Une jeune designeuse marseillaise s'est invitée en Conseil des ministres en dessinant le mobilier du salon Murat de l'Élysée. Misia Moreau a laissé sa griffe au cœur du palais présidentiel, en regardant décoller sa carrière. À 27 ans, elle n'a pas fini de réaliser ses rêves
À 27 ans, Misia Moreau se retrouve dans les salons de l'Élysée, saluée par le discours d'Emmanuel Macron. Nous sommes en juin 2022, les plus grands designers français sont venus ce jour-là assister à l'inauguration de nouvelle salle du conseil des ministres. Misia et ses camarades de promotion sont alors sous les feux des projecteurs : le voile est levé sur leur création.
Son destin d'étudiante a basculé deux ans plus tôt, à la sortie du confinement. Misia apprend qu'elle vient de remporter le prix du Mobilier National. Le projet qu'elle a présenté avec Lucille Poous, Julien Roos et Etienne Bordes, ses camarades de l’Ensaama (École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art) de Paris a été retenu et elle va devoir remplir sa mission, dans les coulisses du gouvernement : concevoir le nouvel ensemble mobilier du conseil des ministres, inauguré en grande pompe à l'été 2022 par Emmanuel Macron.
Une table montée et démontée en 30 minutes
Le projet, salué pour son innovation, répondait à un cahier des charges très pointilleux. Il s'agissait de réaliser une table modulaire pour 2 à 40 personnes, en réduisant le temps de montage et démontage à 30 minutes. Dans la commande, figuraient également des consoles pour les secrétaires du conseil des ministres, les lampes, lampadaires et casiers où les ministres isolent leur portable durant la séance. Et la bande de jeunes designeurs a bien évidemment rajouté sa touche de créativité dans le détail des sous-mains.
Pièce maîtresse de cet ensemble mobilier, la table, Médulla, est profilée comme une moelle épinière.
Medulla, nous l'avons dessinée à l'image du gouvernement. De ce qu'il est, ou de ce que l'on voudrait qu'il soit : solide comme une colonne vertébrale.
Misia Moreau, prix du Mobilier NationalFrance 3 Provence-Alpes
"Le gouvernement fonctionne par son unité, comme une colonne dans laquelle les vertèbres s'emboîtent les unes aux autres pour lui conférer sa solidité", dit Misia Moreau, qui raconte comment s'est bâtie leur inspiration.
C'est ainsi qu'entre 2020 et 2022, les quatre étudiants fraîchement diplômés vont donner vie à leur projet. "Pas facile en travaillant à côté, dans nos premiers emplois", raconte la jeune designeuse. "On se retrouvait le soir, aux pauses déjeuner et les week-ends, la pression était bénéfique, mais restait la peur ne pas atteindre la perfection".
Avant de créer les prototypes en 3D, de les tester, il faut faire du repérage sur place. Désignée porte-parole du groupe, Misia se rend plusieurs fois à l'Élysée pour effectuer les mesures, discuter de la fonctionnalité avec les personnels, mais aussi échanger avec Brigitte Macron qui émet des "remarques sur les matières, les tissus par exemple, toujours avec bienveillance".
"Mon plus beau souvenir, c'est le moment où j'ai reçu un coup de fil m'annonçant que l’installation était avancée d'un jour", raconte la designeuse, "j'étais au travail, j'ai tout lâché, c'était comme un accouchement, je ne pouvais pas rater ça. Deux heures plus tard, on était sur place pour tout organiser !"
La jeune garde du design français
"Depuis que je suis petite, je veux faire du design", raconte Misia, dessinant sans technique, à l'instinct. Pourtant, elle se souvient qu'après son bac, elle s'était engagée machinalement vers une école de commerce et que ses parents l'ont rattrapée par le col pour la remettre sur la voie de ses rêves. "Ce n'est pas un schéma très classique", dit-elle en riant, consciente d'avoir eu de la chance de baigner dans le milieu artistique depuis son enfance.
Avec une bonne étoile et du talent, voilà comment la jeune fille s'est retrouvée parmi les "meilleurs de la jeune garde du design français", selon les mots d'Hervé Lemoine, Président du Mobilier national. C'est allé très vite, confie-t-elle, après avoir vu sa carrière propulsée sur orbite à seulement 25 ans. Ce prix valait tout l’or de la République, mais il lui reste un rêve à atteindre, plus loin, plus tard : créer sa propre agence à Marseille, "une ville dans laquelle il n’est pas facile de percer dans le design, mais tout reste à inventer."