Dans une interview à l'Agence France Presse, le président du club de football de la Duchère livre son regard sur les difficultés de l'intégration à la française.
Mohamed Tria, cadre d'entreprise et président du club de foot de La Duchère, quartier
lyonnais où il a grandi et s'implique beaucoup, livre un regard critique sur les ratés de l'intégration à la française. Il se dit "pas surpris" par la faible représentation de la banlieue dans les défilés républicains qui ont suivi les attentats. Il s'alarme des fractures de la société et considère que "de plus en plus de gens vivent à côté de nous."
Pourquoi les "banlieues" n'ont-elles pas défilé?
"Pour eux la République, c'est une chimère. On a trop délaissé ces zones,
pendant des années. A l'école d'abord, en livrant de jeunes profs sans expérience
à des gamins aguerris à la turbulence... L'interprétation des attentats a été toute
autre dans ces quartiers. J'ai réuni une quarantaine de gamins de 13 à 16 ans dans
mon club, j'ai été abasourdi par ce que j'ai entendu. Ils n'ont pas été informés
par les journaux, mais par les réseaux sociaux, c'est la seule source accessible
pour eux et ils croient que c'est la vérité. La théorie du complot, j'ai pris ça
en pleine gueule.
Surtout, ils ne voyaient pas la mort de 17 personnes, mais l'acteLa théorie du complot, j'ai pris ça en pleine gueule.
de bravoure de ceux tombés les armes à la main. Ils ont de l'admiration pour ces
gars-là, ils trouvent qu'ils leur ressemblent. Eux sont en quête de reconnaissance
et croient qu'en mourant les armes à la main, on peut y arriver."
Comment expliquer un tel décalage ?
"On se réveille d'un coup avec Kouachi et Coulibaly, mais ce sont des enfants
de la République qu'on a fécondés. Il y a 30 ans, on parlait de ceux qui priaient
dans les caves, maintenant c'est pareil: il y a des valeurs souterraines à la République
qui ne sont pas les nôtres. Je leur ai parlé de la liberté d'expression, ils m'ont
demandé pourquoi cela ne valait pas pour Dieudonné. Je leur ai répondu que lui
appelait à la haine, mais qui explique aujourd'hui à ces gamins ce qui est bien
et ce qui est mal? Comme on ne leur enseigne plus nos valeurs, d'autres prennent
la place et ça marche, car ils sont en quête de quelque chose. La radicalisation
religieuse, c'est une conséquence, cela fait partie du repli sur soi. Ces jeunes,
ils connaissent leur quartier et ce que disent leurs copains, c'est tout. On est
en vase clos. Et tant qu'il n'y avait pas de problèmes, ça arrangeait tout le monde."
Quel peut être "l'après Charlie" pour ces quartiers ?
"J'ai quitté la Duchère vers 12-13 ans, j'y suis revenu à 40, j'ai été frappé
par le nombre de femmes seules. Même au club de foot, je ne croise pas beaucoup
de papas. Le revenu moyen, ce doit être 800 euros, et le profil courant, c'est
une mère qui élève quatre enfants. Quand on est acteur social au quotidien, on
sait que la tâche est immense. Il y a de plus en plus de gens qui vivent à côté
de nous, pas avec nous. On a fait beaucoup de rénovation urbaine, mais déverser
des tonnes de béton, ça ne suffit pas. Il faut de l'humain. Comment accompagne-t-on
le vivre ensemble, comment on le matérialise? Les beaux discours, ça va cinq minutes.
L'intégration à la française, ça ne marche pas. Maintenant qu'on a pris cette grosse
claque dans la gueule, notre responsabilité est énorme. On est contraint budgétairement,
d'accord, mais il va falloir arbitrer des priorités. Il est urgent d'agir dans
les dix ans qui viennent, pour sauver ceux qui peuvent l'être et surtout leurs
enfants. Car en écoutant ces gamins, je me disais: mais comment seront les leurs ? "