"La crise nous a appris à avoir beaucoup d’humilité. Il y avait des tas de choses qu’on ne savait pas". L'ancien directeur de l'Agence Régionale de Santé des Pays de la Loire, Jean-Jacques Coiplet, se souvient pour nous de ce très long tunnel que fut pour lui le confinement du printemps 2020. Des semaines, des mois de travail, sans repos.
Jean-Jacques Coiplet est aujourd'hui directeur général de l'Agence Régionale de Santé (ARS) de Bourgogne-Franche-Comté mais en mars 2020, il était en poste à Nantes, où il dirigeait l'ARS des Pays de la Loire.
La photo qui illustre cet article a été prise début mars 2020, lors d'une réunion de travail, au tout début de la crise de la Covid-19. On y voit (de gauche à droite) le Dr Pierre Blaise, directeur scientifique, Benoit James, directeur de crise Covid-19, Séverine Blanc, responsable communication, Karen Crusson, chargée de mission gestion de crise et, debout à droite, Jean-Jacques Coiplet, Directeur général à l'époque de l'ARS Pays de la Loire.
Aucun ne porte le masque, c'était encore l'époque où cette protection était "réservée" aux soignants et aux malades. C'était aussi avant que Jean-Jacques Coiplet n'envoie ses troupes chercher des masques partout où il pouvait s'en trouver pour les confier aux établissements de soins, hopitaux, EHPAD...
La crise de la Covid-19 (ou du Covid-19 comme on l'entend plus souvent dire), a commencé pour lui en janvier de cette année-là.
"On avait eu les premières alertes à partir du 10 janvier, se souvient Jean-Jacques Coiplet. J’ai en mémoire un message de Santé Publique France qui évoquait la situation en Chine. L’apparition de ce coronavirus. Le 15 janvier, le ministère de la santé avait commencé à nous inviter à mettre en pré-alerte les systèmes de santé, notamment les hôpitaux, dans l’hypothèse d’accueillir des patients. On était dans une forme de vigilance attentive mais sans imaginer ce qui allait nous arriver. On se disait encore que c’était très circonscrit. On pensait que la létalité était faible, on parlait de grippette. Qui aurait pu imaginer à l’époque qu’on soit dans une telle situation de crise sanitaire inédite, par son ampleur et sa durée ?"
Une cellule régionale d’appui à la crise
Le premier cas Covid en France a été signalé le 24 janvier 2020. En Pays de la Loire, il apparaîtra un mois plus tard, le 28 février.
"On avait mis en place une cellule de crise avant même qu’on nous le demande en Pays de la Loire, raconte Jean-Jacques Coiplet. Une cellule régionale d’appui à la crise, avec des collègues qui se réunissaient tous les jours, à partir de la fin janvier, pour commencer à repérer les cas. On ne parlait pas encore de dépistage massif ni, d’ailleurs, de port du masque généralisé. Très vite, on a mis en place des cellules de contact tracing qui devaient nous aider à repérer les cas et les cas contacts."
"Après, les choses sont allées extrêmement vite. Ça a été d’abord les premiers patients hospitalisés, puis les premiers décès."
Jean-Jacques Coiplet
Chacun a encore en mémoire ces images des hôpitaux de l'est de la France débordés par le nombre de malades. L'une des premières concentrations de cas, et la plus forte, eu lieu lors d'un événement religieux dans le Haut-Rhin, un rassemblement évangélique du 17 au 14 février 2020 à Mulhouse qui a réuni plus de 2000 personnes venues d'Europe et de Guyane. On commencera alors à parler de "cluster".
"Trois ans après, on a encore des cas covid !"
"Quand on a vu la vague (de la pandémie) dans l’est et qui montrait que le rassemblement évangélique avait essaimé partout, évoque l'ex directeur de l'ARS Pays de la Loire, nous savions que nous allions avoir les premiers patients malades. Ce décalage de 10 ou 15 jours entre l’est et l’ouest nous a permis de nous organiser au mieux. Je me rappelle la première déclaration du Président de la République qui évoquait une crise qui allait durer vraisemblablement quelques semaines, fin juin ça sera réglé. Trois ans après, on a encore des cas covid !"
La région des Pays de la Loire n'a pas été aussi touchée que l'Est mais elle a eu son lot de victimes. En presque trois ans de crise, on estime qu'il y a eu, en Pays de la Loire, 4 500 personnes victimes du Covid-19, sans compter les malades qui, pour certains, ont de lourdes séquelles. Au plus fort des contaminations, il y a eu jusqu'à 1 165 personnes hospitalisées. En avril 2020, on a compté jusqu'à 182 malades placés en réanimation.
"Je n’ai pas paniqué mais j’ai eu peur"
"Très sincèrement, il y a eu des moments où j'ai eu peur, avoue Jean-Jacques Coiplet. Je n’ai pas paniqué mais j’ai eu peur. Pas forcément pour moi, on est pris par l'adrénaline de la responsabilité et finalement on agit mais j'ai eu peur pour mes collaborateurs parce que j'ai eu des collègues qui sont tombés malades. Au début beaucoup, notamment dans les cellules de crise.
Travailler plus ou moins avec des masques, se laver plus ou moins les mains et puis pris par l'urgence, vous téléphonez, vous passez le combiné à votre collègue et la contamination arrive."
Jean-Jacques Coiplet
Jean-Jacques Coiplet se souvient de ces réunions quotidiennes qu'il avait avec ses collaborateurs au sein de l'ARS, boulevard Gaston Doumergue, sur l'île de Nantes et, notamment, son collègue, Nicolas Durand, directeur adjoint, qui le rejoignait chaque matin.
"Il était au quatrième étage, moi au cinquième et j'attendais qu’il me rejoigne pour la réunion à peu près tous les jours à la même heure et j’entendais alors la porte claquer. Si j’entendais la porte claquer c’est qu’il me rejoignait. Ça avait ce côté rassurant."
Séparé trois mois de sa famille
Pour Jean-Jacques Coiplet, la période a été d'autant plus difficile qu'il était géographiquement séparé de sa famille, restée à Marseille, lieu de sa précédente affectation.
"J'ai été séparé de mon épouse trois mois, précise-t-il. On se soutenait beaucoup à distance. Ce qui fait tenir, c’est le devoir, on n’a pas le choix. On savait pourquoi on se levait le matin. Et puis, dans ces moments-là, je trouve que les femmes et les hommes se révèlent. J’ai eu la chance d'avoir une équipe exemplaire. Certains ont craqué, d’autres qu’on voyait plus réservés, ont été incroyables d’abnégation."
Vous savez, les fonctionnaires sont parfois décriés, mais là, franchement, tout le monde a été sur le pont et c’est ce qui m’a fait tenir aussi : le collectif
Jean-Jacques Coiplet
Le confinement, Jean-Jacques Coiplet l’a appris officiellement avec le discours du Président de la République, "Même si ça bruissait un ou deux jours auparavant" dit-il. On sentait que ça pouvait arriver."
14 mars 2020 : Edouard Philippe, le premier ministre, annonce la fermeture des bars, restaurants, discothèques, cinémas...
16 mars 2020 : Emmanuel Marcon s'adresse à la nation, parle de guerre contre le Covid et annonce le confinement général pour le soir même, minuit.
Pour certains, il s'agit, après la première annonce, de profiter des dernières heures de liberté même si on parle déjà de gestes barrière. Une image de cette mi-mars 2020 que la patron de l'ARS n'oubliera pas.
"C’était exponentiel !"
"La fermeture devait démarrer à minuit, se souvient Jean-Jacques Coiplet, et on avait sur les terrasses des cafés un paquet de gens qui fêtaient ça en se disant : on a jusqu’à minuit pour nous retrouver. C’était terrible pour nous parce qu’on savait que le risque était majeur. Je n’allai pas m’arrêter à toutes les terrasses de cafés pour dire : vous profitez d’un dernier moment mais attention vous pouvez vous contaminer !"
Nous, on savait parce qu’on était au contact tracing, on voyait un cas qui en créait 10 ou 20 qui en créaient 20 qui en créaient 100, c’était exponentiel !
Jean-Jacques Coiplet
L'autre image qui reste ancrée dans les souvenirs de cet homme : l'arrivée par train de malades venus du Grand Est, débordé. Un premier TGV médicalisé a transféré vingt patients de Strasbourg vers les Pays de la Loire le 26 mars 2020.
Un autre suivra début avril avec 47 patients de la région d'Ile de France. Fin octobre, début novembre 2020, il y eut encore des transferts de 26 patients d’Auvergne Rhône Alpes vers les Pays de la Loire, mais cette fois-ci, par avions sanitaires.
Cette solution des trains sanitaires, étonnement, avait été évoquée peu de temps auparavant, lors d'une formation qu'avait suivie Jean-Jacques Coiplet.
"En décembre 2019, je me souviens très bien, on avait organisé une formation sur la gestion de crise. Et l'intervenant qui venait de l’école de la santé à Rennes avait présenté le train sanitaire. Il disait : si un jour on est confronté à un événement (majeur), le train sanitaire peut être une réponse en complément de l'avion ou de l'hélicoptère ou du transport par véhicule. Et trois mois après, on avait les premiers patients qui arrivaient par train sanitaire !"
Une réception avait été organisée pour remercier les soignants mobilisés dans ce train sanitaire. Des urgentistes, des anesthésistes, des infirmières, épuisés. "On a connu le chaos" disaient-ils. Des mots qui résonnent encore pour Jean-Jacques Coiplet.
On allait bien s’occuper de ces patients mais on savait que certains n’en reviendraient pas
Jean-Jacques Coiplet
Le tournant de la crise
"Je pense que ça a été le moment où on a vu que, au niveau des soins, on ne serait pas débordé, estime l'ancien directeur de l'ARS des Pays de la Loire. Grâce à la déprogrammation (annulation ou report des actes médicaux non urgents) et à la mobilisation des agents, à Nantes, on a été jusqu’au bout de la limite mais on n’a pas été débordé. En mai, on a vu qu’on tiendrait.
On savait que le match n’était pas fini mais ce n’était plus le virus qui fixait le jeu
Jean-Jacques Coiplet
Lors de cette crise, lorsque le patron de l'Agence Régionale de Santé faisait le point avec la presse sur la situation sanitaire, il employait souvent des métaphores faisant référence au sport et, notamment, au football.
"J’aime le sport en général, sourit-il. Il y a un bel esprit dans le sport, du dépassement de soi et du collectif."
L'une des nombreuses batailles que le directeur de l'ARS a eu à mener lors de cette crise qui l'a mobilisé 7 jours sur 7 jusqu'à la fin mai 2020, fut la collecte de masques et puis celle de surblouses de protection en avril 2020. L'occasion pour cette administration et d'autres, de sortir des lignes pour les besoins de l'urgence.
Des façons de travailler inédites
"Ça a révélé les personnes, a constaté Jean-Jacques Coiplet. Il y a eu des engagements, des moments de solidarité, des capacités à être créatif, à avoir plus de liberté pour agir. Je donne toujours cet exemple (des surblouses), on s’est vite trouvé en situation de rupture de surprotections pour les soignants. On savait qu’on avait un fabriquant de plastique, près d’Angers, il fallait confectionner les patrons, il fallait trouver du personnel, il y a eu des bénévoles, les pompiers qui sont venus nous aider, l’armée, la mairie de Nantes nous a prêté le gymnase et en un mois on a fabriqué et livré près de deux millions de blouses. Si on avait fait dans les règles de l’art, six mois après, on y était encore !"
Jean-Jacques Coiplet a apprécié cette souplesse managériale, cette transversalité, jamais connue auparavant, moins hiérarchique.
"Dans l’administration, dit-il, il y a les cadres A, les cadres B, les cadres C, mais si on avait un cadre C qui, par exemple, était champion en anglais, il devenait le boss de la cellule parce qu’on en avait besoin. Comme une équipe de foot. On est passé d’un jeu très cadré, en 4X4X2 ou 4X3X3 qui fixe des schémas de jeu, à la grande époque des Pays-Bas où quand il y avait le feu dans le match tout le monde défendait ou attaquait."
"On a presque dépisté les deux tiers des Mayennais"
Et puis, il y eut l'été 2020. Alors que la vague refluait en France, en Mayenne, la pandémie redémarrait en juillet par des clusters dans des abattoirs.
"C’est la première fois qu’on a mis en œuvre ce qui, ensuite, s’est appelé le TAP, Tester Alerter Protéger, explique Jean-Jacques Coiplet. Dépister massivement, alerter les cas contacts, et protéger par l’isolement. Et on y est arrivé. D’une situation qui était exponentielle à nouveau, on est arrivé à éteindre en grande partie l’incendie. On a presque dépisté les deux tiers des Mayennais !"
L'ampleur de la mesure a suscité des critiques à l'époque, reprochant à l'ARS d'employer des moyens jugés disproportionnés. "On a manqué surement de pédagogie, d’explication" admet modestement le directeur de l'ARS.
Une crise sans fin
Lorsqu'on lui demande quand, pour lui, cette crise s'est terminée, Jean-Jacques Coiplet répond sans hésiter : "Jamais !"
Car après le confinement, il y a eu le dépistage, les campagnes de vaccination...
"J’avais connu dans ma carrière des crises assez courtes, témoigne-t-il, on savait qu’il y avait un début mais on savait aussi qu’il y aurait une fin. On gérait la crise un peu comme un interrupteur. Zéro, il n’y a pas de crise et 1 il y a une crise. Cette crise sanitaire nous a appris à considérer que, désormais, la gestion d’une crise est située dans une échelle de 1 à 10. 1 à 3 sont plutôt des phases de veille, d’alerte, d’observation jusqu’à 10 qui est la crise ultime. Désormais une crise chasse l’autre. Il y a eu le Covid, puis la grippe, puis la bronchiolite, parfois les trois en même temps. Il y a aussi un système de santé qui est en souffrance et qui a besoin d’être soutenu. Il n’y aura jamais plus de niveau zéro. La mondialisation, le dérèglement climatique. La dimension de la crise est intrinsèque à notre mode de vie. Plus on agit sur le 1, 2 ou 3, la prévention, l’anticipation, la programmation et moins on aura ensuite à gérer l’ultime degré. On est toujours en veille, en vigilance."
"Franchement, je peux dire que dans ma carrière professionnelle, je n’avais jamais connu ça. A la fois dans l’intensité, l’inconnu aussi, la crise nous a appris à avoir beaucoup d’humilité. Il y avait des tas de choses qu’on ne savait pas. "
Jean-Jacques Coiplet
Chevalier de la légion d’honneur
En janvier 2022, Jean-Jacques Coiplet est fait Chevalier de la Légion d'honneur, en récompense pour son investissement dans la gestion de cette crise inédite.
"Je ne vais pas faire de fausse pudeur, avoue-t-il, je pense que cette médaille a été méritée. Elle avait été méritée surtout et avant tout par tous les collègues qui, à mes côtés, ont bossé. J’aimerais bien la découper en 450 morceaux."
Celui qui aujourd'hui officie en Bourgogne-France-Comté, admet que cette crise aura été une leçon d'humilité. "Il y avait des tas de choses qu’on ne savait pas" dit-il. Il faut aussi continuer à avoir une pensée pour ceux qui ont été frappés de plein fouet dans leur santé ou qui en sont décédés."
Imagine-t-il écrire quelque chose sur ces mois historiques ? Oui, pour sa famille. "Mais je n'ai pas le temps" dit-il.
Les dates de la crise sanitaire
- 24 janvier 2020 : premier cas covid-19 en France
- Mi février : mise en place en Pays de la Loire du contact tracing (Fermeture de la cellule COVID de l’Agence Régionale de Santé le 31 janvier 2023).
- 28 février 2020 : premier cas covid-19 en Pays de la Loire. Interdiction des rassemblements de plus de 5000 personnes, puis 1000, puis 100.
- 17 mars : début du confinement.
- 26 mars : premier TGV médicalisé transportant 20 patients de Strasbourg vers les Pays de la Loire.
- Mi-mars 2020 : déprogrammation des opérations (Reprise progressive des opérations à partir de début mai 2020).
- 11 mai : fin du confinement mais toujours des interdictions de rassemblement. Réouverture des restaurants et des cinémas en juin.
- Janvier 2021 : premières vaccinations en Pays de la Loire puis ouverture progressive de centres de vaccination à partir de mi-janvier.