C’est une histoire peu connue : en Mayenne, d’octobre 1940 à avril 1942, des nomades ont été internés dans des camps. À Grez-en-Bouère, d’abord, dans l’ancienne carrière à chaux de la Marditière. Une vingtaine de personnes y a été parquée pendant deux mois. Un emplacement rapidement devenu trop petit.
C’est une histoire quasiment oubliée : celles des nomades internés dans des camps en Mayenne d'octobre à novembre 1940 dans l’ancienne carrière à chaux de la Marditière à Grez-en-Bouère.
Une vingtaine de personnes parquées sur un emplacement rapidement devenu trop petit. En décembre, les nomades vont donc rejoindre le camp d’internement de la Chauvinerie, à Montsûrs.
Là-bas, près d’une centaine de nomades vont être enfermés dans des baraquements.
Aujourd’hui encore, peu de Mayennais connaissent ce passage de l’Histoire.
"Retenus dans un camp parce qu’ils étaient nomades"
De cette histoire, il ne reste plus qu’une plaque sur le site de l'ancien camp de Montsûrs.
"Le camp d’internement se situait ici, sur toute la partie qui monte jusqu'en direction de la route de Mayenne, les baraquements étaient ici" raconte Philippe Auffray,
En pleine guerre mondiale, la famille de Philippe est retenue dans les camps. Deux de ses oncles sont internés à Montsûrs. Sa grand-mère et sa mère, elles, sont passées par trois camps, en Sarthe et en Maine-et-Loire.
"Ma mère n'aimait pas du tout parler de ce qu'elle avait vécu dans les camps", se remémore Philippe, "elle nous avait plus ou moins dit 2-3 petites choses, qu'ils vivaient en mangeant trois pommes de terre, une tranche de pain. Mais elle ne voulait pas parler de ce qu'elle avait vécu dans le camp, ça, c'était tabou".
Il y avait toujours cette peur qui était là, toujours la peur la peur la peur...
Philippe AuffrayFils de nomade internée
Des silences, qu’aujourd’hui les chercheurs tentent de combler à l’aide des rares archives qui ont perduré.
"On a les listes de nomades qui ont été internés au camp de Montsûrs", décrit Aurélien Norgeot, "ici (dans un registre) on voit une famille entière internée à Montsûrs, le père, la mère, et ici les enfants".
Des carnets anthropométriques obligatoires
À l’époque, la France est sous domination allemande, mais ce sont les autorités françaises qui gèrent et administrent ces camps. Celui de Montsûrs nait en décembre 1940.
"C’est un terrain où on avait mis en place deux rangées de baraquements, il y avait donc quatre baraquements en tout, poursuit Aurélien Norgeot.
Le camp était surveillé par sept gardes français.
"L'accès de Montsûrs était très difficile, il n'y avait pas de cantine à l'intérieur du camp donc les nomades devaient aller se ravitailler sur le marché de Montsûrs accompagnés des gardiens du camp. Mais ils n'avaient pas forcément les moyens d'acheter le nécessaire pour nourrir correctement leurs familles ".
Parmi les archives, on retrouve les carnets anthropométriques, obligatoires en France pour tous les nomades.
Aurélien tente de retracer le parcours de ces vies oubliées.
"Dans ce carnet, on a ici le portrait de monsieur Soyer, avec son signalement, sa taille, s'il avait une cicatrice, tout ce qui pouvait permettre de le reconnaître facilement, détaille Aurélien Norgeot, on a son métier, il était ramoneur ambulant"
Un devoir de mémoire
Le camp hébergera jusqu’à 80 personnes, dont une quinzaine d'enfants.
Dans les archives, une jeune femme, qui a tout juste 18 ans, une certaine Auffray… parente de Philippe.
Alors que reste-t-il désormais, sinon un devoir de mémoire ?
Didier est originaire de Montsûrs. Dès l’enfance, il entend parler de cette part de l’Histoire qu’il vaut mieux taire.
"Mes parents ne refusaient pas d’en parler, mais ils avaient très peu d'éléments", raconte Didier Beaudet, "mais ils me faisaient comprendre que, si on en parlait, c'était uniquement dans la sphère familiale".
Président d’une association d’aide aux Gens du Voyage, il milite pour une meilleure reconnaissance de cette communauté.
"Quand on parle des camps comme en Allemagne, Auschwitz, Struthof, tout le monde connait, la petite histoire des petites gens n'est pas connue et ça ce n’est pas normal".
On n'est pas responsables de l'Histoire en tant que Montsurais, mais on a un devoir de mémoire
Didier BeaudetPrésident d’une association d’aide aux Gens du Voyage
"Il faut se rappeler de ça, de ce que nos parents, nos grands-parents, nos parents ont subi, il faut le faire savoir aussi, il faut que la nouvelle génération puisse le savoir", estime Philippe Auffray.
6 700 nomades internés en France
Le camp de Montsûrs a fermé ses portes en avril 42, ceux qui n’ont pas réussi à en sortir ont été conduits au camp de Montreuil Bellay dans le Maine-et-Loire.
En France, une cinquantaine de ces camps ont existé.
"De 1940 à 1946, près de 6 700 personnes ont été internées en France parce qu’elles étaient identifiées comme Nomades par les autorités françaises, explique le Mémorial de la Shoah sur son site, lors des arrestations, les Nomades ont tout perdu : chevaux, roulottes, stands forains et des outils de travail parfois coûteux".
Les derniers internés n’ont été libérés qu’en 1946.
Avec Florie Cotenceau
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