"On mésestime l'importance" du débarquement en Provence, selon un historien

Le débarquement en Provence, qui a pourtant "sacrément accéléré la libération" de la France, est "mésestimé", estime l'historien Jean-Marie Guillon, professeur émérite à l'Université Aix-Marseille (UMR TELLEMME). "Cette opération a sacrément accéléré la libération de la France."

C'est sa "réussite beaucoup plus rapide que prévu" qui occulte à ses yeux l'importance stratégique de cette opération, dont le 70e anniversaire est commémoré vendredi.

Quel est le sens stratégique du débarquement en Provence?
R: "Il entre, comme celui de Normandie, dans le cadre de la préparation d'un second front à l'Ouest, pour soulager le front de l'Est. Il est indissociable de celui de Normandie. Ils sont prévus pour être couplés. Ce n'est qu'en avril 1944 qu'ils sont dissociés, pour des raisons pratiques: le nombre de chalands de débarquement disponibles est insuffisant pour assurer les deux, et l'avance alliée en Italie piétine. L'un des drames de la Résistance dans la région est d'ailleurs qu'elle n'en a pas été prévenue! Des milliers d'hommes prennent alors des positions assignées préalablement, mais beaucoup se feront massacrer, se retrouvant à découvert. Pour les Américains, ce débarquement vise aussi à assurer la maîtrise des ports en eaux profondes de Marseille et Toulon, essentiels à l'approvisionnement des troupes. Un tiers du tonnage américain envoyé en Europe transitera ainsi par Marseille!"


140.000 hommes débarqués

Peut-on parler de succès?
R: "Oui! Ce débarquement a connu une réussite beaucoup plus rapide que prévu. La libération de Marseille était prévue à J+40, celle de Lyon à J+90. Or, 14 jours après le débarquement, Marseille et Toulon sont libérés et dès le 3 septembre, Lyon est dépassé... Cette opération a sacrément accéléré la libération de la France. Cela tient d'abord à la grande précision de la préparation, dans laquelle les réseaux de renseignements de la Résistance ont joué un grand rôle. Les moyens des Américains assurent également une supériorité incontestable.
Au 24 août, 140.000 hommes auront débarqué, ce n'est pas tellement moins qu'en Normandie... Enfin, il faut relever la faiblesse des troupes d'occupation. Certaines ont été envoyées en Normandie, il n'y a pas de réserve dans l'arrière-pays, pas de couverture aérienne, peu de puissance navale..."

Quel rôle jouent les Français?
R: "Lors du débarquement proprement dit, un rôle secondaire, le gros des troupes arrivant à partir du 16 août. Mais l'"armée B" du général De Lattre va avoir un
rôle essentiel dans la libération de Marseille et Toulon: c'est sa mission première, pendant que les Anglo-Américains, dont elle prend le relais le 19 août, foncent vers la vallée du Rhône. Les informations et actions de la Résistance, soulignées par les officiers américains, seront très précieuses pour l'ensemble de la campagne. Il faut souligner aussi le rôle des "indigènes", qui constituent le gros de l'"armée B", en particulier dans la prise de Toulon et celle de Marseille. Les tirailleurs algériens sont ainsi les premiers à pénétrer dans cette ville le 23 août."


Les Français participent à leur propre libération

Quelles sont les composantes de cette "armée B"?
R: "On peut dire qu'il s'agit de l'armée de la France réconciliée... Un des grands mérites de De Lattre est d'avoir réussi à constituer une première armée française avec des éléments aussi antagonistes que les Français libres et l'Armée d'Afrique (80% des effectifs de l'armée B), que l'on peut qualifier d'ex-armée de Vichy, dont Weygand, gouverneur général de l'Algérie, a constitué l'embryon, les Allemands y voyant initialement une force d'opposition aux Anglais, avant de se raviser..."

Comment De Gaulle considère-t-il ce débarquement?
R: "La préoccupation de De Gaulle est de faire en sorte que les Français participent à leur propre libération. L'armée française ne joue aucun rôle dans le débarquement de Normandie. La principale unité qui y débarquera sera la 2e DB de Leclerc, le 1er août. La grande affaire des Français, c'est la bataille de Toulon et Marseille, puis la montée vers l'Alsace. Cette participation est absolument essentielle pour De Gaulle."


La Normandie fait ombrage à la Provence

S'agit-il d'un débarquement oublié?
R: "Non. Je crois qu'on a tendance à abuser de cette rhétorique de l'oubli... En revanche, c'est un débarquement dont on mésestime l'importance. Il pâtit d'avoir été découplé de celui de Normandie, alors qu'il s'agit d'une opération d'ensemble. Il est aussi second, par rapport à celui de Normandie. Les enjeux ne sont pas les mêmes, les moyens déployés non plus. La Normandie fait ombrage à la Provence. C'est normal, sauf qu'il faut quand même lui restituer son importance. Il pâtit aussi du fait qu'il a trop bien réussi! On ne piétine pas pendant plus d'un mois comme dans la bataille de Normandie. Vu d'un peu loin, c'est finalement un débarquement sans histoire... Il a trop bien marché, ce débarquement!"
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