Leur premier album commun, "Le Beau voyage", avait marqué les esprits. Le dessinateur nantais Benoît Springer et le scénariste belge Zidrou reviennent avec une histoire encore une fois réaliste et intimiste, une histoire d'amour qui ne manquera pas d'interroger, voire de déranger. Interview...
Ils auraient pu opter pour une histoire d'amour ordinaire tendance un homme, une femme, chabadabada, chabadabada. Éventuellement, une histoire qui finit mal, un peu banale. Mais ce serait méconnaître Benoît Springer et Benoît Drousie, alias Zidrou. Nos deux auteurs aiment flirter avec les sujets sensibles et pourquoi pas tabous.
Après "Le Beau voyage" qui traitait d'un lourd secret de famille, "L'Indivision" raconte l'histoire de Martin et Virginie, deux amants qui s'aiment depuis leurs vingt ans, depuis toujours. D’un amour fou, incontrôlé, ravageur... mais interdit. Martin et Virginie sont frère et soeur.
Sur une soixantaine de pages, Benoît Springer et Zidrou explorent les sentiments des protagonistes principaux mais aussi des proches, de la famille, des amis, et nous livrent un récit intense, intelligent, sensible et sensuel qui nous amène forcément sur la voie de la réflexion. Rencontre...
Au moment de la sortie du Beau voyage, votre album précédent, vous nous confiez ne jamais vous être rencontrés. Et depuis ?
Benoît Springer. Depuis ? Nous nous sommes vus une fois, au salon du livre de Paris où nous avons dîné avec Claude Gendrot (éditeur aux éditions Futuropolis, ndlr). Nous avons également signé notre contrat pour « L’indivision » le même soir, si je ne dis pas de bêtises. La rencontre, bien qu’elle se soit déjà faite au téléphone, a été très agréable.Zidrou. Euh!... Pas beaucoup plus. Benoît Springer, c'est cette superbe blonde qui dessine en tenant son crayon entre ses seins, c'est cela?
Je suppose que vous ne vous voyez pas tous les jours. Comment s'organise votre travail ?
Benoît Springer. J’ai la chance que Zidrou me fasse totalement confiance. Par conséquent, je travaille dans mon coin et je lui envoie les pages quand elles sont faites. Si quelque chose ne lui convenait pas, il m’en ferait part et je rectifierais.Zidrou. Comme avec tous mes collaborateurs. J'organise deux fois par an une croisière avec dessinateurs, coloristes, épouses (ou alternatives) et enfants éventuels sur un bateau de croisière que j'affrète pour l'occasion. Ceci explique sans doute que, chaque année, je compte plus de collaborateurs?
C'est à bord de ce navire - mais uniquement s'ils me laissent gagner à la pétanque de mer - que, tel Jésus au bord du lac de Tibériade, je multiplie les scénarios que je distribue à l'envi.
Et dire qu'il y a des gens qui s'imaginent que je travaille seul, comme un con, devant un ordinateur à inventer des carabistouilles (® and © belgicisme) que je soumets ensuite à la lecture - exigeante - de Springer !! Ah! Ah!
Un lourd secret de famille dans "Le Beau voyage", une relation incestueuse dans "L'Indivision". Vous aimez les sujets difficiles ?
Zidrou. Il m'arrive aussi, dans un moment de faiblesse, d'aborder des sujets tendres et gais. Je voulais d'une passion sexuelle impossible. Les autres approches de cette thématique ayant été rabattus ou ne constituant plus vraiment un obstacle social majeur en nos pays (je songe à l'homosexualité par exemple), j'ai pris ce que les autres avaient bien voulu me laisser.Benoît Springer. J’aime les sujets et les rapports de personnages intenses. C’est la seule garantie pour moi de m’amuser sur un album et de sortir quelque chose d’intéressant de mon dessin. J’aime ressentir des émotions quand je lis ou que je regarde un film. Quand je fais un album, je concentre tout mon travail autour des émotions, je fais tout ce que je peux pour les transmettre au lecteur. J’accorde beaucoup d’importance aux expressions et aux attitudes. C’est aussi pour cela que je choisis souvent des plans où on reste prés des personnages, au contact de leurs sentiments.
Pourquoi avoir choisi cette thématique précisément ?
Zidrou. Sais plus, ça me vient tout seul.Benoît Springer. Pour ma part, pour les raisons évoquées précédemment. Et parce que c’est intéressant en tant que dessinateur et être humain d’aller titiller des sujets un peu sur le fil, pour découvrir ce qu’on en pense, s'interroger
L'histoire est très crédible, très forte. Avez-vous fait des recherches, rencontrer des spécialistes, reçu des témoignages ?
Zidrou. Ah! Ah! Moi, faire des recherches, me documenter ? Mon niveau de documentation en général, c'est la collection Gallimard Découvertes. C'est tout dire. Non, j'ouvre mon ordinateur et j'invente, c'est tout. Je me mets dans la peau des personnages, comme un acteur, dirais-je.Quel a été votre souci majeur dans l'écriture du scénario ?
Zidrou. Le même que toujours: respecter mes personnages, ne pas les trahir. Sinon, je ne me souviens pas avoir éprouvé la moindre difficulté sur ce scénario. Ça arrive, bien sûr. Mais pas ici.Avez-vous dû adapter votre travail graphique et narratif pour cette histoire ?
Benoît Springer. J’adapte mon travail graphique et narratif à chaque nouvelle histoire. C’est un plaisir, une façon de respecter le scénario et de lui trouver la forme qui lui correspond le mieux. Bien sûr, il y a des répétitions, des tics de dessins inévitables mais j’essaie toujours d’adapter ma narration, mon traitement à l’histoire. C’est l’assurance pour moi de ne pas trop me répéter et d’éviter l’enfermement dans un genre ou un style.Comment ressort-on après les mois passés à travailler sur un thème comme celui-ci ? N'a-t-on pas à envie de plancher sur quelque chose de plus léger ?
Benoît Springer. Pas forcément. J’ai ressenti ça après « On me l’a enlevée ». L’album avait été tellement éprouvant qu’il a fallu que je fasse un album plus léger par la suite. « Le beau voyage » et « l’indivision » ne sont pas des albums légers mais je tiens le coup pour l’instant. Prêt à remettre ça.Vous êtes l'un et l'autre très prolifiques dans le monde de la BD avec toujours dix projets d'avance. Sur quoi travaillez vous actuellement ?
Zidrou. À part la reprise de Tintin, vous voulez dire? Plein de choses. Mais, tel un coureur du Tour de France, je préfère avancer étape par étape.Aujourd'hui matin, ce sera donc un ou deux gags de Ducobu, puis la fin de l'épilogue de ROSKO pour Delcourt. Puis le SHI 2 pour Josep Homs, un one-shot pour Edith sans doute, le prochain Francis Porcel, le Clifton 2, une comédie,... Je prolifique grave !
Benoît Springer. Actuellement, je travaille sur une bande dessinée érotique intitulée « L’ivresse » avec Séverine Lambour. Nous sommes en fin de campagne de financement participatif sur le site d’Ulule et le projet est financé au-delà des 100% nécessaires à la fabrication de l'album. Séverine et moi planchons déjà sur le livre. La sortie est prévue pour début 2016.
Une nouvelle collaboration entre vous-deux est-elle d'ores et déjà envisagée ?
Zidrou. C'est ce que nous souhaitons en tout cas. Je laisse l'autre Benoît vous révéler ce qu'il voudra. C'est déjà écrit à 90% en tout cas.Benoît Springer. Oui. Zidrou a un projet sous le coude qui me plaît beaucoup. Ça parle d’amour, de meurtre et d’autruches. Il ne reste plus qu’à convaincre un éditeur de nous suivre dans cette aventure sanglante et déjantée
Quel est l'album, le livre d'une manière générale, qui a marqué ou devrait marquer votre rentrée ?
Zidrou. Je n'ai pas de rentrée vu que je n'ai pas eu de vacances. Mais ma vengeance sera terrrrrrribe. N'ayant pas la télé, lisant fort peu les médias, je n'ai pas d'attentes particulières. Je ne demande qu'à être surpris en tout cas. C'est encore la meilleure manière de se remettre en question.Benoît Springer. Le livre qui a marqué mes vacances et m’accompagnera au moins en pensées pendant ma rentrée est un recueil de nouvelles et récits de Tchekhov. C’est drôle, dramatique, atrocement et délicatement humain. Sinon, j’ai hâte de lire « Vive la marée ! » de David Prudhomme et Pascal Rabaté. Je suis un fan inconditionnel de ces deux auteurs.
Merci Benoît et Benoît
Propos recueillis le 1er septembre 2015 par Eric GuillaudRetrouvez la chronique de l'album ici