Ils estiment être les oubliés du Ségur et réclament une revalorisation de leurs salaires. Les professionnels du social et du médico-social sont descendus dans les rues de Marseille, ce mardi 7 décembre à l’occasion d’une grève nationale, pour alerter sur le manque de reconnaissance.
Couverture de survie sur les épaules, Nathalie Donce donne tout de suite le ton de la manifestation.
"C’est un symbole, car tous les jours on se bat pour faire survivre nos valeurs et celles des personnes qu’on accompagne", explique-t-elle.
"Ça fait des années qu’on est silencieux dans le médicosocial. À l’époque, on avait peur de faire grève pour ne pas laisser tomber nos résidents. Là, aujourd’hui on voit que le dialogue ne sert à rien donc on décide d’agir !"
Du bout de ses doigts, une jeune femme, elle, tient deux morceaux de pancartes qu’elle ramène vers sa poitrine. Sur l’une, inscrit au marqueur rouge "Le corps des accompagnants piétiné, il y en a assez". Sur l’autre, "Cœur d’éducateur sans réanimateur".
"Dans les couloirs du ministère, nous ne sommes que des chiffres (…) qu’on prend pour des sous-fifres", peut-on enfin lire sur une dernière affiche.
Ce mardi matin, ils sont plusieurs centaines dans les rues de Marseille pour exprimer leur colère.
Salaires et pouvoir d'achat
Parmi eux : des travailleurs sociaux, des éducateurs spécialisés, des agents de service intérieur, des psychologues, des orthophonistes, les professionnels de l’accompagnement dans le secteur social et médico-social.
En première ligne pour accompagner l’enfance en danger, Ahmed Cheriet nous fait part de son salaire après vingt ans de métier : "2000-2100 euros". Pourtant, c’est lui qui prend le relai lorsqu’un mineur doit être placé dans un centre.
C'est un métier qui engage l’humain. On souhaite juste une reconnaissance de notre travail qu’on exerce 365 jours par an, y compris la nuit.
Les cheveux grisonnants et un sweat noir sur le dos, il poursuit : "On se retrouve souvent seul, confronté à la misère et à la difficulté des gens. On est dans l’aide à la personne, ce n’est pas un travail quantifiable. Et c’est limite si j’entends que les avantages liés à notre profession pourraient être retirés de la convention de 1966. Notre métier est plus que dévalorisé !"
Léa Colonna, elle, débute tout juste son métier d’éducatrice spécialisée après trois ans d’études.
La chevelure brune et épaisse qui dépasse de son bonnet jaune, elle tient à manifester aujourd’hui : "Nos salaires ne reflètent pas tout ce qu’on fait. Alors, certes on ne s’engage pas dans ce métier pour l'argent mais il y a un minima."
Quand j’ai dit à ma mère que je voulais faire ce métier, elle m’a dit "Barre toi du social".
Et lorsqu’elle était en formation, l’image du secteur n’a pas forcément changé : "À la rentrée, la promotion avoisine les 90 étudiants. À la fin, quand on ressort, on en a perdu plus de la moitié".
"On se rend compte qu’on est un peu les oubliés de la société donc je comprends que ça en décourage certains" explique la jeune diplômée qui s’interroge aujourd’hui sur un plan B.
Laissés-pour-compte du Ségur
"Ce qui nous réunit ici, c’est une perte de pouvoir d’achat énorme. Sur les 20 dernières années, l’évolution des salaires est quasi nulle. Si le SMIC a bondi de près de 40%, la grille de rémunération de notre secteur, elle, n’a évolué que de 12%. Aujourd’hui, la situation devient intenable d’autant plus qu’avec le Covid, tout ce personnel est resté fortement mobilisé, dans des conditions difficiles, sans équipement de protection", alerte Didier Zika, délégué syndical central CGT.
On a énormément de démissions. Il y a une véritable désertion de ce métier en raison d’un problème d’attractivité.
Les professionnels du secteur réclament une revalorisation de leur salaire de la part du Ségur, comme le mouvement des infirmières ou encore des sage-femmes un peu plus tôt.
"On se retrouve dans une situation totalement paradoxale car toutes les professions paramédicales de notre secteur ont été valorisées sauf nous. Sur notre convention collective, les premiers échelons de certaines grilles de salaire pour les métiers les plus précaire sont inférieures au SMIC, ça oblige les employeurs à payer une indemnité de compensation" alerte le syndicat CGT.
Dans la foule, Bruno Peyrou et sa fille trisomique Fanny (32 ans) sont venus soutenir la grève. Principaux concernés, ils constatent eux aussi que les conditions de travail se dégradent dans l’accueil des personnes en situation de handicap.
"Dans le foyer où ma fille se trouve, on a une baisse de la qualité du service. Ce sont des ateliers qui ferment, des demi-journées où les enfants ne font rien, des temps morts de plus en plus longs... Pendant le Covid, ça a été des moments d’isolement importants, des projets qui s’annulent, beaucoup moins de sorties...", explique-t-il.
"On est de moins en moins inclusif, voilà le sentiment des parents. C’est un boulot qui demande de l’engagement, y compris affectif, et cet engagement n’est pas du tout rémunéré à la hauteur de l’investissement", témoigne le père.
Un secteur qui se détériore, des départs massifs et un manque de moyens financiers... et c’est la prise en charge des patients qui se retrouve impactée.