C'est l'histoire d'un mec, mort le 19 juin 1986 dans le choc de sa moto avec un "putain de camion", sur une route des Alpes-Maritimes. Un humoriste de grand talent et un comédien hors pair. Les fans lui ont rendu hommage ce samedi 19 juin à Opio dans les Alpes-Maritimes, là où il est mort.
C'était le jeudi 19 juin 1986. En fin d'après-midi, l'information tombe. Coluche, humoriste provocateur, à la salopette à rayures bleues, au nez rouge n'est plus.
L'homme à la salopette à rayures bleues s'est tué dans un accident de moto, près de Grasse, percuté par un camion. Il avait 41 ans.
Hommage était rendu ce samedi 19 juin 2021 à Opio dans les Alpes-Maritimes :
On est peu nombreux, mais le coeur y est. On est là, on fait le geste...
"Je suis émue car c'est quelqu'un d'important qui est libre dans la tête et le coeur. Il a toujours dit ce qu'il pensait. je suis motarde, j'ai une Harley Davidson, et je suis là chaque année", nous précise la seule femme venue lui rendre hommage ce matin.
Sur la route qui lui a été fatale, sur un rond-point qui porte son nom, un totem réalisé par le dessinateur de presse Kristian rend hommage depuis à l'artiste.
Chaque année, des amoureux de l'humoriste s'y retrouvent. Il est d'habitude organisé un "Run" à moto, mais cette année l'hommage était plus modeste. Règles sanitaires obligent. Les organisateurs donnent rendez-vous dans un an ": pour mieux se retrouver avec un succès encore plus grand."
La consigne était claire : "N'hésitez pas: du klaxon au rupteur, un max de bruit. Pour son 35e anniversaire.!"
Les premiers journalistes sur place racontent
Ce jeudi 19 juin 1986, Jean-François Giorgetti est encore un jeune journaliste. Pigiste à FR3 Côte d'Azur, ce milieu d'après-midi, son rédacteur en chef Hugues Girard, lui demande dans un couloir de repartir en tournage :"Il m'a dit qu'il y avait un accident, un mort et apparemment il pouvait s'agir de Coluche..."
Avec ses collègues Jean-Claude Honnorat, Jean-Louis Fournigault et un technicien éclairagiste, le jeune caméraman attrape sa caméra. J’étais très embêté, elle sortait de maintenance, les nouveaux réglages n'avaient pas été faits... Ce n'était pas le moment de faire des images floues..." se souvient Jean-François.
Arrivée sur place, l'équipe de la station de La Brague à Antibes, est la première. "La moto était là, par terre. Le camion en travers. Le corps avait déjà été évacué vers l'hôpital de Grasse. Les copains, compagnons de route, étaient assis dans l'herbe, au bord de la route..."
On a fait l'interview du chauffeur du poids-lourd à la volée... Il nous disait rentrer chez lui, avait tourné à gauche, ne pas avoir vu la moto... Elle avait tapé sur le bord droit du pare-chocs
Une interview, simple et directe. La première sur le drame. Revoyez le reportage tourné à l'époque :
Jean-François, avait connu pour son travail la guerre en Afghanistan, mais il le reconnait toujours aujourd'hui : "L'ambiance était particulière... Les gendarmes très coopératifs, l'un d'eux nous avait montré le casque de Coluche, accidenté. Mais avec les collègues nous n'étions pas mal à l'aise, nous voulions faire notre travail le mieux possible, avec sang-froid, distance et recul".
Après le boulot, on s'est dit : merde, c'est Coluche. Avec Jean-Claude Honnorat, on en parle encore, cela reste un "grand moment" dans nos carrières
La cassette des images, les rushes, a été mise sous coffre dès le retour à la station. "Même si à cette époque, nous pouvions travailler sur le terrain plus facilement, sans périmètre de scéurité à 10 km par exemple. On entrait au coeur des faits.Mais il y avait une grosse pression des paparazzi, "se souvient-il. Une photo de Coluche sur son lit de mort avait d'ailleurs été faite, elle circulait dans certaines rédactions, "pas chez nous" précise le rédacteur devenu spécialiste des sujets justice sur France 3 Provence Alpes Côte d'Azur.
Le lendemain, il a aussi filmé la levée du corps à la morgue de Grasse. "Il n'y avait quasiment personne sur place... On imagine aujourd'hui ce que pareil drame pourrait provoquer comme mobilisation et sans compter celle sur les réseaux sociaux," ironise notre confrère.
Jean-Claude Honnorat s'est aussi souvenu de ce jour, sur son compte Facebook, nous sommes bien en 2021 :
Pour celui qui en 1986 avait assuré le commentaire du reportage, c'est bien une légende qui disparaissait là. "Coluche était très aimé des Français. Notre génération des baby-boomers se reconnaissait dans ses ricanements, ses formules, ses transgressions. On s'arrachait ses vinyles, on se bousculait à ses spectacles..." se souvient Jean-Claude Honnorat. "Et voici qu'une putain d'après-midi de juin 86 Jean-François Giorgetti avec sa caméra et moi, avec mon micro, arrivons sur cette petite route d'Opio..."
Le silence. Les sanglots étouffés de ses deux copains motards, tête dans les mains, incrédules. Le chauffeur du camion répète en boucle « je l'ai pas vu arriver, j'avais déjà braqué la cabine pour tourner... J'ai rien entendu du choc ». Un gendarme tient le casque broyé façon paquet de chips. Coluche ne le portait pas. Ce casque léger était enfilé sur le guidon. Il a été écrasé et traîné sous la moto. Peut-être que porté, il lui aurait sauvé la vie... Sentiments mélangés de tourner un document "historique", et envie aussi de tout poser là
Jean-Claude a son franc-parler, les mots ne lui manquent jamais. "J'avais envie d'engueuler le ciel et les arbres d'avoir laissé perpétrer cette exaction, juste avant l'été. Coluche avait notre âge. Ils nous avait vengé des années de plomb des censures de l'information sous De Gaulle, Pompidou et Giscard. Il expliquait si bien les jeux de pouvoirs par ses jeux de mots. Depuis personne ne l'a remplacé. Plus personne pour moquer les blancs, les noirs, les arabes, qui tous rigolaient ensemble de ses gags. Aujourd'hui, il serait viré des radios et des télés. Triste époque" selon lui.
De Paris à Opio
Coluche est né le 28 octobre 1944 à Paris, près de la porte d'Orléans, d'un père ouvrier (mort quand le gamin avait 3 ans) et d'une mère femme de ménage. Il n'était pas allé bien loin pour commencer sa carrière d'homme de spectacle, en 1969, rue d'Odessa, au Café de la Gare (Montparnasse).
Ce café-théâtre, dirigé par Romain Bouteille, a été un vrai conservatoire du spectacle : Les Dewaere, Miou-Miou, Gérard Lanvin, Renaud, Anémone, Josiane Balasko, Michel Blanc y ont également débuté.
Individualiste forcené, Coluche monte en 1972 sa propre troupe, "Au vrai chic parisien". Il crée "Thérèse et Triste" et "Ginette Lacaze" (où il partage la vedette avec Balasko), deux comédies loufoques que remarque Paul Lederman, producteur avisé et par ailleurs manager de Claude François et Thierry Le Luron.
César du meilleur acteur
Il va alors enchaîner les spectacles (L'Olympia en 1973 en lever de rideau de Dick Rivers, en vedette en 1975, Bobino en 1975, le Théâtre du Gymnase en 1978 puis en 1980 où il drainera 600.000 spectateurs).
La légende se construit avec son lot de provocations et de gags, dont le vrai-faux mariage le 25 septembre 1985 avec l'imitateur Thierry Le Luron, complice et rival qui mourra peu après lui, le 13 novembre 1986.
De son vivant, le rondouillard gouailleur ne faisait pas l'unanimité. Il divisait la France en deux et la ligne de partage ne recouvrait pas forcément un simple clivage politique.
Ainsi, la décision de se porter candidat à "l'érection pestilentielle" en 1981 (sous l'étiquette du "candidat nul") suscita des remous à droite et à gauche. Ce
farouche opposant à "l'establishment" vit se dresser contre lui les professionnels de la politique de tout bord et il préféra jeter l'éponge.
C'est ce Coluche en campagne qu'a retenu en 2008 Antoine de Caunes pour son film "Coluche, l'histoire d'un mec", incarné par François-Xavier Demaison. Lequel salua alors "la complexité du personnage, sa finesse, son intelligence (et) sa capacité à catalyser une certaine connerie à la française".
Après la parenthèse politique, l'artiste retourna à son vrai métier, celui de "premier amuseur public de France" comme l'avait qualifié l'International Herald Tribune.
Ce "métier", il l'exerça sur scène, à la radio (RMC, d'où il est renvoyé pour insolence envers la famille princière de Monaco, RFM et surtout Europe 1), au cinéma (24 films, tous comiques, à l'exclusion de "Tchao Pantin" de Claude Berri en 1983 qui lui vaut le César du meilleur acteur), et aussi à la télévision (notamment un faux journal télé sur Canal+).
Dans ces années 80, il n'était pas toujours très en forme : il divorça, apprit que son pote Patrick Dewaere s'était suicidé (1982) avec le fusil qu'il lui avait offert, a abandonné la scène, plongé dans la drogue.