Les accords d'Evian du 18 mars 1962 ont mis fin à la guerre entre l'Algérie et la France. 60 ans après, un fossé mémoriel persiste entre les deux pays. Terre d'accueil pour des milliers d'ouvriers algériens, de pieds-noirs et de harkis, Marseille s'est construite sur ces histoires franco-algériennes multiples et souvent douloureuses.
Port ouvert sur la Méditerranée, terre d'accueil de dizaines de milliers d'ouvriers algériens à partir des années 50, de centaines de milliers de rapatriés et harkis dans les années 60, Marseille a construit une histoire intimement liée à celle de l'Algérie.
"On estime que sur plus de 800.000 habitants, près de 200.000 sont concernés de près ou de loin par l'Algérie et l'histoire de la guerre d'Algérie", souligne Samia Chabani, directrice d'Ancrages, centre de ressources sur l'histoire et les mémoires des migrations à Marseille.
On estime qu'en quatre ans, la population de la ville a augmenté de 15%. Cet afflux d'habitants impose la construction en hâte de barres d'immeubles. Une commune voit aussi le jour ex-nihilo aux portes de Marseille. Carnoux-en-Provence devient le refuge d'une communauté en exil autour d'un lieu mémoire, Notre Dame d'Afrique, copie miniature de la basilique d'Alger.
Quand il s'agit d'évoquer la guerre d'Algérie et les 130 ans de colonisation, les mémoires restent "compartimentées", constate l'historienne Karima Dirèche, spécialiste de l'Algérie au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Sur la Corniche à Marseille, un mémorial bâti en 1970 commémore la traversée de la Méditerranée par les rapatriés d'Algérie, mais il n'y a pas de lieu du souvenir faisant consensus entre les mémoires blessées.
Beaucoup de rapatriés contestent la référence aux Accords d’Evian pour commémorer la fin de la guerre d’Algérie, les violences s'étant poursuivies jusqu’à l’indépendance et conclues par l’exode de centaines de milliers d’entre eux vers la France.
A Marseille, des Pieds Noirs oeuvrent cependant pour porter témoignage de ce que fut la colonisation, la guerre d’indépendance et les crimes commis par la France en Algérie.
Réconcilier les mémoires blessées
Créée en 2008, l’Association nationale des Pieds Noirs progressistes et de leurs amis (ANPNPA) regroupe des Pieds Noirs désireux de s’affranchir de la vision nostalgiques de l’Algérie française et de promouvoir une réconciliation sincère et durable entre Français et Algériens.
Son président, Jacques Pradel, est né à Tiaret (nord-ouest de l'Algérie). Issu d'"une famille de colons français", il est venu en France à 18 ans pour éviter d'être enrôlé de force dans l'Organisation de l'armée secrète (OAS) luttant contre l'indépendance de l'Algérie.
"Comme mes parents étaient fondamentalement antiracistes, cela m'a aidé à ouvrir les yeux sur la réalité" du système colonial, explique le retraité qui milite pour une réconciliation "sincère et durable" entre les deux pays.
Pour lui, la réconciliation passe par la pénétration dans la société du "formidable travail des historiens".
Ancrages milite de son côté pour inscrire l'histoire des migrations au patrimoine national. Des histoires souvent oubliées des Algériens de Marseille. Comme celle de ces ouvriers recrutés en masse par les industries de la région et qui s'étaient reconstitués un foyer dans les rues étroites du quartier de Belsunce, près de la Canebière.
"Le café nord-africain y constitue un lieu de sociabilité, d'expression musicale, mais c'est là aussi que s'organisent les revendications pour l'indépendance", explique la directrice de l'association.
Pendant la guerre, "ces cafés seront très contrôlés par la police française et certains immigrés internés", rappelle Samia Chabani.
Née en Algérie en 1970 et établie à Marseille, Fatima Sissani a elle réalisé un documentaire sur des femmes engagées dans le Front de libération nationale (FLN), pour comprendre l'histoire d'une guerre que ses parents, immigrés en France, taisaient.
Des blessures toujours pas cicatrisées
En mai dernier, Marseille a mis à l'honneur un tirailleur algérien mort à la libération de la ville en le 25 août 1944. Le caporal Ahmed Litim a donné son nom à une école auparavant baptisée Bugeaud, située dans la rue du même nom en référence à un maréchal qui a participé à la colonisation algérienne et à ses répressions violentes.
"Une école ne saurait ériger en modèle un bourreau des guerres coloniales. Nous ne pouvons ni l'expliquer ni le justifier à nos enfants", avait plaidé le maire Benoît Payan.
Le grand-père algérien de Fadila a combattu pour la France en 1914-1918. Cette Marseillaise aimerait que ces histoires soient mieux connues. Parce que le sujet de la guerre d'Algérie reste sensible, elle préfère taire son nom mais elle voudrait qu'un jour les blessures cicatrisent. "Parce que la France et l'Algérie, on est liés, comme ça ensemble", dit-elle en croisant les doigts de ses mains.
Samedi 19 mars pour le 60e anniversaire des Accords d'Evian et du cessez-le-feu en Algérie, Emmanuel Macron présidera une cérémonie à l’Élysée avec un souci "d’apaisement" des mémoires et de "main tendue" à l’Algérie, a annoncé la présidence mercredi.
La cérémonie réunira des témoins de toutes les mémoires liées à la guerre d’Algérie, appelés, combattants indépendantistes, harkis et rapatriés.