Le téléphone, fil délicat tissé entre les bénévoles de S.O.S. Amitié et les âmes en détresse. Un voyage au bout de la nuit où l'humanité se révèle dans chaque appel. Un témoignage poignant de notre société, où l'individualisme peut laisser place à la violence.
Au bout du fil, une femme est en pleine attaque de panique et parvient à peine à parler. "Vous voulez qu’on respire ensemble ? Peut-être ensuite, on pourra parler ?" suggère avec calme le bénévole de permanence cette nuit-là à Nantes. Cette séquence étouffante, qui ouvre le documentaire "Les Écoutants", nous précipite dans l’urgence de situations dont nous ne savons rien sinon que ça déborde. Elle résume intensément la motivation des appelantes et appelants : parler à quelqu’un, tout de suite, et souvent en dernier recours.
Respirer d’abord, quand l’angoisse emprisonne la parole même. Et ensuite écouter les mots qui viennent, comme ils viennent. Des situations de solitude, de deuil, de maladie, de peur, d’exclusion. Écouter les silences, le souffle, les sanglots et parfois les cris. Les appels sont parfois plus légers, génèrent des conversations plus banales.
Mais y a-t-il vraiment de la banalité à appeler quelqu’un qu’on ne connaît pas pour discuter du temps qu’il fait, des chiens et des chats, sauf à admettre qu’on n’a personne d’autre à qui parler ?
Documentaire juste et tendu, "Les Écoutants" nous précipite dans le quotidien de ces bénévoles qui ont choisi d’entendre la parole d’autres hommes et femmes, dans le respect, sans jugement, et sans céder à la tentation de leur dire ce qu’ils ou elles doivent faire. "On ne donne pas de conseil, mais on peut tout écouter dans la mesure où la personne est respectueuse" résume l’une des bénévoles à une jeune femme qui lui demande si elle a affaire à une psychologue.
À chaque fois que le téléphone sonne à la permanence de S.O.S. Amitié, une nouvelle histoire commence, qu’il faudra savoir écouter sans préparation. Cela s’apparente régulièrement à une épreuve, quand l’appelant développe des projets suicidaires, se montre agressif ou insultant. Dans ce dernier cas, on raccrochera le téléphone courtoisement.
Les écoutants ne sortent pas indemnes de ces longues heures de conversations. Une formation solide d’une centaine d’heures, une supervision régulière et des groupes de partage permettent d’analyser et d’évacuer des charges émotionnelles parfois trop fortes.
Écouter, c'est remplir son rôle avec sa personnalité propre, son vécu et son intimité, forcément ça touche à des endroits sensibles. "C’est normal d’être touchée" dit l’une d’entre elles lors d’un groupe de partage, car "ça nous renvoie à nos vies" renchérit un autre. Touché oui, mais il faut veiller à ne pas être blessé.
Dorothée Lorang et David Beautru ont fait le choix d’une réalisation sobre, soignée, clinique. En quelques plans de nuit de façades d’immeubles parsemées de rares fenêtres éclairées, le générique, suggère des solitudes suspendues dans l’anonymat de l’obscurité nantaise. Le montage, alternant ensuite les plans moyens et serrés dans le décor fonctionnel et impersonnel du bureau d'écoute, nous donne à voir les visages concentrés, mais jamais impassibles des écoutants de S.O.S. Amitié. Il saisit le mouvement imperceptible d'une épaule qui retombe sous le coup du soulagement, un sourcil qui se lève sous l'effet de la surprise, un regard qui se perd dans le vide pour chercher la parole juste. Une option qui donne valeur et puissance aux paroles et aux silences échangés.
Dans ce huis clos où l'éclairage des lampes de bureau laisse deviner la nuit au-dehors, peu d’échappatoire par des plans larges, économie de plans de coupe, pas d'interview des protagonistes : chaque appel est une nouvelle plongée qui commence par une profonde inspiration avant de décrocher, où règne l'humanité dans toute sa complexité et ses contradictions. C'est parfois, comme des retrouvailles anonymes, un ou une habituée, qui vient trouver de la compagnie.
Pour convaincre S.O.S. Amitié de les autoriser à filmer les permanences téléphoniques, les réalisateurs ont pris un engagement non négociable avec l’association : la préservation absolue de l’anonymat des appelants. Voilà pourquoi les voix au téléphone ont été rejouées après le montage par des comédiens, et substituées aux appels réels au terme d’un travail d’interprétation d’orfèvre.
Pour avoir suivi la production de ce documentaire depuis ses prémisses et lors du montage avoir pu entendre les véritables voix des appelants, je peux témoigner que les propos que nous entendons dans la version finale sont non seulement dans le ton des appels originaux, mais en sont surtout la restitution exacte de leur contenu, à l’exception des mentions de villes qui auraient permis de localiser la personne qui appelle.
"Les Écoutants" est un singulier voyage au bout de la nuit. La fragilité dont le documentaire témoigne et qui nous touche n’est pas que celle des hommes et des femmes de tous âges et de toutes conditions qui appellent. Elle est aussi le fruit d’une société dont l’individualisme exerce sur nombre d’entre nous sa violence et qui, le jour où nous perdons travail, conjoint, et tout simplement espoir, n’offre que trop peu de réconfort.
"Pleurez un bon coup, c’est normal de pleurer, ça vous fera du bien" dit une écoutante à une femme en deuil, elle a perdu sa fille. Elle ne s’en remet pas. Sa famille lui dit qu’il faudrait maintenant qu’elle tourne la page. Tout comme l'enfer est pavé de bonnes intentions, la solitude prend parfois le visage de l’entourage.
Pour joindre S.O.S. Amitié 24h/24 et 7j/7, composer le : 09 72 39 40 50 (prix d'un appel local).
Les Écoutants, un documentaire de Dorothée Lorang et David Beautru
Une coproduction Vivement Lundi ! – France 3 Pays de la Loire
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