La colonie d'Izieu. Le 6 avril 1944, 44 enfants juifs y sont raflés puis assassinés à Auschwitz. Avant le drame, d'autres enfants ont vécu dans la grande maison aux volets bleus. Ils ont survécu à la guerre. Voici leur histoire émaillée de souvenirs fragiles.
La colonie des enfants réfugiés de l'Hérault s'est installée dans l'Ain au printemps 1943. Il y a 80 ans cette année. A quelques jours, de la commémoration de la rafle des enfants juifs d'Izieu le 6 avril 1944, nous vous proposons une série de témoignages. Paroles et souvenirs fragiles de ceux et celles qui, avant le drame de la rafle, ont aussi vécu dans la grande maison aux volets bleus. Ils ont survécu à la guerre. Voici leur histoire. Episode 1 : l'arrivée à Izieu.
"Moi aussi, je suis perdu"
A l'automne 1943, Samuel Pintel a 6 ans. Il est à Annecy avec sa mère quand une rafle les surprend. Pour sauver son fils, sa mère décide en un instant de le confier à une inconnue. Un réseau d'entraide prend ensuite l'enfant en charge. Et l'achemine vers Izieu pour y vivre avec d'autres enfants séparés de leur famille. Samuel Pintel se souvient particulièrement bien de ce jour là. Un jeudi. 18 novembre.
"C'est le directeur de la maison qui va venir d'Izieu à Chambéry avec son vélo, une cariole à l'arrière. 45 kilomètres à parcourir pour me prendre en charge. Je ne suis pas tout seul, je suis avec un petit copain qui a échappé à la rafle. Et nous sommes conduits à la maison d'Izieu."
Samuel est un rescapé. Il est traumatisé par la rafle qui l'a séparé de sa mère. "Moi, ce qui me tourmentait, c'était ce qui allait advenir de ma mère. Elle est arrêtée, je ne sais plus où elle est. Je l'ai perdue, raconte aujourd'hui Samuel. Et puis, moi, je suis là dans un lieu inconnu. Et elle ne sait pas où je suis, elle ne pourra pas venir me chercher. Et donc, moi aussi je suis perdu. Et ça, ça me travaillait beaucoup."
Orphelins
Roger Wolman a 5 ans et vit sur la Côte d'Azur avec sa mère et son grand frère âgé de 12 ans. "Fin septembre 1943, les Allemands arrivent à Nice. Un commando d'Autrichiens. De nazis. Et ils savent faire la chasse aux Juifs, dit-il, des sanglots persistants dans la voix. Ma maman, elle avait du flair, de l'instinct. Elle a décidé que nous devions partir. Elle a payé quelqu'un pour qu'on nous emmène à Lyon. La dernière image que j'ai de ma maman, c'est sur le quai de la gare à Nice. Et c'est mon frère qui me soulève pour que je la voie à travers la vitre."
Roger Wolman explique que si sa mère n'a pas pris le train avec ses fils, c'est parce qu'il y avait très souvent des contrôles des passagers. Ce jour-là, il n'y en pas eu. Arrivés à Lyon, les deux enfants sont pris en charge par un jeune oncle. "Il a une vingtaine d'années, très dégourdi, il vient d'être démobilisé de l'armée. Mais il ne sait pas trop quoi faire de nous. Alors, il nous confie mon frère et moi à une organisation de secours aux enfants qui nous place dans une institution religieuse à Fourvière." Les deux frères y restent quelques jours, jusqu'à ce qu'une femme qui était dans la résistance les emmène à Izieu.
"C'était un chemin caillouteux. Qu'il fallait monter sans arrêt depuis la gare. Donc, on arrive à Izieu. On entre dans un système où tout se passe bien. Les enfants sont gentils, on mange bien. On est dans un endroit féérique. On est logé sommairement, mais on est bien."
Il faut dire que Roger et sont frère sont ballotés depuis des mois, des années. "Nous étions des enfants qui fuyaient de partout, qui avaient déjà été à plusieurs endroits. Plein d'endroits. On n'a plus de parents. Quand on arrive à Izieu, on est orphelin. Pas de nouvelles de la maman, pas de nouvelles du père." Les deux frères resteront trois semaines à Izieu. Avant que l'ainé n'ait une intuition et ne décide de partir à nouveau, leur sauvant la vie.
Souvenirs occultés
Depuis l'ouverture de la maison d'Izieu au printemps 1943, toujours plus d'enfants y trouvent refuge. Ils sont meurtris par la vie, fragiles. Hélène Waysensson avait 8 ans quand elle quitte le Luxembourg avec deux de ses frères. Mais les souvenirs du jour de son arrivée à Izieu se sont évanouis. Ou plutôt, elle les a totalement occultés.
"C'était ma force, de me réfugier et de ne pas me rappeler. Je me suis enfermée là-dedans", admet-elle 80 ans plus tard. "En psychanalyse ça doit s'expliquer, d'avoir occulté tous les transports, tous les éloignements avec ma mère."
Pour ces enfants, la colonie d'Izieu a été une école de la vie à nulle autre pareille. Une étape singulière dans une époque tourmentée où l'existence s'écrit au jour le jour.