Le 26 novembre 1974, c'est face à une Assemblée nationale presque uniquement masculine que Simone Veil prend la parole. Elle défendra ce qui est alors vu comme un crime par une partie de la société : avorter. Retour sur le combat d'une Niçoise qui a marqué l'Histoire.
"Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement". En novembre 1974, Simone Veil prononce ces mots à l'Assemblée nationale. C'était alors le début d'un rude combat qu'elle mènera la tête haute : légaliser l'IVG, l'interruption volontaire de grossesse.
Jusqu'alors, des centaines de milliers de femmes y ont recours de manière clandestine, parfois au prix de leur vie. La loi qu'elle fera voter changera leur quotidien, et celui de toutes les femmes.
Au-delà de cette avancée majeure dont elle est devenue le symbole, elle a surtout été une grande combattante des valeurs de liberté. Ce combat s'est notamment forgé à Nice, où elle a grandi et où son destin se verra bouleversé en 1944.
Une enfance niçoise
En 1924, il y a exactement cent ans, la famille Jacob s'installait à Nice. La maman, Yvonne, s'est laissé convaincre par son mari architecte. Il est persuadé que la Côte d'Azur deviendra bientôt un terreau fertile pour multiplier les projets. Après trois années passées dans la ville, leur dernier enfant voit le jour.
La benjamine de la famille Jacob s'appelle Simone. Tout le monde la connaîtra un jour sous le nom de Simone Veil.
De cette enfance sur la Côte d'Azur, cette dernière dit garder un souvenir impérissable. Dans son autobiographie publiée en 2007 - et dont le premier chapitre s'intitule "Une enfance niçoise" - elle évoque un "bel immeuble bourgeois, situé dans le quartier des Musiciens". Elle y décrit cette "famille heureuse" dans laquelle elle a grandi, occupant ses journées entre la plage de Nice et une maison familiale à La Ciotat.
"Lorsque je repense à ces années heureuses de l’avant-guerre, j’éprouve une profonde nostalgie. Ce bonheur est difficile à restituer en mots, parce qu’il est fait d’ambiances calmes, de petits riens, de confidences entre nous, d’éclats de rire partagés, de moments à tout jamais perdus."
C’est le parfum envolé de l’enfance, d’autant plus douloureux à évoquer que la suite fut terrible.
Simone Veil dans son autobiographie, "Une vie"
L'arrestation par les nazis, sur ses terres
Jusqu'alors, la famille Jacob vivait une vie ô combien paisible, assumant en société sa culture juive malgré un climat ambiant de plus en plus délétère. "Très simplement, nous étions juifs et laïques, et n'en faisions pas mystère." explique Simone Veil.
Seulement, la déclaration de guerre en 1939 va marquer un tournant brutal. En 1940, le statut des Juifs prive le père, André Jacob, de son métier. Cet ancien combattant de la Grande Guerre ne peut désormais plus exercer. La situation ne fera qu'empirer par la suite.
A Nice, plus encore qu'ailleurs, le danger courait les rues.
Simone Veil dans son autobiographie, "Une Vie"
Le 29 mars 1944, Simone passe son baccalauréat. Le lendemain, elle est arrêtée par la Gestapo avec sa mère, son frère et sa sœur Madeleine. Ils rejoindront ensuite un train, sans se douter de la suite.
Le lot des personnes arrêtées quittait Nice à la fin de chaque semaine, sans doute en fonction du nombre de places dans les wagons, des voitures de voyageurs ordinaires.
Simone Veil dans son autobiographie, "Une vie"
La famille rejoindra le camp de Drancy avant d'être envoyée vers Auschwitz-Birkenau. Simone n'est désormais plus qu'un numéro : elle devient le matricule 78651.
Après plusieurs mois d'horreur, les nazis évacuent les camps en janvier 1945. Alors que les alliés gagnent du terrain, ils forcent les déportés à effectuer une longue "marche de la mort" dans un froid glacial.
Ce fut un épisode particulièrement atroce. Ceux qui tombaient étaient aussitôt abattus.
Simone Veil dans son autobiographie, "Une vie"
Simone Veil fera partie des survivants de la Shoah. Par la suite, elle fera de son mieux pour "revivre".
À Paris, elle poursuivra des études de droit, s'éloignant peu à peu de Nice pour accomplir le destin qui l'attend.
Je suis retournée à Nice (...) pour y voir des amis, mais j'ai rapidement senti que ma vie n'était plus là-bas.
Simone Veil dans son autobiographie, "Une vie"
Un combat pour l'humanité
Simone Veil a survécu aux camps. Et toute sa vie, elle la consacrera à un idéal de liberté, pour chacune et chacun. Quand elle entre en politique en 1974, en tant que ministre de la Santé, elle est alors l'une des premières femmes à ce poste.
Le 26 novembre 1974, elle portera sa loi permettant de légaliser l'avortement, dans un contexte où de nombreuses femmes ont recours à l'avortement de manière illégale.
Elles sont 300 000 chaque année. Ce sont celles que nous côtoyons chaque jour et dont nous ignorons la plupart du temps la détresse et les drames. C'est à ce désordre qu'il faut mettre fin. C'est cette injustice qu'il convient de faire cesser.
Simone Veil, le 26 novembre 1974 à l'Assemblée nationale
Après ce combat législatif, qu'elle gagnera, elle consacrera sa vie aux droits des femmes et à l’Europe, devenant en 1979 la première présidente élue du Parlement européen.
En 2018, elle entre au Panthéon avec son époux Antoine, en reconnaissance de son rôle dans l’Histoire française. Son combat pour la liberté fait désormais partie de l'éternité.