ainsi depuis 20 ans sans bouger ?"

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