Ils ont couru avec le dossard de la "Team liberté" pour "une vie meilleure": cinq demandeurs d'asile arrivés en Haute-Savoie après un douloureux parcours migratoire ont bouclé, dans la nuit de samedi à dimanche, la "SaintéLyon". Ils ont réalisé cette course nocturne de 72 km en relais.
Rauf, Amir, Madhi, Yassine et Alseny, quatre Afghans et un Guinéen âgés de 19 à 29 ans, ont terminé à la 202e place sur 400 équipes engagées entre Saint-Étienne et Lyon dans le relais à quatre sur 72km de cette 64e course nocturne. La SaintéLyon qui proposait sept programmes en solo ou en relais, a rassemblé 17 000 participants la nuit dernière. Une grande partie du parcours était enneigée.
Ces dernières semaines, les cinq réfugiés avalaient les kilomètres dès la nuit tombée, s'époumonant à la lampe frontale pour s'entraîner aux conditions de visibilité et de froid de l'épreuve, autour du lac d'Annecy où ils vivent au Centre d'accueil et d'orientation (CAO) dans l'attente d'un titre de séjour.
"Grâce au sport, on veut prouver qu'on sait faire de belles choses quand on nous en donne l'opportunité", a confié Yassine Mahammadi, qui a pris le départ malgré une blessure à la cheville.
Ce jeune Afghan de 25 ans, véritable capitaine de route de l'équipe, a fuit le régime des Talibans en 2005 et a perdu tout contact avec ses proches depuis. Après six années en Allemagne, où il s'était intégré mais a risqué l'expulsion faute de papiers, il a rejoint la France. Depuis février, il vit avec 58 autres réfugiés au CAO d'Annecy, dans un ancien hôtel réhabilité.
"Pour nous, cette équipe, c'est comme une famille. C'est la liberté", souligne Madhi Ghulami, son coéquipier de 20 ans.
Né en Afghanistan, ce jeune homme élancé a grandi avec sa famille en Iran, où les Afghans sont "traités comme des sous-hommes". Derrière un grand sourire, il veut prouver avec le sport que son pays, "ce n'est pas que le terrorisme et l'opium".
'Comme les autres'
L'histoire de cette épopée débute en mai dernier lors d'une sortie sur les hauteurs d'Annecy. Cyrille Jeancler, président de la section locale de la Ligue des droits de l'Homme et passionné de trail, est impressionné par l'endurance de certains résidents. Il propose alors de former une équipe pour écumer les courses de la région, et "sortir d'un quotidien où pointe souvent l'ennui".Un mois plus tard, la "Team liberté" termine à une prometteuse 93e place - sur 300 participants - de la MaXi-Race à Annecy, leur première compétition. "Ce jour-là, on a couru avec les autres, sans discrimination. On a simplement eu l'impression d'être comme les autres. D'être acceptés", se souvient Madhi.
Au sein du CAO où dominaient le repli sur soi et la peur d'être rejeté, leur performance agit comme un détonateur. "La pratique sportive a créé un pont vers l'extérieur et l'apprentissage du français, auquel ils s'opposaient en raison de leurs déboires administratifs", explique Marine Lachenal, chef de service.
Courir a transformé le quotidien de ces cinq réfugiés qui décrivent avec pudeur leur parcours mouvementé pour rejoindre l'Europe dans la clandestinité - à pied, cachés à l'arrière d'un 4X4 ou sur des zodiacs de fortune.
Rauf Alzali, 19 ans, qui pratique aussi le kickboxing, a réussi à "surmonter" la dépression qui le minait, loin des siens. Pour Yassine, ce sont "ses cauchemars", les images de son "voyage tourmenté", qui commencent à s'estomper. Et il se trouve "en meilleure santé".
Aujourd'hui, la plupart rêvent de Suède, ou simplement "d'une vie meilleure, peu importe où, tant qu'on nous respecte", insiste Yassine. Tous ont déjà expérimenté un refus de titre de séjour et cette sensation que l'avenir se dérobe. Pour Alseny Camara, le plus âgé, le sport est "un vecteur d'intégration important dans une société". En 2015, ce père de famille a été emprisonné durant trois mois pour son opposition à la politique d'Alpha Condé, le président de la République de Guinée. Il a fui en août 2016, laissant derrière lui sa famille et une petite fille née après son départ.