Le 17 janvier 2018, Edouard Philippe annonçait l'abandon du projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Entre paysans en lutte et mouvement d'occupation, la zad, ce territoire de 1600 hectares a longtemps occupé le devant de l'actualité. Aujourd'hui apaisée, la zone garde ses particularités.
Jour de manifestation à Nantes. Une dizaine de personnes installent la bâche rouge qui protègera la Zbeulinette, une remorque qui fait à la fois bar, cantine, et sono sur les mouvements sociaux.
Dans les futs en inox, du thé, du café, et la soupe confectionnée avec les dons de la cagette des terres, imaginée sur l'ancienne zad de Notre-Dame-des-Landes pour le ravitaillement des luttes sociales. Si des agriculteurs de toute la Loire-Atlantique donnent régulièrement, le gros des troupes et des provisions provient de l'ex-mouvement d'occupation.
Ravitailler les luttes sociales
En 2018, ces derniers avaient été contraints, pour rester sur la zone, à monter une quinzaine de projets agricoles. Deux ans après, ils ne luttent plus contre un projet d'aéroport, mais ils demeurent déterminés à poursuivre le combat "contre son monde".Sur le bar mobile de la manif pluvieuse, le sourire de Lara accueille ceux qui veulent goûter la soupe "avec nos canards" et vendue à prix libre.
Pour elle, le projet agricole n'a de sens que dans un mouvement plus collectif, avec une participation active aux luttes sociales : "Nous, par exemple, on a une coopérative qui s'appelle la coopérative bocagère, et il y a une bonne partie de nos productions qui vont dans la cagette des terres. Il y a d'autres productions sur la zad, des personnes qui font des patates, des légumes, du maraîchage, qui ravitaillent des lieux à Nantes aussi, des squats d'exilés et d'autres luttes."
Une vision partagée par Cécile, arrivée un peu en retard sur le cortège, après avoir nourri ses moutons sur l'ancienne zad : "On a prévu de faire ça toute notre vie, on espère bien qu'on ne fatiguera jamais. On est sur ce mouvement-là, et on a bien l'intention de rester sur tous les autres mouvements."On a prévu de faire ça toute notre vie, on espère bien qu'on ne fatiguera jamais. - Cécile
Un troupeau de moutons malgré l'expulsion
Il y a deux ans, la jeune femme avait vu sa maison et sa bergerie détruites, au premier jour des expulsions. Le 09 avril 2018, c'est cette expulsion, celle de la ferme des 100 Noms, qui avait provoqué une remobilisation du mouvement, au début de l'intervention militaire pour "nettoyer" la zad de ses éléments les plus radicaux. Un agneau mort entre les bras, Cécile était devenu le symbole de ce lieu détruit, malgré un projet agricole et malgré la volonté de dialogue de ceux qui vivaient là.Deux ans après, elle a pourtant réussi à installer un petit élevage de moutons. Après avoir trouvé refuge dans une étable inoccupée, Cécile et Corentin, son compagnon, ont fait grandir le troupeau, passant, malgré l'absence de garanties, d'une vingtaine à une centaine de bêtes. Pourtant, le pari est encore loin d'être gagné : si les éleveurs ont obtenu des terres, pour devenir viable économiquement, le projet a besoin de terrain autour de cette bergerie.
Du sarrazin et des galettes
Jouxtant l'étable, Erwan s'active dans le laboratoire monté depuis 2018. Une petite pièce carrelée, où chaque semaine, il confectionne plus de 600 crêpes et galettes qui seront vendues dans des Amaps nantaises. Le lieu est collectif, régulièrement utilisé par plusieurs projets pour transformer les productions alimentaires de l'ancienne zad.Ingénieur agronome, il y a deux ans, Erwan ne se projetait pas encore dans une installation en tant qu'agriculteur. Pour rester et éviter de voir détruire son lieu de vie, il a accepté de signer une fiche déclarative (15 projets agricoles et une vingtaine d'autres projets avaient été déposés en mai 2018, mettant un terme à l'intervention militaire sur la zad).
Après avoir obtenu une convention d'occupation précaire, il plantait l'an dernier des variétés anciennes de sarrazin. C'est la farine de ces dernières qui lui permet aujourd'hui de vendre ses galettes, et d'espérer, prochainement, en tirer ses premiers bénéfices. "Je ne me dégage pas encore de revenus, mais ce sera le cas et pour moi ce sera un revenu qui sera mis au pot commun et on se questionnera sur les besoins des uns et des autres. Ce n'est pas parce que je vends tant de galettes que je vais me payer tant."On se questionnera sur les besoins des uns et des autres. Ce n'est pas parce que je vends tant de galettes que je vais me payer tant. Erwan
Des coopératives en cours de création
Si l'Etat avait, à l'époque, refusé la possibilité pour les anciens zadistes de monter un projet collectif sur le modèle du Larzac, une partie des entreprises individuelles montées depuis deux ans sont sur le point de se regrouper en coopératives pour donner corps à cette volonté d'une vie collective dans le bocage de Notre-Dame-des-Landes."Nous pensons qu'il peut y avoir des mutualisations de pratiques, qu'il peut y avoir entre ceux qu'on appelle les agriculteurs historiques, et ceux qui sont désireux de trouver de nouveaux modes agricoles, des formes de coopération. On peut tirer partie des expériences des uns et des autres."Sur les 1 600 hectares de l'ancienne zad, le mouvement d'occupation a obtenu des baux ou des promesses de baux sur près de 360 hectares. Le reste a été réparti entre les agriculteurs qui, malgré des indemnisations pour céder leurs terrains, n'avaient jamais cessé d'exploiter leurs terres, et les 4 "historiques", qui, comme Sylvain Fresneau, ont toujours refusé les papiers et l'argent de Vinci.
Pour les historiques, la longue rétrocession des biens
Exproprié en 2016, l'éleveur était devenu squatteur de ses propres terrains. Deux ans après l'abandon du projet, il a enfin pu installer son fils, Justin, qui lui succèdera, et attend pour l'été, d'être labellisé en bio. Par contre, le temps juridique n'est pas celui de l'élevage : "On n'a toujours pas récupéré nos maisons, et la stabulation et tout ça, c'est toujours pas réglé. On nous dit que ça va se régler au mois de janvier ou février. Personne d'autre que nous ne peut les acheter, mais on n'est toujours pas propriétaire de notre maison, de notre stabulation et de tout."Diagnostic sur l'amiante, évaluation des biens par des organismes certifiés... Depuis deux ans, Sylvain Fresneau constate qu'il est bien plus facile de se faire exproprier que de récupérer ses bâtiments. Outre le processus d'inventaire, il a fallu attendre que Vinci perde ses droits sur les terres de la zad. Sur la sellette pour la concession de l'aéroport Nantes-Atlantique, le promoteur n'a rien fait pour faciliter les démarches de rétrocession sur les terres et les biens.
Quelles reconstructions sur l'ancienne zone aéroportuaire?
À Notre-Dame-des-Landes, un nouveau plan local d'urbanisme est entré en vigueur. D'aéroportuaire, la zone est devenue agricole, protégée, avec la possibilité de reconstruire les lieux détruits en 2012."De mémoire, il y avait à peu près 18 habitats ou fermes qui ont été rasées au fil du temps. Et donc ce sont l'emplacement de ces 18 habitats ou fermes où il y aura à nouveau la possibilité de refaire des habitats ou des bâtiments agricoles, des bâtiments d'exploitation", explique Jean-Paul Naud, le maire de Notre-Dame-des-Landes.
Pour les cabanes, les caravanes, la discussion sur la possibilité de conserver ou d'installer des habitats légers devrait avoir lieu après les élections municipales. De l'entretien, on comprend que la porte n'est pas fermée, à condition que les installations puissent être enlevées sans nuire au caractère agricole des terres, protégées par un PEAN, périmètre de protection des espaces agricoles et naturels. En intégrant les terres de l'ancienne zad, celui des 3 Vallées d'Erdre et Gesvres recouvre désormais 17 323 hectares, devenant le plus grand de France.De mémoire, il y avait à peu près 18 habitats ou fermes qui ont été rasées au fil du temps. Jean-Paul Naud maire de Notre-Dame-des-Landes
Cela signifie que pour artificialiser des terres agricoles, pour y mettre à la place un lotissement ou une zone artisanale, une simple modification du plan local d'urbanisme ne suffit plus, il faut désormais monter un dossier et recueillir la signature de trois ministres.
Une tranquillité retrouvée
La vocation agricole confortée, le bourg et les communes des alentours ont retrouvé leur tranquillité. À quelques jours de l'anniversaire de l'abandon du projet d'aéroport, la zad n'est même plus un sujet lors des différentes cérémonies des voeux de la communauté de communes d'Erdre et Gesvres.Patron d'une entreprise à Vigneux de Bretagne, Patrick Lemarié ne cachait pas son soutien au projet d'aéroport, ce qui lui a valu de très nombreuses menaces et des cambriolages pendant les longues années de lutte. Aujourd'hui, il constate l'apaisement du climat : "On voit moins de zadistes qui arrivent du bord de la voie express et qui allaient là-bas, on les voyait avec les chiens, on les reconnaissait tout de suite. Aujourd'hui, on ne voit plus tout ça. De toutes manières, nous, ça ne nous a jamais vraiment gêné pour nos activités."On voit moins de zadistes qui arrivent du bord de la voie express et qui allaient là-bas. Patrick Lemarié, chef d'entreprise
À l'époque, ses clients contournaient la route des chicanes, fermée pendant 6 ans par le département après l'opération d'évacuation ratée en 2012, et qui avait ensuité été occupée par des cabanes et par des barricades. Nettoyée lors de l'opération militaire du printemps 2018, la RD281 circule désormais normalement, des inscriptions et traces de bitume frais rappelant cette histoire particulière.
Sur le chemin, les dernières chicanes
Seul un endroit rappelle encore cette période, le chemin menant à la ferme de La Grée, où vivent encore une quinzaine de "radicaux", ceux qui ont refusé il y a deux ans, tout processus pour se régulariser."Il y a en permanence une dizaine de personnes. 10-15, ça tourne. C'est à priori un lieu de mobilité, dans une volonté d'ouverture, accueil, passage inconditionnel", explique Christiane, artiste belge de 59 ans, arrivée sur la zad en 2013, attirée par les expériences de vie en marginalité.
Une tour de bois surplombée par une serre, des tags, des carcasses de voiture, et des semi-barricades disent à la fois le refus de la norme, et la crainte des occupants de se voir, un jour ou l'autre, expulsés à leur tour.