Le meurtrier d'Agnès Marin "peut revenir dans le camp des hommes" selon un expert-psychiatre

Alors que le procès du violeur et meurtrier présumé d'Agnès Marin doit ouvrir le 18 juin au Puy-en-Velay (Haute-Loire), le Dr Pierre Lamothe, expert-psychiatre à Lyon, estime que Matthieu M. peut "changer" et prendre "conscience de sa dangerosité passée et de ce qu’il a fait". Entretien.

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Le Dr Pierre Lamothe est expert-psychiatre à Lyon. Il a rencontré Matthieu M. lors de son incarcération en région lyonnaise après le meurtre d'Agnès Marin au Chambon-sur-Lignon (novembre 2011). Sans trahir le secret professionnel, il nous livre quelques réflexions alors que le procès du meurtrier présumé d'Agnès ouvrir le mardi 18 juin au Puy-en-Velay (Haute-Loire).
 
France 3 Auvergne: L'adolescent était-il à sa place au collège Cévenol du Chambon-sur-Lignon après avoir effectué 4 mois de détention provisoire ?
Dr Pierre Lamothe: C'est un garçon qui n'a pas été apaisé mais plutôt excité par ce placement. Ce n'était pas la meilleure des choses, mais il n'était pas écrit d'avance qu'il allait mal tourner. Je ne crois pas que son deuxième crime signifie qu'il n’était pas à sa place au collège Cévenol. Des gens s'étaient penchés sur la situation avec sérieux et compétence, la décision positive qui avait été prise était parfaitement défendable.
  
Y a-t-il eu une erreur de la part de votre confrère qui l'a expertisé après qu'il ait commis un viol à Nages-et-Solorgues (Gard) ?
Les experts ont toujours le droit à l'erreur. Je ne sais pas s'il y a eu erreur. On ne peut pas exiger d'une expertise qu'elle soit une certitude. La psychiatrie de certitude est une psychiatrie anti-thérapeutique qui ne peut servir à personne, ni au juge, ni au patient.
Dans le cas présent, Matthieu avait tout juste : il a de bons parents, il n'a pas de gros antécédents, il est intelligent, il peut être placé dans un lieu très adapté avec une pédagogie éclairée et pourtant ça ne  marche pas. Soigner, c'est prendre des risques, prendre le risque de la confiance pour que l'auteur redevienne humain. Jouer la carte de la confiance est le seul pari possible.
 
Les victimes peuvent-elles entendre ce discours ?
La douleur des victimes est quelque chose que les psychiatres prennent aussi en considération. Ce n'est pas pour autant qu'ils ont un droit de regard sur ce qui va se passer pour l'auteur. On ne peut pas rester en rancœur avec l'idée de faire payer, personne ne fera jamais payer Matthieu de ce qu'il a fait, mais Matthieu, lui, peut comprendre dans la souffrance et revenir dans le camp des hommes. Il n'a rien d'un tueur en série qui prend goût au crime. Il reste un enfant malgré tout, il n'aura un cerveau terminé qu'à 25 ans comme tous les adolescents. Lorsqu'un enfant a commis deux crimes, dont un crime de sang, ça ne veut pas dire qu'il va en commettre un troisième. Si, au nom d’un principe de précaution qui n'apporterait strictement rien à la défense sociale, on empêchait Matthieu de guérir, ce serait un drame pour tout le monde et non pas un bénéfice.
 
Vous croyez donc que Matthieu peut guérir ?
Il peut évoluer avec des prises de conscience de son mécanisme pulsionnel, de sa dangerosité passée et de ce qu’il a fait. Le drame serait de conclure que quelqu'un ne sera que ce qu'il a été, or ce n’est jamais le cas, on peut toujours changer, surtout à l'âge de Matthieu, c'est la meilleure chose que l'on puisse faire à la mémoire de sa victime.
 
Y a-t-il eu des dysfonctionnements, comme le laisse entendre la famille d’Agnès, qui ont conduit au drame du Chambon ?
On ne peut pas parler de dysfonctionnement, peut-être d'erreur. Mais tout a fonctionné, les gens qui étaient là pour faire leur travail l'ont fait. Il n'y a rien à reprocher à personne dans ce qui s'est passé.
 
Est-ce que, depuis l'affaire du Chambon, l'expertise psychiatrique a changé ? La collégialité a-t-elle été renforcée pour ne pas laisser un psychiatre seul face à un  prévenu ?
Le système qui consiste à faire une loi après chaque fait-divers est désastreux. Après chaque affaire rendue publique, chaque expert s'interroge sur ses pratiques, c'est pour cela que nous souhaitons être deux, en "collège", plutôt qu'être seul, parce que le regard du deuxième expert nous aide. Pour autant, doit-on être dans la culpabilité et l'autocritique sous prétexte qu'il y a eu une récidive ? Non, nous devons être dans l'analyse.
 
Cette collégialité à deux experts s'applique-t-elle dans les faits ?
Hélas, elle a été supprimée il y a quelques années et on a du mal à la rétablir. Dans les grosses affaires comme celle-là, elle arrive sur le tard lors de la 2ème expertise.
 
Quel est votre point de vue sur le "secret professionnel partagé", question posée par les responsables du collège Cévenol après le drame et reprise par les politiques sous forme d'amendements ?
Je suis contre ce terme, ce qu'on partage c'est de l'information. Actuellement, au contraire, nous ne sommes pas assez vigilants pour défendre le secret. De toute façon, tout le monde a toujours échangé oralement autour de l'entrée d'un enfant dans un collège. Mettons en place peut-être des procédures d'échange, de partage d'informations, qui permettent de travailler positivement, de faire son travail sereinement et non pas de faire son travail avec parapluie et crainte d’une sanction administrative ou de l'opprobre publique.


Propos recueillis par Gérard Rivollier

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