Marie-Rose Commentale, dont le père a été déporté en 1943, a livré son témoignage lors du procès de Joseph Schütz, ancien gardien du camp de concentration de Sachsenhausen, poursuivi pour complicité dans le meurtre de 3518 personnes.
Échouant à trouver des réponses sur la vie de son père, elle a porté en Allemagne la voix des victimes de la rafle de Marseille et de leurs familles.
Un quart d'heure durant, Rose-Marie Commentale a fait face à la cour. "Elle a pu parler d'elle, de son père. De la vie avec son père qui s'arrête à 13 ans", rapporte Pascal Luongo, son avocat.
Un témoignage en visioconférence, par écrans interposés. Pour se souvenir et chercher des réponses à ce qui fut l'une des énigmes de sa vie : la disparition de son père, déporté en 1943 dans la rafle de Marseille, son existence ensuite jusqu'à son décès dans le camp de Sahaunassen, un an plus tard.
Aujourd'hui âgée de 93 ans, Rose-Marie Commentale n'a pu se déplacer au procès en raison de son état de santé. Stressée, la mémoire parfois défaillante, elle a néanmoins livré un témoignage sincère, témoigne son fils, Fernand Riberi, présent pour l'épauler. "Elle est sortie apaisée de cette audience. Et très émue d'avoir remué cette histoire".
Rose-Marie Commentale a treize ans lorsque la police vient la chercher, elle et sa famille, le 24 janvier 1943, à leur domicile, dans le quartier Saint-Jean à Marseille. Direction la gare d'Arenc, puis celle de Fréjus, "avec un simple bagage".
C'est la dernière fois qu'elle verra son père. Ce dernier est emmené avec 600 autres Marseillais raflés du Vieux-Port, vers le camp de Compiègne-Royallieu (Oise) puis celui de Sahaunassen (Allemagne), à une trentaine de kilomètres au nord de Berlin.
Rose-Marie rentre à Marseille, avec sa mère et ses cinq frères et sœurs. S'ensuit l'attente. "Cela a duré des mois, voire des années", rapporte Fernand Riberi. En 1947, la famille n'avait toujours pas reçu d'acte officiel attestant le décès de Francesco Commentale, poursuit-il. "À la Libération, on a continué d'espérer son retour".
De l'internement du père de Rose-Marie, la famille n'a trouvé aucune trace. Quelle fut sa vie dans les camps ? Dans quelles circonstances est-il décédé ? Des questions qui ont motivé la constitution de Rose-Marie comme partie civile dans ce procès.
"Le président du tribunal a douché tout espoir"
Le procès de Joseph Schütz, 101 ans, s'est ouvert en octobre dernier devant le tribunal de Brandebourg-sur-la-Havel (Allemagne). L'ancien caporal-chef SS est poursuivi par le parquet de Neuruppin, pour complicité dans le meurtre de 3518 prisonniers, entre 1942 et 1945, lorsqu'il était gardien du camp de Sachsenhausen, à une trentaine de kilomètres au nord de Berlin.
En raison de l'âge avancé du prévenu, le procès n'a lieu que deux jours par semaine, jeudi et vendredi, deux heures par jour. Les audiences s'étendent donc sur la durée, pour atteindre plus de cinq mois à ce jour. Ce vendredi, deux parties civiles étaient entendues.
"Malheureusement, le président du tribunal a douché tout espoir (concernant Francesco Commentale, ndlr). Les archives ont été détruites", commente Pascal Luongo. "En dehors du numéro de matricule de Francesco Commentale et de l'heure de sa mort, nous ne disposons d'aucun élément supplémentaire".
Porter la rafle de Marseille devant les tribunaux allemands
Pour Patrice Luongo, ce témoignage a surtout permis de porter la rafle de Marseille devant les tribunaux allemands. "Le président et le procureur ont trouvé intéressant de mettre en perspective le cas marseillais, emblématique. Et l'action concertée entre le régime de Vichy et les autorités allemandes."
En face, le prévenu est resté mutique. "Le temps a manqué", estime l'avocat. "Nous devons attendre les dernières audiences et les plaidoiries. Peut-être que le président se saisira de l'opportunité pour interroger Joseph Schütz". Depuis le début du procès, l'ex-gardien du camp de Sachsenhausen nie les faits qui lui sont reprochés. "Il conserve cette posture, qui consiste même à nier sa présence sur place. C'est lutter contre une évidence", déplore Patrice Luongo.
Pour Rose-Marie Commentale et son fils, voir Joseph Schütz à l'écran fut "tout de même un peu émouvant". "Mais je n'ai pas senti monter de colère ou de rancœur, car je ne sais rien de lui, de sa responsabilité dans le décès de mon grand-père. En revanche, j'attendrai avec impatience le jugement. J'imagine que si la justice allemande a décidé d'étudier son cas, c'est qu'il existe des éléments tangibles", espère Fernand Riberi.
Les plaidoiries se tiendront les 24 et 25 mars, pour un délibéré attendu fin avril.