Espérant récupérer sa fille de sept ans, Jérémie Ducrot est parti en Indonésie où son ex-épouse a emporté l'enfant, avant de couper les ponts. Arrivé sur le sol indonésien, le père s'est retrouvé à l'enfermement. Il dénonce les aberrations du système, aussi bien en France qu'en Indonésie.
Il y a des histoires qu'on croirait sorties d'un roman. Celle de Jérémie Ducrot est une plongée en enfer.
Originaire de Vaison-la-Romaine (Vaucluse), ce chef de cuisine est sans nouvelle de sa fille Élodie, 7 ans, depuis 2019.
Tout ce qu'il sait, c'est qu'Élodie vit avec sa mère en Indonésie, leur pays de naissance à toutes les deux ; qu'elle y est scolarisée ; qu'il ne la reverra peut-être jamais.
Pour Jérémie Ducrot, pas de doute : son ex-épouse a organisé le kidnapping de l'enfant, de la France vers l'Indonésie.
Souvenirs d'un amour perdu
"Après notre rencontre à Bali, on s'est mariés le 29 mars 2014, raconte le Vauclusien. Nous nous sommes établis en France, mais je prenais soin d'organiser chaque année un voyage vers l'Indonésie, pour permettre à ma fille et à mon ex-épouse de rendre visite à la belle famille."
En septembre 2019, son ex-épouse quitte l'Europe avec sa fille, direction l'Asie, avec la bénédiction du père.
Lui est retenu sur le Vieux continent pour raison professionnelle. Il compte bien retrouver sa fille et son ex-épouse un peu plus tard en Indonésie.
"Au début, tout allait bien. Nous sommes restés en contact par téléphone, avons organisé de nombreux appels vidéos. Puis tout s'est arrêté, brusquement, en octobre 2019."
Silence radio, du jour au lendemain.
Le début du cauchemar
Paniqué, Jérémie Ducrot alerte l'ambassade de France en Indonésie. On le prévient : "Ce ne sera pas simple." Et pour cause : l'Indonésie n'a pas signé la convention de La Haye de 1980 sur les enlèvements d'enfants à l'international.
"Cette convention est un outil juridique que nous utilisons régulièrement, avec des pays comme la Russie, Singapour et bien d'autres", précise Emmanuelle Dufay, juge aux affaires familiales à Marseille.
"Il suffit de faire une demande auprès des autorités centrales du pays concerné, et si le rapt est avéré, nous rapatrions l'enfant en urgence, explique-t-elle encore. Il est très rare que les juges français n'ordonnent pas le retour en France de l'enfant et répondent défavorablement aux sollicitations du parent lésé."
L'Indonésie n'étant pas partie prenante à la convention de La Haye, restent les accords bilatéraux et les voies diplomatiques.
Un parcours du combattant, comme le découvrira Jérémie Ducrot à ses dépens : on ira jusqu'à lui dire qu'il est "plus facile de rapatrier un cadavre qu'un enfant". Ces mots-là, il ne les digérera jamais.
Pas plus qu'il n'oubliera ces phrases rédigées par ses beaux frères : "Ils m'ont accusé par écrit d'être un mauvais musulman [Jérémie Ducrot est musulman de fait, suite à son mariage religieux en Indonésie, pays musulman], me reprochant des relations extra-conjugales, des violences envers ma femme et ma fille."
De fausses accusations, sans fondement ni aucune preuve, assure Jérémie Ducrot.
Le père dépose plainte auprès des gendarmes de Vaison-la-Romaine, prend conseil auprès d'avocats (il en changera à plusieurs reprises, les jugeant incompétents), perd patience : quatre mois se sont écoulés depuis la fuite de sa fille et son ex-épouse.
Jérémie Ducrot fait aussi tout son possible pour que réagisse le système judiciaire indonésien. Mais c'est la corruption généralisée, affirme-t-il : "On me demandait des millions, voire des milliards de roupies, en vue d'entamer la moindre recherche sur le terrain."
Le départ vers l'Indonésie
S'estimant seul contre tous, ne supportant plus de passer des nuits blanches hantées par sa fille, Jérémie Ducrot prend les devants, embarque pour l'Indonésie, son visa familial en poche.
"J'ai fait mon sac, se souvient-il. En pleine pandémie, j'ai traversé le globe en avion." Advienne que pourra.
Arrivé sur le sol indonésien, Jérémie Ducrot se fait enquêteur, multiplie les coups de fil, accumule les témoignages écrits, épluche les réseaux sociaux, communique ses trouvailles au procureur de la République.
"Un total de 5446 documents signés, horodatés", précise-t-il. Aucune réaction.
C'est alors qu'il tombe, "par hasard", sur une photo de sa fille à l'école, publiée sur Facebook. Jérémie Ducrot décroche son téléphone, contacte l'administration scolaire.
"Il y a bien une élève de couleur blanche qui s'appelle Élodie parmi nos élèves", lui confirme une employée de l'établissement. Mais la directrice s'en mêle : hors de question de révéler la moindre information concernant Élodie, sa mère s'y refuse.
53 jours en cellule
Le père éploré parvient certes à localiser sa fille. Mais il ne l'approchera jamais. Et tombe sur plus fort que lui : les pouvoirs publics indonésiens.
Après avoir reçu une convocation dans les bureaux de l'Immigration, Jérémie Ducrot se retrouve en cellule. 53 jours de rétention administrative, sans eau ni électricité, sans fenêtre, sans accès régulier à son insuline. Jérémie Ducrot est diabétique de type 1. Il en parle dans cette vidéo qu'il nous a fait parvenir :
La raison de cette détention qui ne porte pas son nom ? Le visa familial avec lequel Jérémie Ducrot est entré en Indonésie est irrégulier.
Sur celui-ci figure en effet l'adresse de la maison familiale, celle que le Vauclusien occupait avec son ex-épouse lors de leurs séjours en Indonésie.
Mais entre-temps, l'ex-épouse a déménagé, vendu la maison et divorcé, sans prévenir le principal intéressé. Le visa devient caduc.
Sous contrôle judiciaire
"Je me suis sorti de cette cellule en simulant un coma diabétique, raconte le Vauclusien. Je suis allé à l'hôpital, où j'ai pu entrer en contact avec ma mère et mon avocat."
Depuis la toute fin d'année 2021, Jérémie Ducrot est placé sous contrôle judiciaire, dans l'attente de son jugement concernant "l'affaire des faux papiers". Il demande le retour en France, ayant abandonné tout espoir de retrouver sa fille.
La solution du contre-kidnapping ? L'ambassade lui déconseille : trop risqué.
"Ici, j'ai peur pour ma vie ici et cette peur est dupliquée par les sentiments que j'ai pour mon enfant, confie-t-il. Je suis dans la même ville qu'elle, à Semarang. Je n'ai toujours aucune nouvelle de sa part, malgré mes demandes auprès de l'école et de la belle famille."
"Les seules nouvelles que j'ai, poursuit-il, c'est la police qui vient roder autour de moi pour me menacer. La menace est assez simple : tu payes, et on te renvoie dans ton territoire, en espérant ne pas te couper la tête."