Suspendu 48h en raison du mouvement de grève des avocats contre la réforme de leur régime de retraite, le procès de l'ex-Premier ministre François Fillon et de son épouse Pénélope dans l'affaire des soupçons d'emplois fictifs, a démarré ce mercredi après-midi, avec l'examen de points de procédure.
Ce mercredi après-midi, l'audience a débuté par l'examen de deux questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par la défense des trois prévenus.
L'une plaidée par l'avocat de François Fillon, l'autre par celui de Penelope Fillon, et le tribunal devra y répondre avant d'examiner le fond du dossier.
La décision du tribunal correctionnel sur les QPC déposées par les avocats du couple Fillon sera rendue ce jeudi à 13h30.
Si le tribunal décidait de renvoyer l'une de ces questions prioritaires de constitutionnalité à la Cour de cassation, le procès serait renvoyé dans l'attente de la décision de la haute juridiction. Sinon, il faudra vraisemblablement attendre jeudi pour aborder le premier volet de l'affaire : l'emploi d'assistante parlementaire dont a bénéficié Penelope Fillon auprès de son époux.
Le procès s'annonce aussi retentissant que fut la chute du candidat de la droite, chantre de l'intégrité auquel l'Elysée semblait promis, finalement éliminé au soir du premier tour.La décision sur la transmission des questions prioritaires au conseil constitutionnel sera rendue demain à 13h30, avant d’aborder le fond du dossier. La présidente suspend l’audience pour aujourd’hui.
— Eleonore Duplay (@Eleonoreduplay) February 26, 2020
"Je vais pour la première fois devant des juges impartiaux me défendre", expliquait l'ancien ministre sarthois François Fillon le 30 janvier dernier sur le plateau de "Vous avez la parole", sur France 2, "toute la procédure contre moi a été une procédure exceptionnelle, une procédure à charge".
François Fillon, 65 ans, a quitté la politique sur son échec cuisant, le 23 avril 2017. Reconverti dans la finance, il assure que "les preuves" de la réalité du travail de son épouse "seront apportées durant le procès".La justice s'était saisie le jour même des premières révélations d'une longue série, le 25 janvier 2017 dans le Canard enchaîné.
Les juges d'instruction, qui ont enquêté pendant plus de deux ans, ont acquis la conviction que Penelope Fillon, 64 ans, avait bénéficié d'emplois "fictifs" d'assistante parlementaire auprès de son mari député et de son suppléant dans la Sarthe Marc Joulaud.
Une partie des accusations de détournement de fonds publics, complicité ou recel, qui remontent à 1981, sont prescrites. Sur la seule période 1998-2013, plus d'un million d'euros d'argent public ont été "détournés", estiment les enquêteurs.
Les Fillon sont également poursuivis pour recel et complicité d'abus de biens sociaux, pour l'emploi de "conseiller littéraire" obtenu par Penelope Fillon à la Revue des deux mondes de Marc Ladreit de Lacharrière,
ami de François Fillon, payé 135 000 euros entre 2012 et 2013.
Un emploi "de pure complaisance, sans contrepartie réelle" selon l'accusation, pour lequel le milliardaire a été condamné pour abus de biens sociaux au terme d'une procédure distincte de "plaider-coupable".
"Première collaboratrice"
Depuis le début de l'affaire, François Fillon a constamment défendu le travail de sa discrète épouse, sa "première et plus importante collaboratrice" dans la Sarthe, dénonçant une enquête "à charge".La pratique des emplois familiaux, interdite dans le sillage du "Penelopegate", était alors légale et répandue. Mais les enquêteurs lancés sur la piste des emplois de Penelopê Fillon n'ont guère trouvé de témoignages ou d'archives démontrant qu'elle avait réellement travaillé.
"C'est la plus diplômée de tous mes collaborateurs, elle fournissait un travail qui était plus important que beaucoup d'autres", a cependant expliqué François Fillon sur le plateau de "Vous avez la parole", pour justifier le niveau de salaire de son épouse, "tout ça était très transparent vis à vis des autorités publiques".
Les enquêteurs n'ont pas davantage été convaincus par les nombreuses pièces versées par la défense afin d'attester du travail accompli: des documents "destinés à faire masse", qui ne "démontrent rien", ont-ils estimé.
Pour eux, les activités de Penelope Fillon auprès de son député de mari n'allaient pas au-delà du "rôle social joué de manière assez traditionnelle par les conjoints d'hommes ou femmes politiques". Et le travail de Penelope Fillon auprès de Marc Joulaud entre 2002 et 2007 avait "moins de consistance encore".
La défense considère pour sa part que nombre de témoins interrogés ne sont pas pertinents et que les documents fournis ont été trop vite "balayés".
Les avocats du couple Fillon et de Marc Joulaud, 52 ans et candidat à sa réélection à la mairie de Sablé-sur-Sarthe, devraient notamment insister sur les spécificités du travail d'assistant parlementaire, qui peut recouvrer des réalités très différentes d'un député à l'autre.
Les époux Fillon se voient aussi reprocher des "emplois de complaisance" accordés à deux de leurs enfants lorsque François Fillon était sénateur, et M. Fillon la non-déclaration d'un prêt de Marc Ladreit Lacharrière.
Seule partie civile au procès, l'Assemblée nationale demande "le remboursement des sommes versées au titre de rémunérations, si jamais la juridiction considère que l'emploi est fictif", selon son avocat Yves Claisse.
Précisément, l’Assemblée Nationale entend réclamer solidairement 401 230,19 euros à Penelope et François Fillon et 679 989,32 à Penelope Fillon et Marc Joulaud.
Les trois prévenus, qui doivent comparaître jusqu'au 11 mars, encourent dix ans d'emprisonnement, de lourdes amendes et des peines d'inéligibilité. Leurs avocats plaideront la relaxe.