Rencontre avec Sole Otero, lauréate du Fauve d'Angoulême Prix du public France Télévisions pour son album Naphtaline

Elle est argentine, autrice de bande dessinée et de livres jeunesse et depuis peu lauréate du prestigieux Fauve d'Angoulême Prix du Public France Télévisions, rencontre avec la talentueuse Sole Otero qui ne boude pas son bonheur...

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Pour tout vous dire, l'affaire n'a pas demandé des heures et des heures de joutes verbales, le jury du Fauve d'Angoulême Prix du Public France Télévisions composé de neuf lecteurs passionnés de bande dessinée a souhaité saluer à l'unanimité le travail de l'Argentine Sole Otero pour son album Naphtaline paru aux éditions ça et là.

"Je suis très très émue et très heureuse en même temps de recevoir ce prix, je tiens à remercier mes deux maisons d'édition, Salamandra et ça et là, ma grand-mère pour qui surtout j'ai écrit cette histoire et la maison des auteurs à Angoulême".

En résidence d'auteur dans la capitale charentaise, Sole Otero ne s'attendait peut-être pas à un tel sacre même si son album a déjà été plusieurs fois sélectionnés et primés en France et à l'étranger. Et son émotion était palpable sur la scène du théâtre d'Angoulême au moment de la remise du prix samedi 28 janvier.

Naphtaline est une histoire pleinement argentine, voire intime, mais son traitement la rend universelle. Avec un ton et un esthétisme résolument modernes, Sole Otero nous offre la radiographie d’une Argentine en crise en même temps qu’elle nous raconte la destinée d’une famille d’immigrés italiens fuyant l’horreur fasciste et tentant de se reconstruire à l’autre bout du monde entre sacrifices et désillusions. C'est aussi l'histoire de deux femmes, Vilma et RocÍo, qui, chacune à sa manière et à son époque, s'interrogent sur la vie, leur vie de femme dans une société façonnée par les hommes.

À peine remise de ses émotions, Sole Otero nous parle de l'importance à ses yeux du Prix France Télévisions, de son album, de son pays l'Argentine, de ses influences et même du fromage et du vin français. Interview...

Tout d'abord, un immense bravo pour ce Prix du public France Télévisions. Comment avez-vous vécu ce festival d'Angoulême qui vient de se refermer ?

Sole Otero. Merci beaucoup. Mon expérience a été assez incroyable. Être nominée était certainement un rêve qui se réalisait, tout comme faire partie de l'exposition Worldwide Comics Explosion et de celle des affiches de cette 50e édition du festival, avec tant d'artistes que j'admire depuis si longtemps. Alors quand j'ai gagné le prix, je crois que j'ai atteint un niveau de bonheur que je n'avais jamais connu auparavant dans toute ma vie.

Quand j'ai gagné le prix, je crois que j'ai atteint un niveau de bonheur que je n'avais jamais connu auparavant dans toute ma vie.

Sole Otero

Vous avez été sélectionnée plusieurs fois avec Naphtaline, vous avez aussi remporté plusieurs prix, notamment le Prix FNAC Espagne. Comment s'inscrit le Fauve Prix du public France Télévisions dans cet ensemble ? Comme un prix de plus ?

Sole Otero. Non, certainement pas. Le prix FNAC Espagne a été très important pour moi car il m'a aidé à m'établir en tant qu'artiste de bande dessinée, en me donnant du temps et de l'argent pour terminer le projet, mais gagner un prix d'Angoulême me semblait un accomplissement impossible, cela m'a toujours paru être réservé aux personnes que j'admire. Être parmi elles et eux me semble incroyable. Et je suis aussi très heureuse de représenter mon pays et son histoire dans un lieu aussi important pour la bande dessinée mondiale.

Naphtaline est en partie une autobiographie, en partie seulement parce que le récit est aussi le conglomérat de plusieurs histoires, de plusieurs témoignages je crois... Pourquoi ce parti pris ?

Sole Otero. Parce que la réalité manque parfois de force narrative pour être une histoire bien ficelée. Je préfère préserver le cœur des sujets dont je veux parler et construire autour une histoire qui compile toutes les choses que j'ai vécues (ou que les gens autour de moi ont vécues) pour faire de ce récit quelque chose d'aussi significatif que possible.

La réalité manque parfois de force narrative pour être une histoire bien ficelée

Sole Otero

Même si s'agit d'une saga familiale qui prend ses racines dans l'Italie fasciste, Naphtaline est une véritable histoire argentine et en même temps une histoire universelle. Est-ce selon vous les raisons de son succès à la fois chez vous en Argentine et de ce côté-ci de l'Atlantique ?

Sole Otero. Oui, probablement, car d'une certaine manière, l'histoire de l'Argentine est présentée en arrière-plan. Je voulais parler de la raison pour laquelle elle est montrée en arrière-plan, c'est lié à la place réservée aux femmes pendant des siècles, rester à l'intérieur de la maison, et c'est un sujet universel. L'histoire des femmes a été la même partout jusqu'à il n'y a pas si longtemps.

Cette saga familiale est marquée par la tragédie, la tragédie de l'exil dans les années 30 et celle de la crise économique des années 1998 / 2002. Pourquoi teniez-vous tant à inscrire votre récit dans ce climat sombre ?

Sole Otero. Parce que ce sont des moments très forts de l’immigration, qui ont façonné l'Argentine que nous avons maintenant. Je suppose que, comme j'ai moi-même émigré, pour une cause différente, mais néanmoins, je me suis sentie connectée au sentiment d'être un migrant. La crise de 2001 a également été le moment où la politique est inévitablement entrée dans la maison de tous les Argentins, qu'ils s'y intéressent ou non, et c'était donc, à mon avis, un bon moment pour que Rocio découvre qu'elle pouvait se comporter d'une autre façon que sa grand-mère.

Comme j'ai moi-même émigré, pour une cause différente, mais néanmoins, je me suis sentie connectée au sentiment d'être un migrant

Sole Otero

Vous venez d'avoir 38 ans. Vous n'étiez donc qu'une adolescente au moment de la crise. Elle semble vous avoir tout de même marqué durablement ?

Sole Otero. C'était très violent de grandir dans un quartier industriel et de le voir s'effondrer lentement, étape par étape. D'une certaine manière, c'était la seule réalité que je connaissais et le sens de tout cela, toutes les conséquences que cette période avait pour nous, c'est quelque chose que j'ai compris plus tard. J'ai vu les parents de mes amis perdre leurs maisons, leurs emplois, leurs économies, et j'ai vu comment tout le monde descendait dans la rue pour demander un changement. C'était un moment triste mais aussi le moment d'une union puissante entre nous. Quelque chose qui n'est pas si fréquent dans l'histoire d'un pays.

Naphtaline offre aussi une réflexion sur la famille et la condition féminine. Avec cette grand-mère qui a dû renoncer à ses rêves et se soumettre à cette société patriarcale. Vous vous dites féministe mais pas militante. Un album comme Naphtaline n'est-il pourtant pas un acte militant ?

Sole Otero. Oui, je pense que c'est le cas. Je suis complètement féministe dans ma façon de penser, mais j'apprends encore beaucoup sur le fait d'être féministe et je ne me suis pas vraiment battue autant que d'autres femmes que je considère comme de vraies militantes. Cela ne veut pas dire que je ne crois pas au féminisme, que je ne me considère pas comme une militante, mais que je suis reconnaissante envers toutes celles qui ont consacré leur vie entière à se battre pour nous toutes, les femmes.

J'ai travaillé longtemps sur des livres pour enfants, en dessinant des grosses têtes et des petits corps, je me suis dit que le moyen d'être plus adulte était de faire le contraire.

Sole Otero

Vos pages regorgent de trouvailles tant graphiques que narratives. Vous avez un style à part entière, très marqué. Pouvez-vous nous expliquer de quoi, de qui, de quelles envies il s'est nourri ?

Sole Otero. J'ai plusieurs influences en termes de dessin : Marc Conlan, Tara Booth, Tommy Parrish, Catalina Cartagena, Eleanor Davis, Genie Espinosa, etc. Ce sont des artistes qui façonnent aussi les corps autrement que dans des proportions traditionnelles hétéronormées, et qui sont dans cette esthétique de montrer des femmes fortes qui ne sont pas là pour faire plaisir aux hommes. J'ai l'impression d'être parmi eux, avec une manière féministe de montrer les corps. Je pense aussi que c'était lié à mon désir de développer mon dessin. J'ai travaillé longtemps sur des livres pour enfants, en dessinant des grosses têtes et des petits corps, je me suis dit que le moyen d'être plus adulte était de faire le contraire.
Et puis, bien sûr, je suis une grande fan des gens qui expérimentent avec la narration, comme Quino, Chris Ware, Rupert et Mulot... J'essaie donc de m'amuser avec ça en travaillant, et en tant que designer textile, je suis intéressée par l'utilisation de la couleur comme outil narratif, et des motifs comme ressource esthétique.

Vous êtes depuis plusieurs mois en résidence à Angoulême. Comment jugez-vous la création francophone en bande dessinée ?

Sole Otero. J'y vis depuis presque trois ans ! Je trouve la France complètement incroyable en ce qui concerne les bandes dessinées (et le pain, le vin et le fromage aussi, bien sûr). Il y a tellement de gens qui font tellement de choses que j'ai ressenti le besoin d'apprendre le français pour pouvoir tout lire. De plus, je suis toujours surprise de voir à quel point les BD sont répandues ici, comment on peut trouver des lecteurs de tous âges et de toutes professions.

Quels sont vos projets, sur quoi travaillez-vous aujourd'hui ?

Sole Otero. Je travaille actuellement sur une bande dessinée d'horreur. J'aime écrire sur la vie réelle, mais je m'intéresse aussi beaucoup aux bandes dessinées de genre, qui peuvent aussi être un bon moyen de parler de la vie réelle. Pour ce nouveau projet, j'ai donc décidé d'expérimenter l'horreur, un genre qui a pris beaucoup d'importance ces derniers temps en Argentine avec des auteurs comme Mariana Enriquez ou Samanta Schweblin, dont j'adore le travail. 

Merci Sole pour ces réponses. Et un immense merci à Serge Ewenczyk, éditeur fondateur des éditions çà et là, qui a assuré la traduction

Pour suivre le travail de Sole c'est ici, l'actualité de la maison d'édition çà et là, c'est là !

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