Le ministre de l'Intérieur estime que les consommateurs doivent être tenus responsables de l'essor du trafic de stupéfiants. La culpabilisation des usagers fait débat parmi les associations de prévention et des experts, dont certains soulignent l'effet contre productif.
Pour le ministre de l'Intérieur, pour combattre le trafic de drogue qui a "enkysté" Marseille la solution paraît trouvée : il faut culpabiliser les consommateurs. "Arrêtez de fumer des joints, de prendre des rails de coke, a déclaré Gérald Darmanin en visite ce mardi dans la cité phocéenne. Ça peut paraître festif comme ça, mais vous faites naître ce genre de règlement de compte, vous faites naître l'exploitation des personnes, l'exploitation des mineurs, des assassinats, le financement du terrorisme, de la prostitution."
Faire appel à la responsabilité des usagers de drogue pourrait-elle faire reculer la consommation de stupéfiants ?
Tel qu'il a été énoncé, "le discours du ministre est un peu démago et politicien" juge Pierre Cano formateur à Addiction France, une association de prévention. Pour lutter contre l'usage de la drogue il convient de mettre en oeuvre une approche "multifactorielle, complexe" qui prenne en compte les dimensions "médicales, psychologiques et sociales" de la consommation, avertit-il.
Un effet potentiel sur les consommateurs récents
Pour autant, dans le cadre d'une démarche globale, "responsabiliser les usagers pourrait faire partie d'un système (de prévention)", pense Pierre Cano. "La responsabilisation des consommateurs" , si elle est ciblée sur les usagers "qui ne sont pas encore dans l'addiction" pourrait avoir certains effets bénéfiques "sur le calcul coût avantage" de la consommation de la drogue, analyse le specialiste.
En revanche, prévient le formateur à l'encontre d'usagers "tombés dans l'addiction", une telle démarche risque d'être contre productive."La culpabilisation participe à éloigner les publics qui auraient le plus besoin de soins et de préventions de nos dispositifs" explique ainsi auprès d'Europe 1 Catherine Delorme, vice-présidente de la Fédération Addiction.
Culpabiliser les consommateurs un "Donquichottisme"
"La culpabilité est un poison qui tombe sur les gens qui sont les plus en difficultés. Elle aggrave la situation et ne fait qu'accentuer le sentiment d'impuissance" renchérit Alain Morel, psychiatre, spécialiste des addictions, et membre de l'association Oppelia. L'expert estime que les tentatives de de culpabilisation de usagers n'ont jusqu'à présent pas eu d'effets prouvés sur la consommation.
Ainsi selon une étude de l'Inserm publiée en 2014, pour limiter les conduites addictives des jeunes il est plutôt recommandé "de renforcer les compétences parentales, sans culpabiliser, ni banaliser" la consommation. Et selon le National Institute on Drug Abuse, une stigmatisation du consommateur peut même pousser à une augmentation de l'usage des drogues, en raison du mal être ressenti.
"La sanction n'a jamais dissuadé l'usage de la drogue, c'est du Donquichottisme", insiste Alain Morel. "Les facteurs qui engendrent la consommation de drogue sont connus". Il s'agit "du stress, de la solitude, de la précarité, des traumatismes… Il faudrait travailler dessus plutôt que sur des moulins à vent", conclut le psychiatre.