"Ce jour-là, nous avons craint pour nos vies". Matthieu Josse, pompier, victime d'un choc post-traumatique, se confie sur les risques psychologiques de son métier

"Sauver sans périr", c'est le titre du livre que vient de publier Matthieu Josse, sapeur-pompier professionnel à Saint-Nazaire. Il a été victime d'un choc post-traumatique. L'ouvrage témoigne de la vie de ces soldats du feu qui parfois craquent après l'intervention de trop. Rencontre .

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Ce jour-là, pour Matthieu Josse, c'est l'intervention de trop, la pierre qui alourdit le sac et finit par le déchirer.

Le quotidien, il le sait est fait d'urgences, et cette fois comme toujours, il faut faire vite et bien. Deux adolescents ont été foudroyés par un arc électrique sur une voie ferrée. Le pompier et ses collègues accomplissent leur mission, leur devoir, mais il reste les images qui tournent en boucle.

 "Nous avons craint pour nos vies et nous avons été confrontés à un fort sentiment d'impuissance, cette intervention cochait toutes les cases".

La jeunesse des victimes a sans doute tout déclenché "des circonstances traumatisantes", confie Matthieu Josse.

"J'avais ces reviviscences de l'intervention, j'avais ces pensées envahissantes. Je n'étais pas forcément présent auprès de mes proches." 

J'avais cette inquiétude persistante pour mes enfants. J'avais peur qu'il leur arrive quelque chose de similaire. Ça me dévorait de l'intérieur. Ça m'empêchait de vivre

Matthieu Josse

Sapeur-pompier professionnel à Saint-Nazaire

"On ne veut plus reprendre l'uniforme"

Et l'après ? "On ne veut plus sortir de chez soi, on ne veut plus reprendre l'uniforme. Il y a aussi les symptômes. Pour moi, c'était essentiellement une inquiétude exacerbée."

Fils de pompier et professionnel depuis 20 ans, à 40 ans, Matthieu Josse en a encaissé.

"Les interventions, c'est 80 % de secours à personne, 10 % d'incendie. Parfois, on est surpris parce qu'il se passe autre chose où ce n'est plus 100 % le métier, il y a le perso aussi qui rentre en ligne de compte", témoigne le sapeur-pompier.

L'imprévu, c'est l'intervention qu'on n'attend pas qui nous tombe dessus. Donc là, on recherche des ressources 

Matthieu Josse

Sapeur-pompier à Saint-Nazaire

Et l'une des principales ressources pour Matthieu, "c'est le travail d'équipe, la cohésion. Pour autant, on a tous un seuil d'acceptabilité émotionnelle et ça peut arriver parfois en intervention d'atteindre ce seuil. Tout au long d'une carrière, on est atteint par des microtraumatismes".

"Sauver sans périr"

Ses émotions professionnelles, il a choisi d'en faire un livre pour "interroger sur la difficulté d'observer une bonne distance face à ce que l'on peut vivre en intervention." Se pencher aussi "sur sa personnalité, sur les répercussions familiales, et surtout sur les enfants."

Ce livre m'a permis de faire un gros travail introspectif.  J'ai appris à mieux me connaitre

Matthieu Josse

Sapeur-pompier professionnel à Saint-Nazaire

L'écriture, comme une thérapie, après les soins. Matthieu y a trouvé "le moyen d'aller mieux, de connaître ses limites et de ne pas aller au-delà".

Aujourd'hui, il se sent "plus serein."

Je vis mon métier avec plus de recul

Matthieu Josse

Sapeur-pompier professionnel à Saint-Nazaire

"J'en peux plus de ce malheur"

Accompagné au sein de la caserne, Matthieu a retrouvé un sens à son métier. Il peut aujourd'hui tourner les pages de son ouvrage et dire à voix haute les mots qui lui ont permis de guérir. Il lit d'une voix posée.

"Ça fait une semaine que cette opération de secours s'est passée, et je ne m'étais jamais senti aussi mal à la suite de l'une d'entre elles. En 20 ans, j'avais quand même vécu des choses difficiles, voire très difficiles. Rien d'exceptionnel là-dedans, après tout, c'est le lot commun inhérent à la profession. Comme à l'accoutumée, je me dis que ce qu'il se passe en moi se dissipera progressivement et que la vitalité va revenir. Enfin, peut-être, je l'espère plutôt, car cette fois-ci, le sentiment est vraiment fort, et je doute. Habituellement, après une nuit, voire deux au pire des cas, le mal s'estompe, mais là, cela fait presque une semaine qu'un spleen s'est emparé de mon corps, et je ne sais pas s'il va me le rendre. Plusieurs fois par jour, j'ai envie de pleurer. J'ai déjà vécu quelque chose de similaire dans le passé, c'était à la mort de ma mère, il y a plus de 15 ans. Là, je suis emporté par une grosse vague de « j'en peux plus de ça », « j'en peux plus de ce malheur », et je le vois partout."

"Le stress est inévitable" 

Ces syndromes post-traumatiques sont suivis par l'unité de soutien médico-psychologique du SDIS 44. Michel Weber est médecin-chef du Service départemental de Secours et d'Incendie de Loire-Atlantique. Il a signé la préface du livre "Sauver sans périr".

"

"En intervention, le stress est inévitable pour les sapeurs-pompiers puisque c'est une réaction normale de l'organisme qui nous permet de nous adapter aux multiples situations auxquelles nous sommes confrontés et ça nous permet également de faire face aux situations les plus complexes", explique-t-il. En revanche, "il devient problématique quand il est répété de manière trop fréquente, donc quand il devient chronique, ou alors lorsqu'il est trop aigu puisque ça provoque une espèce de diffraction psychique qui peut provoquer un psychotraumatisme", précise le médecin du SDIS 44.

"Chacun vit les interventions à sa manière, en fonction de son vécu, en fonction de son état du jour. La répétition du stress peut être délétère", explique Miche Weber

Une intervention avec une confrontation à la mort peut être aussi très compliquée à vivre.

Michel Weber

médecin-chef du SDIS 44

"Se délester de ce poids"

Et Matthieu Josse n'est pas le seul à avoir craqué.  

"Les risques psychologiques sont aujourd'hui reconnus au même niveau que les risques physiques", rappelle le médecin.

"Cela fait une vingtaine d'années que dans le département, nous nous intéressons à ce problème et nous avons créé une cellule d'aide médico-psychologique, donc une unité de soutien avec un psychologue ou un infirmier spécialisé dans ce domaine. Ils répondent 24 heures sur 24 aux besoins des sapeurs-pompiers", complète-t-il.

Un observatoire national de la santé des personnels des services de santé et de secours vient d'être créé par le ministre de l'Intérieur. "Le thème de l'année 2025 sera les risques psychologiques", ajoute le médecin.

Victimes gravement blessées, détresse sociale, urgence psychiatrique, crise suicidaire, alcoolisation, intoxication diverse, violence intrafamiliale, personnes âgées isolées, souffrance psychologique, insultes, agressions, confrontations à la mort et aux familles endeuillées, dans son livre Matthieu démontre à quel point le quotidien des soldats du feu est par définition traumatique.

Alors à Saint-Nazaire, les collègues de la brigade accueillent le bouquin de ce père de deux filles, arrêté 8 mois, avant de reprendre en mi-temps thérapeutique, avec bienveillance. "Le livre a été très bien reçu. Certains se sont évidemment reconnus dans mes propos. Ça leur permet de se délester de ce poids. Et de faire un pas en avant vers une demande de prise en charge psychologique", conclut Matthieu Josse.

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