Marseille : La délinquance sur les chantiers, nouvelle cible des autorités

Rackets, pressions à l'embauche, extorsions à la sous-traitance font désormais l'objet de toute l'attention des autorités. Longtemps ces infractions sont passées sous les radars de la police et de la justice car les entreprises préféraient souvent acheter leur tranquillité. Ce n'est plus le cas.

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Si tu ne nous embauches pas, le chantier s'arrête


c'est ce qu'entendent de nombreux responsables de chantiers du BTP dans les quartiers sensibles à Marseille. Rackets, pressions à l'embauche, menaces, extorsions à la sous-traitance font désormais l'objet de toute l'attention des autorités. Longtemps ces infractions sont passées sous les radars de la police et de la justice car les entreprises préféraient souvent acheter leur tranquillité. Ce n'est plus le cas.

Témoignage d'un responsable de BTP

Lorsqu'il avait rencontré des représentants de la police et de la justice, le responsable d'une grosse entreprise de BTP l'avait prédit: le chantier de la "L2", grand contournement autoroutier de Marseille de l'Est au Nord, dont le chantier a redémarré il y a un an et demi, allait traverser "des quartiers à problèmes" et "gêner" un certain nombre de gens. "On sera rackettés". La suite lui donne raison: le 26 janvier 2015, trois engins de chantiers - parmi eux, une foreuse quasi-unique en Europe - sont incendiés pour un préjudice supérieur à 1 million d'euros. Trois jours plus tard, la société reçoit un devis de la société de Gardiennage Télésurveillance, Gardiennage, Intervention (TGI). Il s'accompagne d'une promesse, celle qu'il n'y aura pas de problème avec les cités voisines si l'entreprise est retenue, raconte le procureur de la République Brice Robin, lors d'une conférence de presse. Des émissaires de la société se font plus explicites auprès de l'entreprise de BTP: oui, ce sont bien eux qui ont incendié les engins. Et si la police est prévenue, ils promettent "de mettre le feu aux cités". De fait, lorsque le contrat de gardiennage est conclu, le calme revient, malgré les absences régulières des employés de Télésurveillance Gardiennage Intervention.

Et lorsque les entreprises cèdent , leurs ennuis ne sont pas terminés.

Les pièces d'enquête dressent un portrait peu flatteur des salariés ainsi recrutés: refus du port du casque car "ça fait tomber les cheveux", chute à scooter qu'on tente de faire passer en accident du travail, heures de travail passées à laver les voitures du quartier, vol des clefs des engins, absences répétées puis pressions pour se faire noter présent...
Une source proche du dossier raconte :

Sur un chantier, un employé s'est battu avec un contremaître parce-que les autres ouvriers faisaient du bruit et l'empêchaient de dormir!

S'agit-il d'organisations de type mafias italiennes ?

"Non, on n'en est pas là", répond clairement le procureur adjoint de Marseille André Ribes, qui ne minore pas pour autant cette délinquance dont "le chiffre d'affaires est important, notamment sur la sécurité". Depuis quelques mois en tout cas, les arrestations se multiplient et les condamnations tombent au tribunal correctionnel de Marseille. Mi-2015, après cinq mois d'enquête, une douzaine de personnes sont arrêtées dans le dossier de la L2, quatre sont mises en examen et aujourd'hui encore en détention provisoire. Début décembre, trois hommes, qui avaient extorqué leur embauche, ont été condamnés à des peines d'entre 18 et 30 mois de prison. En tout, cinq dossiers ont été ouverts en 2015.

Pour faire face à cette délinquance : Les autorités ont mis en place une organisation spécifique 

Une petite dizaine de policiers ont été choisis pour faire partie du Groupe voie publique "chantiers" sous l'égide du commissaire Jean-Baptiste Corti. Ce groupe, doté d'équipements spécialisés et de moyens humains, "traite ces affaires de chantage de chantiers comme de la grande criminalité", explique Pierre-Marie Bourniquel. Bailleurs, donneurs d'ordres, fédération du BTP, police se sont par ailleurs regroupés sous l'autorité du parquet au sein d'un Groupe local de traitement de la délinquance (GLTD). Deux magistrats ont été nommés pour suivre ces dossiers. "Des stratégies d'enquête sont déterminées, des stratégies de qualifications juridiques qui permettent de faire aboutir" les procédures, explique le procureur adjoint André Ribes, qui cite l'exemple de l'extorsion par menaces "déguisées", toujours difficile à caractériser.
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