Leur deuil est impossible. A Bourg-en-Bresse, dans l'Ain, une famille se bat pour stopper la diffusion de vidéos sur les réseaux sociaux. On y voit le suicide d'un proche ! Des publications indécentes contre lesquelles il est difficile d'agir.
"Je n'en peux plus d'imaginer que la mort de mon frère passe encore de portable en portable. Je ne peux pas passer à autre chose, avec ma famille on ne peut pas faire notre deuil."
Gino Bella ne sait plus à quelle porte frapper, à qui s'adresser pour exprimer son indignation et sa douleur. Il a bien déposé plainte au commissariat de Bourg-en-Bresse, mais on lui a fait comprendre qu'en l'état actuel de la loi, il n'y a pas grand chose à faire contre la viralité d'une scène, aussi indigne soit-elle.
Début mars, le frère de Gino a enjambé la ballustrade de son appartement dans le quartier Reyssouze. "Une dépression qui durait depuis longtemps", explique sobrement Gino. C'était à proximité de petits commerces de proximité, il y avait donc un peu de monde sur les trottoirs. Le geste fatal s'est fait à la vue de tous. Une défenestration qui tourne depuis sur les réseaux sociaux. La scène a été filmée sous plusieurs axes, des photos ont aussi été prises.
Imaginez, c'est un collègue qui m'a appris la nouvelle quelques minutes après le suicide parce qu'il venait de voir la scène sur snapchat. C'est un truc de fou !
Les publications ont démarré sur les messageries rapides. Normalement, un "snap" (post) disparaît quelques heures après. Mais c'était sans compter sur la capture d'écran. La viralité ne faisait que commencer.
Le passage à l'acte est devenu spectacle
"Ce jour-là, les gens parlaient plus de la vidéo que de mon frère, de sa détresse. Et depuis, ça a fait le tour du monde. C'est terrible ! C'est comme si ils avaient filmé un mariage ou un baptême."
Le passage à l'acte est devenu spectacle. Pire. Pour dénoncer la mise en ligne de ces vidéos, certaines personnes les republient, pointant du doigt "la non assistance à personne en danger". Un cercle extrêmement vicieux. Une histoire sans fin.
Pour la première vidéo, il s'agissait de Snapchat. Ils sont aux Etats-Unis, en Californie. J'ai essayé de les joindre, sans réponse, évidemment. Moi à mon niveau je ne peux rien faire contre ce monstre, Snapchat. Je pense qu'il faut mettre des lois sévères, des grosses amendes, et enlever la vidéo dans la journée.
Selon nos informations, certains des jeunes à l'origine des premières séquences ont bien été entendus par la police. Leurs vidéos étaient déjà supprimées. Mais la fonction enregistrement des smartphones assure une deuxième vie à ces contenus. Ce n'est pas une personne qui devient alors responsable mais des milliers, voire des millions. Comme la "victime" n'est pas reconnaissable, la protection s'arrête là. Interrogé sur ce cas, le procureur de la République de Bourg-en-Bresse ne peut qu'avouer l'impuissance de la justice :
Moi je pense qu'avant tout, il faut que les gens fassent appel à leur intelligence et fassent acte de décence parce que sur le plan moral, c'est extrêmement choquant de diffuser ces images de quelqu'un qui se donne la mort. Cela étant, sur le plan pénal, ce n'est pas répréhensible, ce n'est pas un délit, ce n'est pas une infraction que de diffuser ce genre de d'images.
On est dans une époque où il faut faire le buzz !
La balle est donc dans le camp du législateur. Gino Bella espère d'ailleurs rencontrer prochainement un député et en appelle carrément au président de la République, tant il s'agit, selon lui, d'un vrai problème de société.
"On est dans une époque où il faut faire le buzz. Il faut faire des vues, ce qui fait perdre toute lucidité. Je n'arrive pas à me mettre à la place de ces gens. Je ne les comprends pas. Comment on peut jouir comme ça du malheur des autres ? C'est quelque chose qui m'horrifie, ça me donne envie de vomir", conclut Gino, la gorge serrée.
Reportage Franck Grassaud et Maryne Zammit