Maëllyss a eu son bac pro Travaux publics en juillet dernier au lycée Rosa Parks de la Roche-sur-Yon. Une réussite qui lui laisse pourtant un goût amer. Durant deux ans et demi, la jeune femme a été victime de harcèlement scolaire. Elle a porté plainte en mars 2023. Un parcours de combattante qu’elle a accepté de nous raconter.
"Si je témoigne aujourd’hui c’est pour que mon témoignage puisse aider d’autres élèves, pour que ça n’arrive pas à d’autres".
Maëllyss a 18 ans, un bac en poche obtenu haut la main en juillet dernier au lycée Rosa Parks de la Roche-sur-Yon. Et pourtant, dans son regard, comme une déception. Un sentiment de gâchis. Durant deux ans et demi, du milieu de sa seconde et jusqu’à la fin de sa terminale, elle a été victime de harcèlement scolaire. Malgré ses nombreuses alertes, et celles de sa maman, rien n’a jamais changé.
Deux filles en filière mécanique
"J'ai choisi la maintenance des véhicules de travaux publics. C'est tout ce qui est mécanique sur des pelleteuses, tractopelles et tous les engins de travaux publics confondus. J'ai choisi cette filière parce qu'au début je ne savais pas trop quoi faire et j'avais toujours été attirée par la mécanique depuis toute petite. Un ami à moi était dans cette filière, il me parlait de ce qu'il faisait et ça m'a intéressée. Donc j'ai été voir, je suis arrivée dans l'atelier, j'étais comme une enfant à Noël. Vraiment, j'ai adoré et du coup je me suis lancée dans l'aventure", confie la jeune femme alors pleine d’entrain.
Son quotidien : réparer des moteurs qui avaient un problème sur une pelle, prendre des mesures en électricité, apprendre à faire des vidanges ou à apprendre comment fonctionne un circuit hydraulique.
"Dans ma classe, on était deux filles, et le reste c'était uniquement des garçons. Il y avait très peu de filles dans cette filière", poursuit Maëllyss.
Un rêve devenu enfer
Sauf que son rêve d’enfant est rapidement devenu un enfer.
"Moi je suis de nature très sociable, et l’autre fille était très réservée, elle ne parlait pas trop. Moi j'aime bien apprendre à connaître les gens, je suis très avenante je veux chercher à apprendre comment est la personne, savoir s’il peut y avoir une amitié ou autre et du coup j'ai été vers les autres, les garçons, mais je voyais que c'était pas trop ça, que ça ne fonctionnait pas".
"A mi -parcours de ma seconde, il y a une réunion de parents-prof, donc j'ai pris rendez-vous avec certains profs et mon prof principal me demande de poser plus de questions parce que ça se voit que je ne comprends pas tout mais que je n'ose pas en poser, donc je dis pas de souci, j'en poserai plus".
Les vacances passent. Maëllyss retourne au lycée et décide de faire des efforts, de plus participer en classe. "Je reviens au lycée et je me mets à poser plus de questions sauf que les garçons de ma classe ça ne leur a pas plu".
Ils ont commencé à m'insulter, à me dire, ’t'es qu'une suceuse, de toutes façons, tu passes sous le bureau pour avoir des bonnes notes’.
MaëllyssVictime de harcèlement scolaire
Insultes et agressions
Les insultes se mettent à pleuvoir. "Je ne sais pas si c’est le vrai point de départ mais ça a commencé quand je me suis scolairement imposée. J’ai commencé à poser plus de questions comme demandé par mes professeurs pour progresser, et ça a marché. Les garçons voyaient que moi j'y arrivais et qu'ils étaient un peu plus dans la difficulté".
Les choses se sont ensuite envenimées. "On était sur de l'agression physique même", explique Maëllyss, avant de poursuivre, "arrivée en première, au beau milieu d'un cours de sport, la professeure était en train d'expliquer une consigne. Moi j'étais à côté d'elle. Les élèves étaient vraiment en arc de cercle devant elle. Et moi j'étais un peu à l'écart. Et on m'a lancé un caillou dans la tempe. Je n'ai jamais su qui, ni comment, ni pourquoi j'ai reçu ce caillou, qui est arrivé comme ça au beau milieu de nulle part. Une autre fois, en attendant un cours, j’ai reçu une pièce de vingt centimes entre les deux yeux".
Humiliations sur les réseaux sociaux
Les humiliations via les réseaux sociaux ont rapidement suivi.
"Il y a eu des montages aussi de fait, on avait un groupe de classe sur Snapchat. J'avais acheté un nouveau manteau un peu typé hiver et ils ont pris une photo de ma tête sur mon Instagram, ils ont pris une photo de l’inspecteur Gadget parce qu'ils trouvaient que le manteau ressemblait à celui de l’inspecteur Gadget. Ils ont mis ma tête dessus, ils ont rajouté la pièce de 20 centimes, le caillou à côté de la tempe et une corde au niveau de la gorge parce que je m'étais reçue une corde sans faire exprès par un des gars sur un cours de sport. Il s’était excusé donc je n’avais rien dit. Mais les montages humiliants comme ça ont continué".
Sans que je ne demande rien, sans que je ne dise rien, c'était direct, quand ils pouvaient trouver quelque chose à me dire et bien ils le disaient et puis ils faisaient en sorte que ça appuie bien sur un de mes complexes.
MaëllyssVictime de harcèlement scolaire
Spirale infernale
Maëllyss poursuit sa scolarité, les mois et les années passent. Rien ne change. "Ils étaient tout le temps en train de chercher la moindre petite bête. Un jour j'ai eu mon permis au milieu de la Terminale J'arrive avec ma voiture au mois de février au lycée, le lundi, je la gare sur un des parkings et le mercredi, j'arrive à ma voiture et je vois qu'il y a tous les balais d'essuie-glaces relevés, mon antenne qui était bloquée dans ma poignée de porte avant. Ma plaque de moteur à moitié tombée… En fait je ne saurais pas dire si c'est eux mais il n’y a qu’avec eux que j’avais tous ces problèmes au lycée, donc pour moi c'était évident".
Ma voiture, que j’ai retrouvée abîmée, je me suis débrouillée pour l'acheter, même si ma mère m'a aidée elle ne m’est pas tombée tout cru dans le bec, je me suis démenée pour avoir ce que j'ai, c’est pas pour que derrière on s'attaque à mes affaires.
MaëllyssVictime de harcèlement scolaire
La jeune lycéenne a également vu son véhicule préparé pour faire le ‘Rallye des gazelles’, abîmé. La goutte d’eau qui fait déborder le vase.
"Même mes professeurs m’ont fait remarqué que plein de pièces avaient été abîmées exprès. C’est à ce moment -là que je me suis dit, ça ne va jamais s'arrêter".
Ils trouvaient toujours quelque chose à dire ou à faire pour envenimer encore plus la situation, pour que ce soit moi qui soit en faute et qui finisse par faire quelque chose que je pourrais regretter.
MaëllyssVictime de harcèlement scolaire
Peur des représailles
Maëllyss, par chance, a commencé à prendre conscience de la violence et de l’injustice et à ne plus vouloir subir.
"Un jour, première heure de cours de la journée, on me dit un truc méchant, je me suis levée et j'ai clairement dit les choses et j'ai pas été tendre dans mes paroles mais là c'était vraiment la goutte qui a fait déborder le vase. Je me suis dit non, stop. J'en ai parlé à mon professeur principal qui a pris l’élève à part et lui a dit de se calmer et de s’excuser. Mais je n’ai jamais eu d’excuses. Et ça ne s’est jamais calmé".
Seule
"Les professeurs étaient 'Oh bah ça se passe mieux, c'est bien'. Je disais : 'oui, ça se passe mieux'. Certainement parce que je ne voulais pas avoir de problème derrière. Je me disais, si je raconte encire un truc qu’ils m’ont fait, je vais encore être accusée de poucave, comme ils savent bien dire, de balance'.
Pourtant totalement victime, ses harceleurs la faisaient passer pour une menteuse. "T'es qu'une balance, t'inventes tout. On n'a jamais dit ça, on n'a jamais fait ça. C'était tout le temps ce qu’ils me disaient. Ma faute, ma faute, ma faute, mais jamais la leur".
Maëllyss subit un déferlement de violence, sans fin.
A tout moment, je pouvais m'en prendre une.
MaëllyssVictime de harcèlement scolaire
Le dérapage
"Un jour, lors d’un cours de co-gestion, il y en a un qui a été dire à toute ma classe : ‘Maëlyss elle baise avec un de ses collègues'. Il parlait d’un de mes collègues au garage où je faisais mon alternance. Cette information, je ne sais pas d'où il la sortait. Il ne connaît pas mes collègues, il ne me parle jamais. Et il ne connaît pas ma vie. Quand j'ai appris ça, j'en ai parlé directement à mes chefs à l’atelier. Et ils m'ont dit, c'est plus possible, va porter plainte".
Que fait le lycée ?
"Le lycée n’a bougé une seule fois le petit doigt, pas une sanction, rien. Donc j'ai été porter plainte. Mais mes chefs m'ont dit 'surtout ne dis à personne dans ta classe que tu as été porter plainte parce que s'il y en a un qui l'apprend, tu peux avoir des représailles'. Et ça je le savais. Donc je n’ai rien dit, je n’en ai parlé qu’ à ma famille, et à des amis proches".
Dépôt de plainte
Maëllyss a porté plainte en mars 2023, deux mois avant les examens du baccalauréat. "J'ai envoyé mon dépôt de plainte pour harcèlement scolaire au lycée, à mon entreprise. Et le lycée a répondu avec un mail en disant qu'ils n'étaient pas capables de juger du harcèlement, qu’ils n'avaient pas les compétences pour".
La seule chose que le lycée m’a proposé c’est que je finisse mes études dans mon entreprise, que je quitte le lycée. Le matin je travaillais à l’atelier et l’après-midi mes cours pour mon bac, sur internet.
MaëllyssVictime de harcèlement scolaire
Maëllyss n’est retournée au lycée que pour passer les épreuves du bac. Dans la même salle de classe avec ses anciens camarades qui lui faisaient vivre un enfer.
"Quelques professeurs m’ont dit qu'ils ne trouvaient pas ça correct mais ils m'ont dit 't'inquiète pas on sera là, si t'as le moindre problème sur un exercice tu nous envoies un mail on te répondra directement, il faut pas que tu t'inquiètes, t'es pas toute seule'.C’était compliqué mais je me suis accrochée. Je me suis dit on va tenter et puis on verra bien comment ça se passe".
J’ai eu mon bac avec une mention. Donc je me dis que je peux être fière de moi malgré ce qu'ils m'ont fait subir. J'ai fait mieux que certains qui, eux, sont tombés assez bas.
MaëllyssVictime de harcèlement scolaire
Un véritable traumatisme
Cette longue période n’aura pas été sans conséquences pour la jeune femme. Aujourd’hui encore elle en mesure l’impact sur sa vie de jeune adulte.
"J'ai complètement arrêté la mécanique Travaux Publics, la mécanique tout court c'est fini, je ne peux plus. J’ai besoin d'une pause. Pendant un mois et demi je me suis concentrée sur moi-même, sur ce que je voulais vraiment, sur ce que je voulais faire".
Je me dis que vivre cette épreuve, en un sens m’ai aidé. Si je n’avais pas vécu ça, je ne me serais pas rendu compte de certaines choses. Maintenant, je vois plus de choses. Les gens, je m'en méfie. Je ne donne plus ma confiance comme ça. Et j’ai perdu de la confiance en moi.
MaëllyssVictime de harcèlement scolaire
"Aujourd’hui, avec un peu de recul, ça m'a détruit, on va dire ça comme ça. C'est très compliqué à vivre. Parce que tu te mets dans ta bulle, tu ne parles plus àpersonne, tu ne te confies plus. Tu deviens agressif parce que le moindre truc qu'on te dit, tu vas le prendre mal. Tu ne dors plus, tu ne manges plus trop".
J'ai réussi à m'en sortir parce que j'avais ma famille, mes amis. Et ça m'a permis de prendre du recul. J'ai réussi à m'en sortir. »
MaëllyssVictime de harcèlement scolaire
Témoigner pour aider les autres
"J'ai envie d'aider ceux à qui ça arrive actuellement. J'ai des amis qui sont dans ce cas. Je leur ai dit, 'tu sais que j'ai vécu ça, que je suis là si tu veux en parler'. Et il y en a beaucoup qui effectivement ont du mal à en parler, mais à force de dire les choses, ils se disent qu’effectivement en parler ça fait du bien. Et ça au début on s'en rend pas compte, on se dit non, tout ça je garde pour moi parce que du coup c'est honteux de le dire, on a peur de se faire harceler. »
Qu’est-ce que la Maëllyss d'aujourd'hui dirait à la Maëllyss d'il y a deux ans? Elle lui dirait, lâche rien. Bats-toi.
MaëllyssVictime de harcèlement scolaire
Comme une thérapie
"J’étais dans une filière considérée comme une filière d'hommes. C'est pas parce que t'es une femme que tu peux pas y arriver. Pourtant c’est ça qu’ils n’arrêtaient pas de me dire : ‘T'es une femme, t'as rien à faire là. Une femme c'est dans la cuisine’. Quand t'as cette mentalité là, en classe de seconde tu dis, ils vont aller loin".
" Il y en a certains qui ne savaient pas forcément pourquoi j'étais devenue assez agressive à un certain moement, je n’arrivais pas à l'expliquer non plus, c'était très dur de me faire parler. Et maintenant, ça y est, je suis libérée, je libère ce que j'ai à dire".
Le conseil que je donnerai c’est d’en parler à ses parents, ou à des amis proches. Et puis d’aller porter plainte. Car dans les deux cas, c’est une libération.
MaëllyssVictime de harcèlement scolaire
"Je ne reconnaissais plus ma fille"
Pour la maman de Maëllyss, son premier soutien, la période est encore difficile à évoquer. Et l'émotion forte, quand elle repense à ce que sa fille a dû traverser.
"Maëllyss c'est une enfant joyeuse, le petit clown de la famille, la joie de vivre incarnée. Je l'ai vu se tranformer. Je ne la reconnaissais plus. Il n'y avait que de la tristesse chez elle ou de la colère. Quoi qu'on lui disait, elle nous rentrait dedans systématiquement. Ça m'a interpellée. Je lui posais souvent la question : 'est-ce que ça va ? Mais elle me répondait toujours que oui". Pourtant elle se renfermait. Je ne reconaissais plus ma fille", explique Estelle Prié.
"Ça a été insidieux, petit à petit. Jusqu'au jour où je suis rentrée dans sa chambre, avec son frère qui m'a beaucoup aidé, et on a réussi à la faire parler. Ç'est là qu'on a compris qu'elle était harcelée, insultée, rabaissée au lycée".
Estelle PriéLa maman de Maëllyss
Silence radio du lycée
"J'ai appelé le lycée et particulièrement son professeur principal pour lui dire qu'il y avait des problèmes dans sa classe et pas des petits problèmes, et qu'il fallait que ça bouge rapidement; que quelque chose soit fait. On m'a dit : 'on va voir ce qu'on peut faire, on va surveiller'. Mais ça a continué encore et encore. J'ai appelé plusieurs fois et j'avais toujours le même discours", confie dépitée la maman de Maëllyss.
"Un jour j'ai décidé d'envoyer un mail pour qu'il y ait une trace de tout ça, avec les noms des personnes qui faisaient du mal à Maëllyss. En leur disant à nouveau que Maëllyss n'allait pas bien".
De 17 de moyenne, elle est tombée à 8. On m'a répondu oui mais il y a un manque de motivation. je leur ai dit non, Maëllyss se sent dégradée par les autres. On m'a répondu que pour protéger les agents et les apprenants, ils préféraient écarter Maëllyss du cycle scolaire.
Estelle PriéMaman de Maëllyss
Colère et incompréhension
"Ils ont demandé à ma fille de rester dans l'entreprise où elle faisait son alternance et de suivre les cours par internet, au sein de l'entreprise. Il fallait donc en plus que son entreprise lui mette un ordinateur à disposition. Quitter le lycée, l'année du bac."
C'était elle la victime et on lui disait de quitter le lycée, l'année du bac. Je suis rentrée dans une colère. J'ai renvoyé un énième mail au lycée resté sans réponse.
Estelle PriéMaman de Maëllyss
Estelle se lance alors dans une procédure judiciaire."Nous avons déposé plainte à la gendarmerie contre les quatre personnes concernées. A ce jour on ne sait pas ce qu'il en est."
"Incompétent pour juger du harcèlement"
"Pour moi le lycée ne nous a pas du tout aidé. Il a même enfoncé la tête de Maëllyss dans l'eau. les échos que j'avais de cette classe c'est que même les professeurs étaient désabusés de cette classe. Je comprends d'autant moins dès lors que le lycée n'ait pas agi."
"Quand on met nos enfants dans une école , on les met sous la responsabilté de l'éducation nationale. mais il n'y a rien en fin de compte", lance attristée cette maman de deux enfants.
On m'a juste répondu, désolé mais nous ne sommes pas juges. Nous ne pouvons pas juger du harcèlement. Nous ne sommes pas compétents en la matière. Quand vous entendez-ça vous vous dites mais vers qui dois-je ou puis-je me tourner ? La seule voie qui me restait c'était la justice.
Estelle PriéMaman de Maëllyss
L'établissement Rosa Parks de la Roche-sur-Yon, contacté, n'a pas souhaité répondre à nos sollicitations.
Maëllyss ne serait pas la seule élève harcelée de l'établissement. Mardi 26 septembre dernier, deux élèves de première ont été placés sous le régime de la garde à vue à La Roche-sur-Yon. Scolarisés au lycée Rosa Parks, ils sont soupçonnés d'avoir harcelé une élève de seconde.
"La prévention et la lutte contre le harcèlement entre élèves est l'une des priorités du ministère", a annoncée avec force le ministre de l'éducation Gabriel Attal le 25 septembre dernier.
Un numéro vert et une application mobile sont à disposition et à l'écoute des élèves, des parents et des professionnels. Pour tout renseignement ou signalement, vous pouvez composer le 3018.
Ce numéro est gratuit, anonyme et confidentiel et disponible 7j/7, de 9h00 à 23h00.
Le reportage de Elise Coussemacq, Antoine Ropert et Nicolas Guilbaud