Plongez dans l'univers fascinant et mouvementé de la Tapisserie de l’Apocalypse, un chef-d'œuvre textile datant du XIVe siècle. Avec ses dimensions hors norme et ses détails époustouflants, cette œuvre offre une expérience immersive unique, plongeant les visiteurs au cœur d'un récit biblique et historique.
Tous les visiteurs peuvent en témoigner : pénétrer pour la première fois — et même les suivantes — dans la pénombre de la galerie qui abrite la Tapisserie de l’Apocalypse au Château d’Angers est une expérience immersive impressionnante. Monument tissé long de 140 mètres et haut de 6 à l’origine, elle se déploie aujourd’hui sur 103 mètres de panneaux disposés en deux rangées.
Plus de 400 personnages, une représentation d’une grande finesse des végétaux, des animaux, des vêtements, des figures humaines et de l’architecture : l’Apocalypse est sans conteste un "must" de ce qui pouvait se faire à l’époque de sa commande, en 1373 par Louis 1ᵉʳ, Duc d’Anjou. Ce dernier, frère du roi Charles V fait appel aux meilleurs artistes de son temps, parmi lesquels Hennequin de Bruges qui en dessinera les cartons.
Le tissage de ce chef-d’œuvre textile prendra sept ans. Les lissières et lissiers d’aujourd’hui admirent encore la technique utilisée qui mêle fils de laine, d’or et d’argent. Tour de force : l’envers de la Tapisserie ne montre aucun nœud et offre au regard des restaurateurs contemporains des couleurs préservées.
Une œuvre XXL
Ses dimensions hors norme constituent l’énigme originelle de la Tapisserie. "Son usage et sa destination restent un mystère. On ne connaît aucune salle parmi les châteaux de Louis 1ᵉʳ qui était suffisamment grande pour présenter l’intégralité de la Tapisserie de l’Apocalypse" indique Marc-Édouard Gautier, archiviste, paléographe et médiéviste.
L’unique présentation documentée du vivant du commanditaire se situe à Arles en 1400, lors du mariage du fils de Louis 1ᵉʳ. Un écrit émerveillé de l’époque témoigne de son exposition temporaire dans la cour de l’Archevêché où elle couvre sur 140 mètres les quatre murs. Grâce à une reconstitution numérique, le documentaire "La folle histoire de l’Apocalypse" nous en donne une vision animée impressionnante.
Au Moyen Âge, on ne parlait pas d’un "effet Waouh" comme on le dirait aujourd’hui, mais c’était bien le but recherché : car la monumentalité présente en images L’Apocalypse, récit halluciné écrit par Jean de Patmos au premier siècle de notre ère et qui forme le dernier livre de la Bible. Vision après vision, Saint-Jean décrit le combat du bien et du mal à grand renfort de fléaux, démons, combats jusqu’à la révélation, véritable signification du mot "apocalypse".
Un message biblique hors normes
Du très spectaculaire pour qui eut l’occasion de la voir à la fin du 14ᵉ siècle. L’époque est, en effet, très troublée : la Grande Peste a fauché les populations de l’Europe entière, la guerre de Cent Ans fait rage, le Royaume de France est secoué par des révoltes.
Quand il passe commande de la tapisserie, Louis 1ᵉʳ d’Anjou fait donc passer un message : "Le texte de Saint-Jean au 1ᵉʳ siècle qui évoque des moments difficiles que l’humanité traverse résonne particulièrement dans l’esprit de Louis 1ᵉʳ " souligne Catherine Leroi, Cheffe du service culturel du château d'Angers. "Vraisemblablement, il se dit que ce qui est décrit est aussi ce que le royaume est en train de vivre. C’est une période de guerre et de grande instabilité politique, et à l’instar de Saint-Jean, il s’agirait de dire qu’en se comportant bien, en bons chrétiens et bons chevaliers, l’apaisement viendra."
Animations à l’appui, le documentaire décrypte ainsi de nombreuses scènes où le contexte de la guerre de Cent Ans se mêle à la mythologie biblique. Ce faisant, la tapisserie offre au grand public du Moyen Âge l’accès à un récit jusqu’ici réservé aux possesseurs de manuscrits, lettrés et nobles. En quelque sorte, l’Apocalypse est un média de masse médiéval, avant l’invention de l’imprimerie.
Chef-d’œuvre en péril
La tapisserie restera dans la Maison d’Anjou jusqu’à la mort du Roi René en 1474, qui la lègue à la Cathédrale d’Angers. Elle y sera très régulièrement accrochée, des anneaux scellés dans les murs des galeries supérieures de l’édifice en témoignent toujours aujourd’hui.
Les années et les siècles passent, et la mode de la tapisserie tombe en désuétude. Au XVIIIᵉ siècle, l’Apocalypse est mise au rebut, les chanoines cherchent à la vendre sans succès. Les panneaux sont dispersés, parfois découpés, des morceaux sont utilisés comme couvertures pour les chevaux, les fils d’or attirent toutes les convoitises.
Les pillages durant la période révolutionnaire feront le reste. On estime que seul un centième de la production de tapisserie du Moyen Âge nous est parvenu. Que l’Apocalypse soit encore visible aujourd’hui tient donc du miracle… Et doit beaucoup à la ténacité d’un chanoine passionné, Louis-François Joubert.
Au début du XIXᵉ siècle, ce qui reste de la tapisserie a été rendu à l’Église, dans un état déplorable et de nombreuses pièces manquent. "L’abbé Joubert devait être une personnalité avec un dynamisme hors du commun" sourit Clémentine Mathurin, Conservatrice des monuments historiques à la Direction Régionale des Affaires Culturelles Pays de la Loire.
Véritable sauveur de la tapisserie, il écumera fermes et marchés, pour en retrouver le maximum de fragments, dirigera les nécessaires restaurations et réparations qui lui rendront peu ou prou l’apparence que nous lui connaissons aujourd’hui, notamment sa présentation dans une alternance de fonds bleus et rouges.
650 ans d’histoire, et ce n’est pas fini...
Ainsi reconstituée, la Tapisserie de l’Apocalypse retrouve son caractère exceptionnel, et sera montrée jusqu’au milieu du XXᵉ siècle dans de nombreuses expositions universelles de par le monde. En 1954, une galerie est construite au cœur du Château d’Angers pour sa présentation permanente.
Un écrin qui s’est avéré fatal aux riches couleurs du tissage : laissant massivement entrer la lumière du jour, le bâtiment aurait pu ruiner définitivement les efforts de l’Abbé Joubert. Depuis le milieu des années 80, c’est sous un éclairage faible et dans l’obscurité que l’Apocalypse dévoile sa monumentalité et la subtilité de ses détails, 650 ans après sa confection.
Une histoire qui n’est pourtant pas terminée : en 2020 encore, des fragments ont été découverts lors de l’inventaire d’une galerie parisienne. Ils sont désormais stockés dans les réserves de l’exposition permanente, où la caméra des réalisateurs nous entraîne pour admirer certaines scènes rarement, ou jamais montrées au public.
Fort justement, le documentaire "La folle histoire de l’Apocalypse" propose un détour vers le musée Jean-Lurçat d’Angers consacré à la tapisserie contemporaine. Impressionné par l’Apocalypse, Lurçat lui avait donné écho en composant à son tour, à la fin des années cinquante, une œuvre textile monumentale que l’on peut y admirer, "Le Chant du Monde". Point de dragons, de démons, ni de famine chez Lurçat, mais le fléau de la menace nucléaire, toujours actuel.
Ainsi, de la monumentale tapisserie au blockbuster Oppenheimer, du métier à tisser au cinéma numérique, des visions de Jean de Patmos aux interprétations de Hennequin de Bruges, de Lurçat à Nolan, la traversée du temps se poursuit.
Du Moyen Âge à aujourd’hui, l’expérience immersive du récit apocalyptique continue d’engloutir nos regards, et, par le vertige qu’elle procure, nous offre la fin du monde en objet de méditation.
"La Folle Histoire de l’Apocalypse", un documentaire (52’) écrit par Frédéric Stenz réalisé par Nicolas Fauvel
Une coproduction Viva Productions – France 3 Pays de la Loire
Diffusion jeudi 28 mars à 23h40
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