Éducatrices spécialisées des régions de Saumur et Cholet (Maine-et-Loire) Catherine, Émilie et Mélanie, accompagnent à domicile des parents qui désirent retrouver une vie de famille avec leurs enfants, souvent placés depuis des années. Pour son documentaire "Refaire famille", la réalisatrice Pascale Fournier a passé plusieurs mois en immersion auprès d’elles dans leur mission auprès de parents en manque de repères, mais pas avares d’amour
"Je me souviens de parents qui avaient déjà des enfants placés et quand ils en avaient un nouveau, on le plaçait directement dès la pouponnière. Je me suis questionnée. Bien sûr, on met les enfants en sécurité, mais si on n’aide pas le parent à être parent, la situation ne changera pas." Émilie, l’une des éducatrices spécialisées du documentaire "Refaire Famille" résume ainsi le dilemme.
Peut-on proposer une alternative au placement d’un enfant, en garantissant sa sécurité tout en faisant crédit à sa mère, son père ou les deux d’une capacité à évoluer vers une parentalité mieux assumée ?
Une alternative au placement en famille d'accueil
C’est tout l’enjeu du Placement Éducatif À Domicile (PAED) une mesure alternative au placement des enfants en famille d’accueil ou en foyer. Décidée par le Juge aux Affaires Familales (JAF) ou l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE). Elle reste expérimentale, mais se développe en France, et notamment dans le département du Maine-et-Loire.
Cet accompagnement et soutien à la parentalité à domicile a la vertu de ne pas séparer d’emblée parents, enfants et de disperser les fratries. Pas en tout cas avant d’avoir tenté ce qui pouvait l’être par le travail d’éducatrices ou d’éducateurs au sein de familles dont les carences constatées font l’objet d’une mesure de suivi.
Ainsi en va-t-il de ce couple en instance de divorce, qu’Émilie va visiter régulièrement avant d’écrire ses recommandations au Juge des Affaires Familiales. Les parents ont signé une convention qui encadre son intervention pour tenter de remettre un cadre et des règles dans un foyer où la maman s’avère débordée par ses trois enfants. Des mesures avaient déjà été prises après des constats persistants de conflits conjugaux et de manque de cadre éducatif. Émilie et les parents le savent, la période qui s’ouvre est celle de la dernière chance.
Des visites qui nécessitent à la fois tact et fermeté, comme le confie Catherine, éducatrice, elle aussi. "Ce n’est pas simple d’entrer dans l’intimité d’une famille, ça demande beaucoup d’humilité pour approcher les parents chez eux."
Rétablir le dialogue et l'écoute au sein des familles
Comment peut-il en être autrement quand les blessures sont à vif ? Quand ce n’est pas pour tenter d’éviter un placement, les éducatrices accompagnent aussi le retour à la maison d’enfants placés en famille d’accueil ou en foyer pendant plusieurs années. Ainsi, Catherine suit-elle Isabelle et son fils Noah, dont nous faisons connaissance dès le début du documentaire lors d’un échange tendu.
C’est difficile pour chacun de supporter l’autre, de se parler
CatherineÉducatrice spécialisée
"Chacun est capable de s’exprimer, mais pas d’entendre la parole de l’autre. Le travail, c’est donc de faire en sorte de devenir capable d’entendre l’autre." C’est-à-dire, remettre du dialogue et de l’écoute là où il y a des cris, des portes qui claquent, des insultes. Isabelle n’a pas eu la vie facile, et aujourd’hui, l’alcool s’interpose entre elle et Noah, rendant la relation compliquée.
"Je ne supporte plus qu’il me traite d’alcoolique ! " dit Isabelle à l’éducatrice. Catherine lui explique que Noah se fait du souci pour elle, ne sachant pas dans quel état il la trouvera à son retour du lycée, et explique à l’adolescent que sa mère est malade de l’alcool, et qu’il existe des traitements.
Les parcours de vie fragilisés par l’exclusion, les addictions, les fragilités psychiques sont autant d’obstacles à l’expression d’une affection qu’on aimerait donner autant que recevoir, au sein de ces familles qui n’ont connu souvent que la séparation.
Après 13 années en famille d’accueil, Noah voulait revenir, sa mère aussi le souhaitait. "13 ans de placement, c'est long" explique l’adolescent. "Ma mère me manquait, mais durant toutes ces années, on a pris des habitudes chacun de notre côté, c’est compliqué. Je ne suis plus un petit garçon, j’ai besoin d’avoir ma vie, qu’elle ne soit pas tout le temps sur moi."
Chez Isabelle et sur les murs des appartements où nous emmène la caméra de Pascale Fournier, les photos sont partout en évidence. Celles des enfants qu’on a eus, et qui ne sont pas là, ou si peu souvent. Des images idéalisées, figées dans le temps de l’enfance, que le retour d’un petit devenu grand viennent bouleverser. Vouloir revivre ensemble ne suffit pas pour que cela se passe bien.
Les visites médiatisées
Mélanie suit Carine, dont les quatre enfants vivent en famille ou en foyer. Carine n’a en fait jamais vécu avec ses enfants. Leur père, et les compagnons qui lui ont succédé, ont été violents. Carine chante toute la journée, d’une jolie voix qui l’annonce avant même d’arriver à la porte du foyer où l’attend Mélanie. Elle s’y rend pour les rendez-vous réguliers qu’elle a avec ses fils, à tour de rôle.
Il s’agit de visites médiatisées. C’est-à-dire que la rencontre entre le parent et l’enfant s’effectue systématiquement en présence de l’éducatrice, autour d’activités pour recréer le lien. Cela semble aussi anodin qu’une partie de Mölky dans le jardin du foyer, mais explique Mélanie, "il s’agit de redonner une place à chacun, de se donner de belles choses ensemble, et surtout se créer des souvenirs communs, à côté des mauvaises expériences qu’on a eues."
S’inventer un quotidien qu’on n’a pas eu, c’est la base. En amenant le petit Nathan chez son père, Catherine reste pour faire des crêpes. Un autre jour, avec la maman qu’elle reçoit au foyer, on cuisine des champignons. Cette mère qui ne cuisinait ni pour elle-même ni pour son enfant ignorait tout des goûts alimentaires de son petit garçon.
"Être mère, ce n’est pas quelque chose d’inné" rappelle Catherine, "ça ne vient pas toujours de façon naturelle. Apprendre à prendre son enfant dans les bras quand il en a envie, le féliciter, Madame ne savait pas faire, elle n’a pas appris ça quand elle était enfant elle-même."
Amenées par la réalisatrice Pascale Fournier à expliquer les situations de vie familiale avec lesquelles elles sont aux prises tout au long du documentaire, les éducatrices nous montrent toute la complexité des relations qu’elles tentent de dénouer. Ce que "Refaire Famille" nous montre, c’est d’abord de l’amour. De l’amour peut-être mal donné, ou mal reçu, de l’amour maladroit, mais de l’amour tout de même. Ça vaut le coup de se battre.
L'engagement des éducateurs dans le soutien à la parentalité
Catherine, Émilie et Mélanie ont toutes trois des expériences professionnelles en institutions, qu’il s’agisse de foyers ou de Maison d’Enfants à Caractère Social (MECS). Si elles ont décidé de donner un tournant à leur carrière pour intervenir désormais, directement auprès des familles, c’est pour prendre les problèmes à la racine, mais aussi par tempérament.
Je me sens être une béquille auprès des parents et des enfants, le soutien à la parentalité devenait essentiel pour moi
MélanieÉducatrice spécialisée
300 000 mineurs vivent placés en France. Si le développement du soutien à la parentalité à domicile est une réponse aux carences éducatives constatées dans les familles, il intervient aussi dans un contexte où, par manque de financement, de personnel et de capacité d’accueil, les structures peinent plus que jamais à répondre aux défis contemporains de l’Aide Sociale à l’Enfance.
"Refaire famille", un documentaire de Pascale Fournier (52')
Une coproduction 13 Prods - France Télévisions
Diffusion jeudi 16 novembre à 22h 55 et rediffusions à 9 h 10 le vendredi 17 novembre, le jeudi 30 novembre et le mardi 12 décembre.
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