Ces derniers mois, plusieurs suicides d'adolescents ont rappelé le difficile combat contre le harcèlement à l'école. À l'occasion de la Journée mondiale de prévention du suicide, le pédopsychiatre David Soffer revient sur le rôle des réseaux sociaux et la nécessaire vigilance de l'entourage.
On meurt peu à l'adolescence. Pourtant, le suicide est la seconde cause de décès des 15-24 ans, après les accidents de la route. Les filles sont globalement moins touchées que les garçons, mais sont plus nombreuses à tenter de mettre fin à leurs jours. Après le suicide à Poissy (Yvelines) d'un adolescent de 15 ans qui avait dénoncé des faits de harcèlement, faisant suite à la mort de Lindsay en mai 2023, les gestes suicidaires des plus jeunes inquiètent.
À l'occasion de la Journée mondiale de prévention du suicide dimanche 10 septembre, France 3 Provence Alpes a interrogé le pédopsychiatre David Soffer, directeur de l'Association Suicide Mal-être Adolescent (ASMA), dispositif régional qui accompagne des jeunes après une tentative de suicide. Ce spécialiste répond à 5 questions sur les comportements suicidaires et les signes qui doivent alerter l'entourage.
Existe-t-il un profil-type d'adolescent susceptible de passer à l'acte ?
David Soffer aime à comparer le risque de suicide à celui de l'infarctus du myocarde : il existe bien un profil-type de patient à risque, quinquagénaire, fumeur et en surpoids, et pourtant rien ne met à l'abri de jeunes gens sportifs d'être victimes d'un infarctus massif.
"Il n'y a jamais une cause unique qui pousse vers le suicide, mais plusieurs. Le harcèlement peut en être une. Cependant, il faut présenter un état de souffrance mentale sévère. Et puis parfois, c'est violent et très soudain". Selon ce spécialiste, "la bascule" demeure le sentiment de solitude et l'isolement.
Peut-on déceler des signes avant-coureurs ?
Le suicide d'un adolescent "fait l'effet d'une bombe nucléaire dans une famille" explique David Soffer. "Les dégâts sont terribles à tous les niveaux, alors il ne s'agit pas de culpabiliser les parents qui en ont été victimes. Cependant, la vigilance et le rapport de confiance avec l'entourage sont déterminants dans la majorité des cas."
Le mal-être de l'adolescent, les changements d'attitude, l'isolement, le repli sur soi, la consommation de produits toxiques, les conduites à risques de manière générale peuvent être des indicateurs. "Les réseaux sociaux ont indiscutablement aggravé les choses, explique David Soffer, mais ils ont aussi des bons côtés, car ils améliorent la capacité d'interaction entre les jeunes. On ne sait pas ce qu'il s'y passe, mais ils peuvent permettre aussi d'éviter une forme d'isolement." Ce qui pose question, selon le pédopsychiatre, c'est le contenu des échanges et c'est ce sur quoi, il faudrait selon lui opérer un contrôle.
Faut-il interdire les réseaux sociaux à ses enfants pour les protéger du risque de suicide ?
Impossible et contre-productif affirme ce spécialiste. "Il vaut mieux exercer ouvertement un contrôle, mais ne pas le faire en cachette, pas comme un enquêteur, mais comme un accompagnant. Dire à son enfant que Snapshat ou TikTok ne sont pas des carnets intimes dont les adultes doivent respecter le secret, mais bien des espaces publics sur lesquels les parents ont aussi un droit de regard."
Pour David Soffer, il serait même pertinent d'utiliser les réseaux sociaux pour diffuser des messages d'information et de prévention du suicide dont les jeunes pourraient s'emparer. Il prend pour exemple la série américaine "13 raisons pour mourir " vue comme une incitation au suicide des jeunes : "face à la levée de boucliers, la production a immédiatement lancé des messages d'information sur les réseaux avec un numéro d'appel - l'équivalent du 3114 en France - et à la suite de la diffusion de chaque épisode des gens appelaient pour parler d'eux ou pour évoquer la situation d'un ami."
En quoi le harcèlement scolaire peut-il induire des comportements suicidaires ?
Pour David Soffer, le harcèlement scolaire n'a rien de nouveau, c'est une pratique ancienne, mais il a trouvé une caisse de résonance puissante et dangereuse avec les réseaux sociaux. "Qui n'a pas subi de moqueries dans la cour d'école ? C'est consubstantiel à l'adolescent et cela participe de son développement", explique le directeur d'ASMA, "mais autrefois cela s'arrêtait en arrivant à la maison. Aujourd'hui l'acharnement se poursuit bien au-delà et ce qui est dangereux ce sont les humiliations répétées, sans empathie. Parce que l'effet de groupe déculpabilise les auteurs en diluant la responsabilité de chacun. Cette dilution a des effets désastreux"
Quels conseils donner aux parents ?
Ne jamais rompre le lien avec son adolescent, affirme David Soffer. "Le jeune qui s'en sortira est celui qui a des ressources, de la famille, des cousins, des voisins et des amis dans différents cercles, comme celui du sport ou des loisirs. C'est celui qui a confiance en des adultes de son entourage". La vigilance semble être un rempart indispensable et elle s'étend jusque dans l'armoire à pharmacie du foyer.
Si internet permet une recherche facile de modes opératoires pour mettre fin à ses jours, David Soffer rappelle que le paracétamol reste le moyen létal le plus fréquemment utilisé dans les tentatives de suicide chez les jeunes.