Avant que la France ne soit libérée, la résistance a dû faire face à la répression des forces nazies. Pierre et Abèle-France, à peine adolescents, à cette période, racontent leur quotidien entre missions à risque et peur de se faire arrêter.
Dans Marseille, le drame du bombardement du 27 mai avec ses 1 750 victimes et le ravage de la cité restent dans toutes les mémoires. À la peur permanente des bombardements alliés imprécis sur les positions nazis s'ajoute celle d'un manque cruel de nourriture.
Mais depuis le 6 juin 1944 et le débarquement en Normandie, la menace principale dans la ville, c'est la répression nazie. Pendant l'été, les rafles et les arrestations se multiplient pour décapiter les réseaux de résistance qui tentent de préparer la véritable arrivée des alliés en Provence.
Abèle France Ataroff avait 13 ans pendant l'été 1944 et Pierre Lucas en avait trois de plus. Tous les deux, ils étaient déjà dans les rangs de la résistance et ils se souviennent d'une existence dominée par la crainte et la peur. Soumise au silence et au secret pour ne pas se faire arrêter. Voici leur témoignage.
Pierre Lucas : distribution de journaux clandestins et filature de collabos
"Mes premières missions, c'était la nuit, consistaient à transporter et distribuer les journaux clandestins. Et je les cachais même, dans la journée parfois, pour les transporter dans les journaux officiels de Vichy sur mon vélo. C’étaient des feuilles de chou, un petit cahier d'écolier recto verso, mais vous ne pouvez pas savoir l'effet que cela faisait sur la population, on ne peut pas l'imaginer l'effet produit…"
"J’ai eu des missions de renseignement, des missions de piste. C'est-à-dire, on me désignait quelqu’un que je devais suivre pour savoir si c’était un collaborateur ou pas. Et je me souviens d'avoir suivi un homme qu'on m'avait désigné. La première piste m'avait mené à l'achat du poisson, ce qui n'est pas glorieux pour moi. Mais la deuxième piste m'a amené à voir cet homme entrer à la kommandantur du boulevard Perrier et ensuite aller à la Gestapo 425, rue Paradis. Alors mon chef m’a dit : 'Son compte est bon.' C'est la première fois où j'ai compris qu'il allait être liquidé…”
"J'avais une particularité, je n'avais pas peur pendant ma mission, mais j'avais toujours peur après. Je tremblais parfois comme une feuille morte. Un jour, au bout d'une année de mission, mon chef me demande : 'Est-ce que tu as encore peur ?' J'ai dit oui, mais au fond de moi, j'avais un peu honte de lui dire. Et il m'a répondu : 'C'est très bien parce que le jour où tu n'auras plus peur, tu seras en danger.' Et effectivement, il fallait être extrêmement prudent. Mais on finissait par prendre des habitudes.
Par exemple, si je circulais le long d'un trottoir, je n'étais jamais en bordure de la route ou de la rue.
Pierre Lucasdans le documentaire "Provence 44"
Toujours du côté des bâtiments et en sens inverse des véhicules pour voir si une voiture vous arrivez dessus ou pas. On avait une sorte d'éducation, par un entraînement sur le tas en quelque sorte."
Abèle-France Ataroff : le porte-à-porte secret et l’angoisse du tramway
"À partir d’un moment, j'ai commencé à faire plus d'actes de résistance, c'est-à-dire porter des tracts. Au début, je le faisais avec un amusement. Une fois, on était à Endoume, ma mère m'a dit : ‘Regarde, je reste là, prends ce petit paquet, tu vas à tel numéro. Tu toques à la porte, tu attends qu'on ouvre. S'il n’y a personne, tu reviens. Il y a quelqu'un, tu donnes le paquet et tu reviens vite’. Ça s'est passé comme ça. Je toque à la porte et apparaît un jeune visage. Je donne mon paquet et je repars en courant rejoindre ma mère qui s'était cachée derrière le mur de renforcement de porte…"
"Un autre jour, on prend le tram et j'entends maman qui me dit : ‘Recule, recule, reste, ne t'assoit pas.’ Alors, je la regarde et elle me dit : ’Il y a deux deux policiers devant nous’. En effet, ils marchaient par deux les policiers en général. Et à l'époque, le tramway sur la corniche, il ne marchait pas si vite, pas très vite. Alors, on a eu le temps de descendre de l'arrière en marche. On est descendu toutes les deux. Je dois vous dire que j'en ai encore les frissons dans le dos. Il m'a pris un froid à la colonne vertébrale, j'avais l'impression qu'on me labourait. Et on s'est engouffré dans les rues."