Confinement oblige (le troisième), on ne croise aucun touriste à Marseille. Certes quelques familles sont de sortie pour marquer le coup en ce début de vacances, mais c'est bien la morosité qui domine.
Ça commence comme une partie de Où est Charlie ? Dans la série de livres à succès, le joueur doit repérer le personnage-titre planqué dans le décor, un casse-tête redoutable.
Nous, c'est le touriste qu'on a voulu dénicher à Marseille, en ce premier week-end de vacances de Pâques sous confinement.
"Des touristes ? Zéro, rien, nada, se désole un restaurateur, qui vend des crêpes avec vue imprenable sur le Vieux-Port. D'habitude, à cette période, on entend parler russe, anglais, espagnol... Tout ça, c'est fini !"
10 km à pied, ça use, ça use
Confinement oblige, les frontières sont fermées, les déplacements interdits au-delà de 10 kilomètres de son domicile. Forcément, ça vous tue un centre-ville.
Notre crêpier, étonnant sosie de l'humoriste Éric Judor, avec ses dents blanches, son teint mat et son regard malicieux, plafonne à dix crêpes par jour. Et encore, "dans les bons jours".
Marseillais, le bonhomme ? Sans doute un peu. Il n'empêche : il doit bien rembourser son loyer de 8.000 euros, et ça, ça devient vraiment compliqué.
Quant aux glaciers, n'en parlons pas. Aucun client, et en plus, il pleut. À se demander pourquoi ils ouvrent.
Waterloo, morne plaine
Un peu plus loin, face à la mer, c'est la vente à la criée. Là aussi, les pêcheurs désespèrent. On crie un peu moins, on s'étrangle un peu plus. Pas beaucoup de monde en ce début de vacances, et ce sera pire la semaine prochaine : c'est ramadan.
"Les musulmans représentent une grosse partie de notre clientèle, commente une vendeuse de poissons, la voix éraillée. Mais pendant ramadan, ils cuisinent plutôt des plats à la viande. Le peu d'argent qu'on faisait, ce sera fini."
Une jeune femme est là, venue se fournir en maquereaux, pour les besoins d'un barbecue. "Obrigado" [merci], répond-elle en portugais, quand on lui tend ses poissons. Une touriste, enfin ? Eh non ! Madame est bien Marseillaise.
Ses deux enfants l'accompagnent, savourant leurs premiers instants de vacances. Ils racontent que jeudi, ils partiront dans les Alpes, chez leurs grands-parents.
"C'est mon mari qui les emmène, c'est la seule solution de garde qu'on a pu trouver pour les vacances", précise leur mère. Qui les envie, sans doute un peu. Ou s'en réjouit, allez savoir ?
"C'est la catastrophe, c'est déprimant." À l'intérieur de l'honorable maison Empereur, plus vieille quincaillerie de France et repaire touristique, au coeur du quartier populaire de Noailles, le responsable du rayon casseroles et autres poêles en acier ("à dégraisser au gros sel, vous ne connaissez pas le principe ?") n'y va pas avec le dos de la cuillère.
Parisien débarqué à Marseille il y a trois ans, il n'a jamais connu ça : "On se fait beaucoup de souci. Même pour une maison aux fondations solides comme la nôtre, c'est compliqué."
L'amplitude horaire d'ouverture a été réduite, le personnel également. On aurait pu croire qu'en raison du confinement, et en prévision des vacances, les Marseillais allaient se ruer en quincaillerie, pour les petits travaux du quotidien. Eh bien, pas du tout.
Calanques abandonnées
Poussant plus loin, jusqu'aux calanques, on n'a pas croisé plus de monde. Et c'est tant mieux, selon Didier Réault, le président du parc national.
"On a de la chance, il pleut, ça n'attire pas les foules", confie-t-il, remerciant Jupiter de faire tomber l'ondée sur le premier week-end de vacances.
"Ce n'est pas que les visiteurs ne sont pas les bienvenus, rectifie-t-il aussitôt. Mais il faut qu'ils soient respectueux." Ce qui est loin d'être toujours le cas : la surfréquentation engendre d'énormes problèmes environnementaux, dans les calanques, comme à la Sainte-Victoire ou à la source de l'Huveaune.
Morosité toujours, jusque dans les coins les plus paradisiaques : va-t-on un jour sortir de ce dimanche sans fin ? Attendez la mi-mai, temporise l'exécutif, pour une éventuelle réouverture des terrasses et des lieux culturels.
Mais même ça, ça n'emballe pas tellement le crêpier du Vieux-Port : "Les gens dépensent moins, ils restent à la maison, cuisinent chez eux. Ils ont de nouvelles habitudes de consommation. Quand tout rouvrira, ils les conserveront."
Le désespoir jusqu'au bout, on vous dit.