Un policier s'est exprimé de façon anonyme sur le dilemme des policiers et leurs conditions de travail, quelques heures avant une nouvelle manifestation devant le commissariat de Grenoble.
Depuis le début de la semaine, à Paris et dans plusieurs villes comme à Grenoble, les policiers manifestent en dehors des syndicats pour dénoncer leurs conditions de travail, et notamment les agressions dont ils se disent victimes. L'un d'entre eux, agent à Grenoble, a accepté de témoigner de façon anonyme.
"Ca m'est arrivé environ quatre fois dans ma carrière de sortir mon arme et de peut-être penser à l'utiliser, confie-t-il, donc vous avez la personne en joue et vous avez l'épée de Damoclès au-dessus de la tête. En un centième de seconde vous vous dites 'qu'est-ce qui va se passer derrière ? Qu'est-ce qu'on va faire de moi ? Est-ce que je vais passer en garde à vue ? Est-ce que les juges vont penser que je suis vraiment en légitime défense ? Comment je vais le prouver ?' C'est très compliqué."
Si vous tirez en légitime défense, c'est à vous de prouver que vous êtes en légitime défense
"Vous avez le méchant en face de vous. Si vous tirez en légitime défense, c'est à vous de prouver que vous êtes en légitime défense, poursuit l'agent. Si vous n'arrivez pas à le prouver, vous êtes tout simplement auteur d'un tir d'arme à feu. Là, ça peut être lourd de conséquence pour le policier et sa famille, alors que tout le monde sait, comme le nez en plein milieu de la figure, c'est l'auteur des violences qui avait l'arme à feu."
Et de plaider pour une révision de la loi sur la légitime défense, qui reste encore très restrictive. "Il faudrait que ce soit revu pour que ce soit une présomption de légitime défense, qu'enfin le collègue puisse agir un peu plus librement et que l'enquête ne soit pas axée sur une mise en examen directe du collègue qui a utilisé son arme pour se défendre."
Interview par Nathalie Rapuc, Dominique Semet et Sophie Villatte.
Les mineurs de 1945 ne sont pas les mineurs d'aujourd'hui
Autre révision que souhaite le policier: l'ordonnance du 2 février 1945 qui "surprotège" les mineurs. "C'est une très belle chose, seulement, c'est 1945, ça a nettement évolué. Les mineurs de 1945 ne sont pas les mineurs d'aujourd'hui, et les mineurs d'aujourd'hui le savent très bien. Ils viennent à la confrontation, notamment sur des scooters volés, des scooters qui sont complètement remaquillés. Ils nous jettent des projectiles. Ils nous insultent..."
"Les collègues, eux, ne peuvent pas interpeller forcément ces mineurs de peur de les blesser, ajoute l'agent. Si jamais le mineur se blesse, on va metter en cause le collègue, donc on veut pas interpeller, et on laisse faire."
On a l'impression que les juges se trouvent dans une espèce de bulle, ou une tour d'ivoire
Pour le policier, il y a un véritable décalage entre le travail des agents, sur le terrain, et celui des juges dans un environnement très différent. "On a l'impression que les juges se trouvent dans une espèce de bulle, ou une tour d'ivoire."
"Je pense que c'est 'facile', entre guillemets, de juger dans un tribunal où tout doit être calme, où la moindre incartade, la moindre parole est tout de suite sanctionnée, alors que sur la voie publique c'est pas du tout ça. La voie publique, c'est toujours un peu brouillon."
Reportage de Nathalie Rapuc, Dominique Semet et Sophie Villatte.
On s'aperçoit que la parole d'un flic en fait ne vaut quasiment plus rien devant un tribunal
Dans ces mêmes tribunaux, de nombreux agents constatent une évolution dans la crédibilité apportée à la parole des policiers. "Bien souvent, dans un jugement, la parole d'un agent de police judiciaire, qui pourtant est assermenté vaut quasiment rien.
En somme, "on s'aperçoit que la parole d'un flic en fait ne vaut quasiment plus rien devant un tribunal, et ça, c'est super inquiétant parce que si l'interpellé, si le mis en cause qui est jugé, dit: 'Ah non, non, c'est pas moi !' même s'il a été pris la main dans le sac, on va quelques fois plus le croire lui, et donc ça va être une relaxe, ou un aménagement de peine, ou que sais-je, une lettre d'excuse. Des lettres d'excuses, j'en ai plein, moi !"
on se rend compte que tous les collègues de France se réunissent, d'une seule voix, sans l'aide des syndicats, et ça, ça fait du bien, ça fait plaisir parce qu'on se rend compte qu'on n'est pas tout seuls à penser ce qu'on pense, et qu'effectivement, peut-être qu'en haut ça va être enfin entendu.
Un nouveau rassemblement de policiers est prévu ce vendredi 21 octobre à 14 heures devant le commissariat de Grenoble. C'est le second dans la ville après la manifestation qui s'est tenue dans la soirée du 18 octobre, place Félix Poulat