Témoignages. "Un viol, c'est être tuée de l'intérieur" : des lycéens mettent sur la table les violences faites aux femmes

Publié le Mis à jour le Écrit par Laure Bolmont

Depuis quatre ans, le lycée Émile-Zola d'Aix-en-Provence a placé la lutte contre les violences faites aux femmes au cœur de ses enseignements. Un sujet délicat que des professeurs formés abordent dans leurs cours. Peu à peu, au sein de l'établissement, la parole se délie et le regard des élèves évolue.

"Il y a un vrai besoin d'éducation", explique Laetitia Benadiba Sellam. Cette souriante professeure d'éco-gestion, porte le projet comme un étendard, avec conviction et idéalisme. "L'Éducation nationale n'est pas là seulement pour apporter des savoirs aux élèves, mais aussi pour les accompagner dans leur construction d'adulte et de citoyen". Son sujet de prédilection, les violences faites aux femmes, auxquelles la journée du 25 novembre est justement consacrée.

Au lycée Émile Zola d'Aix-en-Provence, enseignants, psychologue, infirmière scolaire, conseiller principal d'éducation (CPE), toute la communauté éducative est en ordre de marche derrière cette jeune femme énergique ce jeudi 23 novembre, pour une journée de sensibilisation. Des intervenants ont pris place dans différentes salles de cours et invitent près 200 étudiants de BTS et lycéens à débattre tour à tour de sujets "toujours tabous". La violence infligée aux jeunes filles, qu'elle soit physique, morale, sexuelle, administrative, économique, est exposée avec crudité, disséquée et commentée de manière directe.

" Mais ça commence quand la violence ? "

Catherine est policière municipale. Devant son jeune auditoire attentif, elle raconte "du vécu", les appels de détresse de femmes violentées, les interventions d'urgence, la mort sous les coups, un féminicide qui a marqué sa carrière. Elle s'émeut à l'évocation d'une mère de famille retrouvée "complètement nue en pleine rue", mise à la porte par un mari violent qu'elle avait dénoncé avant de retirer sa plainte.

Cette femme, sous l'emprise de son bourreau conjugal, a fini par se donner la mort pour échapper à son calvaire, se souvient Catherine qui invite les élèves à signaler "des bleus, des yeux au beurre noir et des blessures" qu'ils observeraient fréquemment sur une personne de leur entourage et à porter plainte si un jour, ils étaient eux-mêmes victimes de violence.

"Mais ça commence quand la violence ?", lui demande un étudiant." Une dispute, un coup qui part, on peut porter plainte contre nous ?", s'interroge le jeune garçon. "La violence, c'est dès le premier coup, lui répond la policière qui enchaîne sur les relations sentimentales.

"La jalousie n'est pas de l'amour, si un garçon vous surveille, géolocalise votre portable, vous dit que votre rouge à lèvres fait pute, ou vous impose de baisser le regard, il ne changera pas" explique avec douceur Catherine, "mettez-le holà tout de suite et soyez prudente".

En sortant, Félix, 22 ans, réagit :"On ne se rend pas compte qu'il y a vraiment des monstres sur terre". Cet étudiant en BTS poursuit, "nous les garçons, on ne réalise pas toujours que l'on est violent... on ne peut pas faire ce que l’on veut quand on veut, on doit combattre ces comportements".

"92 000 viols en France chaque année", lance Eric Bernard, le CPE qui anime l'atelier sur le consentement. Pour éclairer les élèves sur la domination masculine et "ce que les Anglo-Saxons appellent la culture du viol", il projette sur l'écran une scène de "James Bond". On y retrouve le héros des années 60, pelotant, enlaçant et embrassant une infirmière contre son gré, lui faisant du chantage pour finalement "la faire passer à la casserole" alors qu'elle a prononcé clairement un "non". Après une telle agression sexuelle, forcément, "on se sent sale" lâche une élève depuis le fond de la classe.

"Les réseaux sociaux sont aussi un moyen de surveiller son conjoint"

La honte, la culpabilité, la peur du jugement, Léane confie savoir ce que c'est. La gorge nouée, cette étudiante de BTS, prise à part, évoque les coups de son ex-compagnon, alors qu'elle n'avait que 19 ans. "C'est parce que j'en ai finalement parlé avec mes parents qu'ils m'ont obligée à quitter l'appartement que je partageais avec lui". Aujourd'hui, Léane aide de nombreuses amies à sortir du silence. "Cette expérience doit nous servir de leçon, et à mon petit niveau, j'essaye de les aider à guérir".

"On a réussi à libérer la parole grâce aux réseaux sociaux, mais c'est aussi un moyen de surveiller son conjoint, de le contrôler, avec tout un tas de questions : qui est cet abonné, pourquoi il a commenté ou liké ta photo... Pour moi cela reste surtout néfaste" affirme Léane, qui a tenu à participer à l'organisation de cette journée de sensibilisation.

"Prisonnières de leur sphère et de leur milieu social"

Gislaine Peyrano enseigne l'anglais dans le lycée. Elle sort bouleversée de l'atelier témoignages où des femmes battues sont venues raconter, devant ses élèves médusés, le calvaire de leur maltraitance. Au fil des années, elle reconnaît que ces électrochocs sont utiles pour libérer la parole des jeunes filles. "Les élèves aujourd'hui viennent nous raconter ce qui les a choquées à l'occasion d’un stage ou d'un job d'été, ou ce qui se passe sous leur toit", poursuit Gislaine Peyrano, ravie de constater que l'engagement de l'équipe pédagogique est payant.

"De plus en plus de jeunes filles sont soumises, mais sont prisonnières de leurs sphères et de leur milieu social", remarque la professeure," ici, on ouvre leur esprit critique, mais quand elles rentrent à la maison, le cercle personnel reprend le dessus".

Tout au long de ces quatre années, des témoignages d'élèves ont ainsi été recueillis sous couvert de l'anonymat et affichés. On peut lire sur ces messages dactylographiés, exposés sur un mannequin en bois, des confessions de toutes natures: "J'ai été victime de revenge-porn", "en quatrième, j'aimais un garçon et pendant 6 mois, j'ai envoyé des nudes parce qu’il me forçait, j'avais 14 ans" ou encore "un viol, c'est être tué de l'intérieur".

Chez les jeunes hommes aussi, la sensibilisation fait son chemin. "Il suffit qu'un seul garçon prenne la parole et on a gagné" se réjouit Laetitia Benadiba Sellam. 

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