Il y a cinq ans, Ludovic Mohamed Zahed crée l’Institut Calem. C’est un centre de formation pour imams progressistes, mais aussi un lieu d’accueil pour les migrants LGBTQI+.
Derrière une petite porte du centre de Marseille, c’est un homme apaisé qui nous accueille. "Vous prendrez un thé ? Au gingembre ?"
De cette petite maison de ville, dont l’adresse sera gardée secrète par mesure de sécurité, Ludovic Mohamed Zahed a créé un refuge.
L’institut Calem a été fondé il y a cinq ans. C’est une organisation qui existe en France depuis une vingtaine d’années. Ici, on parle, on recherche, on étudie, on forme aussi sur des questions de religiosité, de genres, de sexualité et de lutte contre les discriminations.
Et l’on écoute aussi. Ceux qui poussent la porte de l’Institut sont des migrants LGBTQI+ : "on les accueille pour quelques jours, quelques semaines, pour qu’ils retombent sur leurs pattes", explique Ludovic Mohamed.
Ce jour-là, nous ne rencontrerons personne, par discrétion ou respect de l'anonymat.
"Quand ils arrivent en France, parfois ils ne parlent pas la langue. Il leur faut un lieu sécurisé, le temps qu’ils soumettent leurs demandes d’asile. Un lieu où ils peuvent discuter de sujets difficiles à concilier au quotidien, et encore plus dans les sociétés dont ils sont originaires", ajoute-t-il.
Car depuis plusieurs années, nombreux sont ceux qui quittent leur pays, notamment l’Afrique Sub-Saharienne, l’Afrique du Nord ou le Moyen-Orient, en raison de leur identité sexuelle ou leur identité de genre.
Menaces, discriminations, emprisonnements, les raisons qui poussent à l’exil sont nombreuses. Alors à l’Institut Calem, "on les enjoint à s’affirmer, à définir leur identité parce qu’ici en France ce n’est pas un problème d’être africain musulman et LGBT".
J’essayais de me couper un bras ou l’autre : le genre, la sexualité, la spiritualité, la religiosité, les origines.
Ludovic Mohamed Zahed est algérien, imam, et homosexuel. Trois identités au moins, avec lesquelles il a fait la paix.
"J’avais environ trente ans. J’essayais de me couper un bras ou l’autre : le genre, la sexualité, la spiritualité, la religiosité, les origines…".
Alors l’imam a fait "un détour" vers le Bouddhisme, qui lui a permis d’en apprendre davantage sur la spiritualité : "je suis revenu à un islam plus apaisé, plus philosophique. Et moins politique, patriarcal, misogyne ou homophobe".
Aujourd’hui, il considère sa religion comme une véritable philosophie de vie qui "aide à devenir de meilleures personnes, mais qui n’est pas toute la vie".
Son engagement a commencé au début des années 2010. Il fonde à Paris la première mosquée inclusive de France, qui accueille des personnes musulmanes et LGBT. Depuis l'imam continue de "diffuser transmettre des outils de réflexion de déconstruction des préjugés, de reconstruction identitaire".
Son objectif, éviter que les prochaines générations vivent ce qu’il a vécu à l’âge de 15-20 ans. Pour ne pas qu’"elles pensent encore qu'identité LGBT, religiosité et laïcité, tout ça s’entrechoque et que c’est soi-disant incompatible. Et pourtant on est de plus en plus nombreux à le vivre au quotidien de manière apaisée et à en parler".
Pour cela, il travaille en collaboration avec des associations, comme Aides qui lutte contre le sida. Dans les locaux flambants neufs de la rue Consolat à Marseille, c'est Moussa Founé Fofana qui s'occupe des dossiers de migrants LGBT. "Tout le monde est le bienvenu ici". Avec d'autres bénévoles, il a fondé un groupe de soutien "Migrants LGBT et personnes solidaires".
Moussa a été sauvé par l'Aquarius en 2015. Aujourd'hui régularisé, il met son expérience, son parcours, au service de celles et ceux qui comme lui, on décidé de fuir leur pays. "On a créé cet espace pour nous les migrants LGBT. On va parler de nos parcours administratifs, de nos pratiques sexuelles, de nos rencontres, donc de nos vies quotidiennes".
Libérer la parole, un défi pour ceux qui ont longtemps vécu cachés : "Nous les Africains, on a du mal à parler de notre sexualité, de notre intimité. Ici, on apprend à se libérer". Un moment essentiel, notamment pour rédiger les demandes d'asiles auprès des autorités françaises.
80 personnes participent à ce groupe de parole. En deux ans, 40 ont été régularisées. Le combat de Ludovic Mohamed et de Moussa continue, celui de permettre à ceux qui le souhaitent de vivre leur orientation sexuelle ou leur identité de genre, quel que soit leur pays d'origine ou leur religion.